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Un deuxième arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la Limosa

Commentaire de C.J.U.E., 3 décembre 2014, Aff. n° C-315/13

Mis en ligne le lundi 18 mai 2015


Cour de Justice de l’Union Européenne, 3 décembre 2014, Aff. n° C-315/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 décembre 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne examine la conformité de la réglementation belge en matière de Limosa eu égard aux obligations des utilisateurs finaux de main-d’œuvre salariée détachée par une société ayant son siège dans un autre Etat membre de l’Union.

Les faits

Une société de droit belge (active dans la fabrication de systèmes de refroidissement industriels) et ses administrateurs sont poursuivis au pénal du fait d’infractions vu la non-déclaration de travailleurs salariés détachés. La société belge a une société sœur de droit polonais, qui poursuit la même activité.

Lors d’un contrôle de l’Inspection sociale au siège de la société belge en Belgique, la présence de quatre travailleurs polonais est constatée, dont trois au service de la société polonaise. Ceux-ci ne sont pas en mesure de présenter le formulaire de détachement (E101). La déclaration préalable au détachement n’a par ailleurs pas été faite et la société belge, utilisatrice finale des services, n’a pour sa part pas communiqué aux autorités belges les données d’identification des travailleurs en cause. L’enquête révèle que ces manquements existent non seulement pour les faits constatés lors de la visite de l’Inspection sociale, mais également pour des situations antérieures et postérieures à celle-ci.

Suite à une enquête de l’Auditeur du travail, un procès-verbal pour infraction est dressé et la société, ainsi que les quatre personnes physiques considérées comme responsables, sont poursuivies devant la juridiction correctionnelle pour répondre de deux infractions, celles-ci étant passibles de sanctions pécuniaires de nature pénale.

Les poursuites se fondent sur le fait qu’en tant qu’utilisateurs finaux ou maîtres d’ouvrage, ils n’ont pas communiqué les données d’identification des personnes qui n’ont pas pu présenter un accusé de réception.

La question préjudicielle

Le Tribunal de Première Instance de Malines pose la question de savoir si les articles 56 et 57 TFUE et l’article 3, §§ 1 et 10 de la Directive 96/71 (lue ou non en combinaison avec l’article 19 de la Directive 2006/123) s’opposent à l’article 141 de la loi-programme belge du 27 décembre 2006, qui impose à toute personne auprès de laquelle ou pour laquelle sont occupés, directement ou en sous-traitance, des travailleurs salariés (ou des stagiaires) détachés de communiquer par voie électronique (ou, en cas d’impossibilité, par télécopie ou par courrier) à l’O.N.S.S., et ce avant le début de leur occupation, les données d’identification des personnes qui ne sont pas mesure de présenter l’accusé de réception requis (et ce en combinaison avec les dispositions du Code pénal social qui sanctionnent de peine correctionnelle un manquement à cette obligation).

La décision de la Cour

La Cour écarte en premier lieu la partie de la question relative à l’article 19 de la Directive 2006/123, vu que les faits sont survenus à un moment où le délai de transposition de celle-ci n’était pas encore expiré.

Elle statue dès lors sur les articles 56 et 57 TFUE. L’article 56 exige, comme elle le rappelle en premier lieu, non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre d’un prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu’il est établi dans un Etat membre autre que celui du lieu de la prestation, mais en outre la suppression de toute restriction, ceci visant même celles qui s’appliquent indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres Etats membres, dès lors qu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre où il fournit légalement des services analogues. Elle renvoie à divers arrêts qu’elle a rendus sur la question.

L’obligation figurant à l’article 141 de la loi-programme impose aux utilisateurs finaux ou aux commanditaires auprès desquels ou pour lesquels les travailleurs salariés détachés sont occupés (que ce soit directement ou en sous-traitance) de vérifier s’ils sont en mesure de présenter l’accusé de réception requis, et ce avant le début de la prestation de service. Si cet accusé ne peut pas être présenté, ils doivent effectuer la déclaration aux autorités belges compétentes. Celle-ci doit reprendre toute une série d’indications permettant l’identification de l’employeur. Le Code pénal social belge prévoit en ses articles 101 et 183 des amendes pénales (allant de 100 € à 1.000 € en cas de non-respect de cette obligation) ou administratives (allant de 50 € à 500 €), avec décimes additionnels, et l’amende étant multipliée par le nombre de travailleurs. La Cour de Justice conclut que cette réglementation est une restriction à la libre prestation de services au sens de l’article 57, prohibée en principe par l’article 56.

Elle examine dès lors si cette restriction peut être justifiée. Renvoyant ici encore à sa jurisprudence (dont le très célèbre arrêt ARBLADE, Aff. n° C-369/96), elle reprend la règle selon laquelle il peut y avoir une raison impérieuse d’intérêt général, intérêt qui n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’Etat membre où il est établi. Cette raison doit par ailleurs être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

La Cour examine ensuite, dans des considérations très fouillées, les diverses hypothèses dans lesquelles elle a admis qu’il y avait des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté de prestation de services. Il s’agit notamment de la protection des travailleurs, la prévention de la concurrence déloyale de la part d’entreprises qui pratiquent des niveaux de rémunération inférieurs au salaire minimal, la lutte contre la fraude sociale notamment, ainsi que la prévention des abus et, particulièrement, la lutte contre le travail dissimulé eu égard à l’objectif de protection de l’équilibre financier des régimes de sécurité sociale.

Elle conclut que les objectifs de protection des travailleurs détachés et de lutte contre la fraude, argument avancé par le Gouvernement belge, sont susceptibles de justifier la réglementation nationale en cause et que, a priori, celle-ci est de nature à garantir la réalisation de ces objectifs.

Elle considère également que la disposition est susceptible d’être proportionnée aux objectifs indiqués. Il appartient cependant à la juridiction nationale de vérifier ces éléments.

La Cour libelle dès lors son dispositif comme étant que les dispositions du TFUE visées ne s’opposent pas à une réglementation d’un Etat membre telle que celle qui lui est soumise, dès lors qu’elle peut être justifiée au titre de la protection d’une raison impérieuse d’intérêt général (protection des travailleurs ou lutte contre la fraude sociale) à la condition qu’il soit établi qu’elle est propre à garantir la réalisation du (ou des) objectif(s) légitime(s) poursuivi(s) et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

Intérêt de la décision

Cet arrêt était attendu, puisque l’on sait que, précédemment, la Cour de Justice s’était prononcée sur le système Limosa eu égard aux obligations de prestataires de services indépendants établis dans un autre Etat de l’Union et souhaitant prester des services à titre temporaire en Belgique (voir C.J.U.E., 19 novembre 2012, Aff. n° C-577/10).

La décision ici intervenue concerne une autre hypothèse, étant celle des travailleurs salariés (ou stagiaires) de prestataires de services établis dans un autre Etat de l’Union détachés en Belgique pour le compte d’utilisateurs finaux qui se trouvent sur le territoire belge.

Pour ceux-ci, la déclaration « LIMOSA » doit faire l’objet d’un contrôle concernant leur occupation sur le territoire. L’employeur étranger qui entend occuper ceux-ci sur le territoire belge doit, préalablement à l’occupation, effectuer la déclaration en cause auprès de l’O.N.S.S., qui va délivrer un accusé de réception. Dès lors que le travailleur n’est pas en mesure de présenter cet accusé de réception, l’utilisateur final est tenu de procéder lui-même à une information, étant qu’il doit communiquer, préalablement au début de l’occupation, les données d’identification requises. A défaut, il s’expose à des sanctions pénales ou administratives.

La Cour de Justice décide, dès lors, dans cet arrêt, que ce système n’est pas contraire au principe de la libre prestation des services, pouvant s’agir d’une restriction justifiée. Il appartient au tribunal de renvoi, étant le Tribunal de Première Instance de Malines en l’occurrence, de déterminer si les obligations imposées par la loi-programme satisfont dès lors aux diverses conditions retenues dans la jurisprudence communautaire pour admettre la justification de la restriction en cause.

On relèvera encore que l’arrêt n’a pas pu examiner la conformité du système avec la Directive 2006/123, celle-ci n’ayant pas encore été à l’époque transposée en droit belge et le délai pour ce faire n’étant pas expiré.


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