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Convention d’immersion professionnelle : requalification en contrat de travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 8 janvier 2015, R.G. 2013/AM/340

Mis en ligne le vendredi 10 avril 2015


Cour du travail de Mons, 8 janvier 2015, R.G. n° 2013/AM/340

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 8 janvier 2015, la Cour du travail de Mons examine une convention d’immersion professionnelle en entreprise, contrat masquant en réalité un contrat de travail.

Les faits

Une exploitante d’un salon de coiffure occupe un membre du personnel pendant 8 mois, de janvier à août 2008. Dans le courant du mois de mai, un « contrat d’immersion professionnelle » est signé. Il fait partie d’une convention du même jour, présentée comme une « convention d’immersion professionnelle en entreprise ». Elle prévoit une formation d’une journée par semaine, ainsi qu’un stage de pratique professionnelle de 24 heures par semaine pendant 1 mois.

Suite à une inspection sociale sur apostille de l’Auditorat, l’O.N.S.S. est saisi du dossier et notifie une décision de régularisation d’office, considérant qu’il y a autorité et que l’A.S.B.L. qui a signé la convention d’immersion n’est pas un opérateur de formation et d’insertion au sens du Décret du 1er avril 2004 relatif au dispositif intégré d’insertion professionnelle via un stage en entreprise. Pour l’Office, il y a dès lors contrat de travail.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Mons, section La Louvière, en paiement des cotisations et accessoires.

Par jugement du 20 juin 2013, le tribunal fait droit à la demande.

Appel est interjeté.

Décision de la cour

La cour procède à un examen en deux temps, eu égard à l’absence d’agrément de l’A.S.B.L. et aux conditions de prestation de l’intéressée au sein du salon de coiffure.

Sur le premier point, relevant que l’O.N.S.S. s’appuie sur la circonstance que l’A.S.B.L. n’est pas considérée comme opérateur de formation et d’insertion au sens du Décret du 1er avril 2004 et qu’elle n’a jamais disposé d’un agrément de son plan de formation, la cour constate que ceci ne permet pas de considérer d’office que la convention est caduque et qu’il y a de ce fait requalification des relations en contrat de travail.

En effet, la loi-programme du 2 août 2002, réglementant en ses articles 104 à 109 ces conventions d’immersion professionnelle, vise toute forme de formation ou stage en entreprise au sens large et, notamment, les formules qui ne font l’objet d’aucun encadrement juridique. La cour rappelle les travaux préparatoires en ce sens et reprend également le texte de l’article 106 de la loi, qui vise explicitement l’hypothèse où la convention n’est pas conclue avec un organisme de formation ayant obtenu l’agrément. Dans ce cas, un plan de formation agréé doit exister et il doit répondre aux conditions fixées par la disposition légale, reprenant notamment les conditions d’exécution de la convention, les temps de présence dans l’entreprise, les indemnités convenues ou le mode et la base de calcul de celles-ci et autres exigences.

Pour la cour, cependant, en cas de non-respect de cette disposition, il n’y a pas de sanction légale, de telle sorte que l’on ne peut automatiquement requalifier la convention en contrat de travail. La cour conclut dès lors à une motivation inexacte de la décision administrative.

Reprenant la règle, dans une telle situation, la cour rappelle que, dès lors qu’une décision administrative ne correspond pas aux exigences de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation des actes administratifs, le juge doit statuer sur l’existence du contrat de travail dans la mesure où la contestation porte sur une demande d’assujettissement.

La cour entreprend dès lors le 2e volet de son examen, étant de rechercher les éléments constitutifs du contrat de travail. En l’espèce, les parties ont qualifié leur convention et la cour rappelle que le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure celle-ci. S’il y a contrat d’immersion professionnelle correspondant aux conditions requises par la loi-programme du 2 août 2002, il n’y a pas assujettissement.

La cour admet dès lors que, pour le premier mois après la signature, cette convention est censée exister, le contrat prévoyant une formation d’une durée d’un mois. En dehors de cette courte période, dans la mesure où il y a des prestations de travail, il faut partir du constat qu’aucune qualification n’a été convenue et que, dès lors, il appartient à l’exploitante du salon d’établir que la convention s’exécutait conformément aux conditions de la loi-programme. Elle doit, ainsi, prouver qu’il y a eu un contrat de stage et que la travailleuse a acquis des connaissances et des aptitudes qu’elle n’avait pas auparavant.

La cour rappelle la distinction à opérer entre un contrat de stage et un contrat de travail, le stage impliquant l’acquisition d’une expérience, l’évolution des compétences et aptitudes, ainsi que des évaluations. Rien de tout ceci n’existe en l’espèce et la cour relève en outre qu’il n’y avait aucun processus progressif d’apprentissage et de perfectionnement, puisque l’intéressée effectuait toujours les mêmes tâches, sans modèle, travaillant d’ailleurs de manière autonome. Aucune mission de formation n’était dès lors exercée pendant toute cette période. La cour conclut que l’absence de processus progressif d’apprentissage et de perfectionnement, ainsi que de projets concrets de formation, et encore l’absence d’évaluation, sont incompatibles avec la qualification de contrat d’immersion professionnelle.

Intérêt de la décision

Cet arrêt n’est pas le premier rendu dans une telle hypothèse. L’on peut en effet renvoyer à deux décisions récentes de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 23 avril 2014, R.G. 2012/AB/718 et C. trav. Brux., 9 juillet 2014, R.G. 2012/AB/1.247). Le procédé semble dès lors fréquent et, d’ailleurs, l’on notera que le présent dossier a débuté suite à une visite de l’inspection sociale sur apostille de l’Auditeur du travail. L’O.N.S.S. est dès lors vigilant, dans ce type de situation.

La présente affaire est par ailleurs l’occasion pour la cour de rappeler la finalité d’un contrat de stage en entreprise, étant un processus progressif d’apprentissage et de perfectionnement, s’appuyant sur un projet concret de formation et faisant l’objet d’évaluations. Cet élément est essentiel pour que le stage de formation puisse être retenu, contrairement à des conditions d’occupation où – comme en l’espèce – la travailleuse preste de manière autonome.


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