Terralaboris asbl

Les éléments révélés par une caméra cachée et par l’enregistrement d’un entretien à l’insu de la personne peuvent-ils être produits en justice ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 janvier 2015, R.G. 2012/AB/1.248

Mis en ligne le mardi 5 mai 2015


Cour du travail de Bruxelles, 7 janvier 2015, R.G. 2012/AB/1.248

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 7 janvier 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que ces éléments ne peuvent en aucun cas constituer une telle preuve et qu’il convient de les écarter, pour violation de l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que des articles 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 22 de la Constitution.

Les faits

Un employé, engagé depuis l’année 2001 comme ingénieur dans une société d’électricité industrielle, adresse un courrier à son employeur, par lequel il signale que son licenciement lui a été signifié verbalement lors d’un entretien (celui-ci ayant été filmé et enregistré par lui à l’insu du représentant de la société).

Il confirme sa position quelques jours plus tard, la société n’ayant entre-temps pas réagi. Il considère qu’il a reçu son congé et demande paiement des sommes dues à la rupture. Par courrier en retour, la société conteste formellement le licenciement et constate, par ailleurs, qu’il a continué à prester jusqu’au jour d’envoi du premier courrier.

La société considère qu’elle doit prendre acte de la volonté de l’intéressé de ne plus exécuter son contrat de travail et ajoute que son départ intempestif occasionne un préjudice important, eu égard au fait qu’il est en charge de nombreux dossiers. Une plainte est alors déposée par celui-ci auprès du SPF pour harcèlement.

Quelques jours plus tard, il entre au service d’une autre société et il s’avérera qu’il avait manifesté son intérêt pour un poste vacant, et ce un mois auparavant.

Une procédure est introduite par lui devant le Tribunal du travail de Mons. Celui-ci va écarter, par jugement du 24 avril 2006, des pièces déposées par le travailleur, celles-ci ayant été constituées en violation des devoirs de loyauté et de correction (article 16 de la loi du 3 juillet 1978) et du droit au respect de la vie privée du mandataire de la société (articles 8 CEDH et 22 de la Constitution). Le tribunal ordonne des enquêtes pour le surplus.

Le travailleur interjette appel de ce jugement, après la tenue des enquêtes directes.

La Cour du travail de Mons va rendre deux arrêts, le second, du 19 janvier 2011, condamnant la société à payer à l’intéressé à la fois une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité de protection de conseiller en prévention (et autres sommes annexes). Cet arrêt est cependant cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 30 avril 2012, l’affaire étant renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

La décision de la cour

Sur le congé, la cour en rappelle les principes, étant, particulièrement sur le plan de la preuve, que, la société contestant avoir licencié l’employé, c’est à lui de prouver la réalité du congé verbal allégué. En l’espèce, il dépose toujours les mêmes pièces, étant l’enregistrement de l’entretien litigieux et le texte dactylographié reproduisant celui-ci, le tout figurant dans un constat d’huissier.

La cour du travail examine dès lors la légalité de la preuve recueillie par l’enregistrement sur CD-rom. Elle confirme l’appréciation du premier juge, étant qu’il y a violation de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel, à partir du moment où les images sont non seulement enregistrées et immédiatement visionnées, mais aussi, s’agissant de caméras, conservées puisque l’on y a identifié de manière directe la personne visionnée.

Il y a également violation de l’article 8 de la CEDH et la cour souligne que la circonstance que ceci est intervenu sur les lieux du travail n’est pas de nature à rendre le procédé licite. Les pièces sont dès lors écartées et la cour examine d’autres éléments de preuve. L’absence de contestation immédiate de la société au premier courrier ne peut suffire à rapporter la preuve du congé verbal et les autres éléments soumis ne constituent, comme la souligne l’arrêt, ni séparément ni ensemble la preuve de celui-ci.

La cour relève encore qu’après s’être calmées, les parties avaient poursuivi le travail.

En conséquence, la rupture à l’initiative de la société n’est pas établie et l’appelant doit être débouté de l’ensemble de ses demandes.

La cour examine également la demande reconventionnelle de la société, qui réclamait une indemnité de préavis (limitée à 1 € symbolique). La cour rappelle qu’une telle demande doit être introduite dans le délai d’un an – ce qui a été fait – et qu’elle peut être étendue ou modifiée, et ce même en degré d’appel. La société réclame maintenant un mois de rémunération et la cour alloue ce montant, au titre d’indemnité compensatoire de préavis.

Elle conclut dès lors que, le travailleur succombant totalement, il est tenu de payer à la société l’équivalent d’un mois de rémunération, ainsi que l’ensemble des dépens, liquidés à … 11.423,77 € !

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les risques de preuve, dès lors qu’une partie se prévaut d’une rupture unilatérale et verbale du contrat de travail. En l’occurrence, il n’échappera pas que la thèse du travailleur était doublement boiteuse, puisque, d’une part, il ne pouvait prouver un tel licenciement qu’en déposant des pièces recueillies de manière irrégulière et, d’autre part, puisqu’il y avait eu poursuite des relations de travail pendant une quinzaine de jours.

L’arrêt contient par ailleurs un enseignement important, en ce qui concerne la preuve proprement dite. La cour confirme, avec le tribunal, que la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel ayant été adaptée par la loi du 11 décembre 1998 pour ce qui est de la surveillance par caméra, l’on ne peut conserver des données dans lesquelles la personne visionnée peut être identifiée de manière directe. Il y a, du fait de l’enregistrement vidéo d’un entretien au moyen d’une caméra cachée (intervenant ainsi à l’insu et sans le consentement de la personne), une violation flagrante de l’article 8 CEDH. La cour rappelle encore que cette disposition peut produire des effets directs dans l’ordre juridique interne belge, dès lors qu’elle est suffisamment précise et complète, renvoyant à l’arrêt de la cour de cassation du 10 mai 1985 (Pas., 1985, I, p. 112). En outre, il y a également la violation de l’article 22 de la Constitution.


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