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Le droit au « stand still » que consacre l’article 23 de la Constitution ne s’applique pas à une pratique administrative plus favorable à l’assuré social que le texte légal ou réglementaire

Commentaire de Cass., 15 décembre 2014, n° S.14.0011.F

Mis en ligne le jeudi 2 avril 2015


Cour de cassation, 3e chambre, 15 décembre 2014, n° S.14.0011.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 décembre 2014, la Cour de cassation trace les limites de l’obligation de « stand still » en sécurité sociale eu égard à l’article 23 de la Constitution : si elle va au-delà ou est contraire à un texte légal ou réglementaire, elle ne confère à l’assuré social aucun droit à son maintien pour l’avenir.

Les faits et antécédents de la cause

Mme K. a, en mars 2010, introduit auprès de l’AWIPH une demande d’intervention dans le coût des accessoires de son prochain véhicule. L’AWIPH refuse son intervention pour les rétroviseurs, les vitres électriques ainsi que la direction assistée, sur la base du point 2.2. de l’annexe à l’arrêté du Gouvernement wallon (AGW) du 14 mai 2009 fixant les conditions et les modalités d’intervention d’aide individuelle à l’intégration des personnes handicapées.

Un recours et introduit par Mme K. devant le tribunal du travail de Liège, qui confirme la décision.

Celle-ci interjette appel de ce jugement en faisant valoir qu’elle avait, en 2004, obtenu l’intervention de l’AWIPH pour ces postes actuellement refusés et que le principe de « stand still » s’oppose à ce qu’il en soit autrement pour une reconduction de la même demande.

L’arrêt de la cour du travail de Liège

Par un arrêt du 8 novembre 2013, après avoir constaté que les versions successives des annexes ne prévoyaient pas d’intervention pour les trois postes refusés – le texte du point 2.2 de l’annexe de l’AGW du 14 mai 2009 ne différant des versions précédentes qu’en ce que l’intervention pour lesdits postes est expressément exclue – et relevé que les conditions générales d’intervention sont les mêmes pour une première demande et une demande de renouvellement, la cour du travail de Liège (section de Liège, 3e ch., R.G. n° 2012/AL/352, sur Juridat) examine l’obligation de « stand still ».

L’arrêt souligne que cette obligation n’est pas, selon la Cour de cassation, un principe général de droit (renvoyant à Cass., 14 janvier 2004, Chr. D. S., 2004, p. 506), mais qu’elle trouve son fondement dans des normes internationales et dans l’article 23 de la Constitution.

La question est dès lors si cette obligation de comparer des normes successives porte non seulement sur les normes législatives ou règlementaires mais également sur la pratique administrative.

La cour du travail décide que cette comparaison inclut les pratiques administratives, le droit à une aide sociale au sens large pouvant trouver son origine dans la loi mais aussi dans l’interprétation qui lui est donnée dans la pratique administrative.

L’arrêt de la cour du travail souligne que, si une rétrogradation résulte de cet examen, il faut alors se pencher sur la question de savoir s’il y a un recul significatif du niveau de protection sans qu’existe un intérêt général proportionné.

Ces principes posés, l’arrêt relève que la pratique ancienne de l’AWIPH était, pour les postes litigieux, de soumettre la demande pour avis au Conseil pour l’aide individuelle à l’intégration puis pour décision par le Comité de gestion. Une prise en charge était donc autorisée par le recours à l’article 13 AGW. La pratique nouvelle a apparemment sérieusement modifié les droits de la personne handicapée dès lors qu’aucune intervention ne peut plus être accordée quels que soient le niveau de handicap et le caractère utile ou essentiel de l’aide sollicitée.

La cour du travail ordonne la réouverture des débats en invitant l’AWIPH à « préciser les raisons pour lesquelles il a précédemment été fait recours à l’article 13 et celles pour lesquelles le recours n’est plus autorisé et a ensuite de justifier les motifs liés à l’intérêt général ».

L’AWIPH s’est pourvue en cassation contre cet arrêt.

Le pourvoi en cassation

La première branche du moyen était essentiellement fondée sur la violation de l’article 23 de la Constitution. L’AWIPH soutenait que l’obligation de « stand still » qu’impliquait cette disposition est de comparer l’étendue de la protection du droit visé à l’article 23, telle qu’elle est offerte par la nouvelle norme légale ou réglementaire, par rapport à la protection de ce droit telle qu’elle était réalisée par la législation ou la réglementation antérieurement applicable. Il s’agit donc de comparer deux normes et cette obligation n’impose pas à l’administration de continuer une pratique contraire à la volonté du législateur ou de l’autorité réglementaire.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour accueille cette branche du moyen. Elle pose en règle que « l’article 23 de la Constitution implique, en matière d’aide sociale, une obligation de « stand still » qui s’oppose à ce que le législateur et l’autorité règlementaire compétents réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général ».

La cour décide qu’"en considérant, pour inviter (l’AWIPH) à s’expliquer « sur les raisons invoquées pour justifier le changement intervenu », que les pratiques administratives doivent être incluses « dans les normes susceptibles de faire naître le droit au stand still » et en appliquant dès lors à l’administration une obligation que l’article 23 de la Constitution ne lui destine pas, l’arrêt viole cette disposition constitutionnelle.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation tranche une question faisant l’objet d’interprétations divergentes dans la doctrine, étant si l’obligation de « stand still » ne porte que sur les textes légaux ou réglementaires ou également sur la pratique administrative.

La cassation était sans doute prévisible dès lors que, en matière de sécurité sociale, une pratique administrative qui va au-delà ou est contraire à un texte légal ou réglementaire ne confère à l’assuré social aucun droit à son maintien pour l’avenir.

Il reste l’arrêt de la cour du travail de Liège, qui contient de nombreuses références doctrinales qui peuvent être utiles aux plaideurs sur ce principe de « stand still » qui, même ainsi encadré par la jurisprudence de la Cour de cassation peut parfois être utilement invoqué.


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