Terralaboris asbl

Force probante des PV établis par les inspecteurs sociaux

Commentaire de C. trav. Mons, 23 mai 2013, R.G. 2012/AM/131

Mis en ligne le mardi 26 mai 2015


Cour du travail de Mons, 23 mai 2013, R.G. n° 2012/AM/131

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 23 mai 2013, la Cour du travail de Mons rappelle les limites de l’autorité de la chose jugée au pénal et la force probante des procès-verbaux dressés par les inspecteurs sociaux dans le cadre d’une enquête.

Les faits

Une société, ainsi que sa gérante, font l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, suite à l’occupation non régulière de plusieurs travailleurs. Par jugement du 19 mars 2010 du Tribunal correctionnel de Charleroi, la gérante est condamnée pour manquements à la législation en matière de sécurité sociale des travailleurs salariés. La société est également condamnée au paiement des cotisations (soit 1€ provisionnel).

Entretemps, l’ONSS a pris une décision en vue de la régularisation des cotisations pour les travailleurs concernés, le décompte de celle-ci s’élevant à un montant de l’ordre de 22.500€ et la demande de paiement étant adressée à la société.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 20 octobre 2011, le Tribunal du travail de Charleroi confirme la décision de l’ONSS en toutes ses dispositions.

Le tribunal considère qu’en vertu de l’autorité de la chose jugée de la décision pénale, la société était bien l’employeur des sept travailleurs concernés et qu’elle était tenue de rentrer ses déclarations ONSS – ce qui n’a pas été fait.

Le tribunal se fonde sur les déclarations faites dans le cadre de la procédure pénale, ainsi que sur les investigations des inspecteurs sociaux (perquisition, examen des agendas, contrôle des factures, etc.).

Il retient également les nombreuses incohérences dans les éléments exposés par les parties poursuivies.

Appel est interjeté par la société, à propos du cas d’un de ces travailleurs, contestant également la période retenue pour l’occupation de celui-ci.

Décision de la cour du travail

La société conteste l’autorité de chose jugée retenue par le tribunal du travail quant au jugement du tribunal correctionnel, dans la mesure où, au civil, celui-ci a dit la demande recevable mais non fondée en tant que dirigée contre la société.

La cour du travail rappelle que les décisions rendues par le juge pénal sur les actions civiles dont il a à connaître ont autorité de la chose jugée en vertu de l’article 23 du Code judiciaire et non en vertu du principe général de droit relatif à l’autorité de la chose jugée en matière pénale sur l’action civile. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation et la cour du travail renvoie à un arrêt récent du 22 avril 2013 (Cass., 22 avril 2013, R.G. n° C.12.0448.F).

Elle reprend ensuite le libellé de l’article 23 du Code judiciaire, selon lequel l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet de la décision et qu’il faut que la chose demandée soit la même (même cause, mêmes parties et demandes formées par elles et contre elles en la même qualité).

Il y a dès lors trois conditions, comme le rappelle la cour, ce qui amène généralement à faire état du principe de l’autorité relative de la chose jugée, étant que celle-ci ne peut être invoquée que par les parties à la cause.

Pour la cour, le but du législateur n’est en effet pas qu’un justiciable puisse être condamné par une décision rendue à l’issue d’une instance à laquelle il n’a pas été partie et alors qu’il n’a pas pu contester ce qui lui est reproché. En l’espèce, la cour constate que la demande dirigée au civil contre la société a été déclarée non fondée par le juge pénal et qu’elle ne remplit pas les conditions fixées à l’article 23 du Code judiciaire. La demande civile avait été initiée notamment par le travailleur en question, était dirigée contre la société et avait pour objet le paiement d’arriérés de rémunérations, l’ONSS n’étant pas partie à la cause.

Il en découle que les dispositions civiles du jugement n’ont aucune autorité de chose jugée dans le cadre du présent litige. Autres sont les effets d’une décision pénale lorsque le juge statue sur le plan pénal, l’autorité de la chose jugée valant ici erga omnes. Celle-ci ne s’attache que à ce qui a été jugé par le juge pénal, certainement et nécessairement, concernant l’existence de faits mis à charge d’un prévenu et prenant en considération les motifs qui sont le soutien nécessaire de la décision pénale. En l’espèce, il est acquis, au pénal, que deux préventions sont établies à charge de la gérante de la société, étant d’avoir omis de faire parvenir à l’ONSS les données obligatoires dès le début des prestations du travailleur, ainsi que d’avoir fait la déclaration complète et exacte, à la fin du trimestre civil, en vue d’établir le montant des cotisations.

La cour constate que ces deux infractions visent notamment le travailleur qui avait introduit l’action. La cour en conclut qu’il ressort des éléments certainement jugés par le tribunal correctionnel que la société était bien l’employeur de l’intéressé et qu’elle était dès lors redevable des cotisations sociales correspondantes.

Quant à la période litigieuse, le jugement pénal ne permet pas de déterminer celle-ci, le libellé des infractions n’étant pas suffisamment précis quant à la durée des périodes d’occupation.

Par ailleurs, si l’on examine les procès-verbaux des inspecteurs sociaux, la cour relève qu’en vertu de l’article 9, alinéa 2 de la loi du 16 novembre 1972, ceux-ci font foi jusqu’à preuve du contraire, pour autant cependant qu’une copie en soit communiquée au contrevenant (et le cas échéant à son employeur) dans un délai de 14 jours prenant cours le lendemain de la constatation de l’infraction. La cour souligne encore que cette force probante est limitée, dans la mesure où elle ne peut concerner que les faits que les inspecteurs ont matériellement et personnellement constatés, dans les limites de leurs attributions et qu’ils ont repris dans leur procès-verbal. Le reste n’a valeur que de simple renseignement (la cour renvoyant ici notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 1987, Pas., 1987, p. 110). Ceci ne vaut dès lors pas pour des déductions faites à partir d’auditions.

Examinant en l’espèce l’ensemble des déclarations, la cour aboutit à la conclusion que la période pendant laquelle les prestations sont établies est en fin de compte assez brève, soit de l’ordre de 3 semaines.

Elle annule dès lors la décision de l’ONSS qui avait conclu à l’assujettissement d’office du travailleur concerné pendant une période beaucoup plus longue.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle la distinction à opérer entre les dispositions pénales et les dispositions civiles d’un jugement pénal, eu égard à la notion d’autorité de la chose jugée. Il reprend également les principes en matière de force probante des constatations faites par les inspecteurs sociaux dans leurs procès-verbaux, constatations qui font foi jusqu’à preuve du contraire, mais pour certaines d’entre elles seulement, étant celles qui portent sur les faits que les inspecteurs ont dans les limites de leurs attributions matériellement et personnellement constatés et mentionnés, les autres valant au titre de simple renseignement.


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