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L’absence d’information à l’employeur de la prolongation d’une période d’incapacité est-elle un acte équipollent à rupture ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2014, R.G. 2014/AB/13

Mis en ligne le jeudi 2 avril 2015


Cour du travail de Bruxelles, 4 novembre 2014, R.G. n° 2014/AB/13

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 4 novembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes relatifs à l’acte équipollent à rupture, dans l’hypothèse d’un manquement sérieux du travailleur à ses obligations en matière de justification de l’incapacité de travail.

Les faits

Une puéricultrice, prestant dans une crèche, tombe en incapacité de travail début août 2011, et ce pour une période de 10 jours. Elle fait état d’un problème lié à une grossesse. Elle est dès lors examinée par le médecin du travail-conseiller en prévention, qui la déclare apte à la poursuite de ses prestations, indiquant qu’elle doit être réexaminée 4 mois plus tard. Il formule certaines recommandations d’adaptation de la fonction (relatives notamment au port de charges).

L’intéressée envoie alors un certificat médical de prolongation pour une période d’une semaine.

Quelques jours à l’issue de celle-ci, l’employeur met l’intéressée en demeure de justifier de son absence, aucune nouvelle prolongation n’ayant été annoncée ni par écrit ni même verbalement.

Trois jours plus tard, l’employeur, constatant que l’intéressée n’aurait pas réservé de suite à la mise en demeure, conclut que l’employée a exprimé sa volonté de rompre unilatéralement le contrat de travail. L’A.S.B.L. confirme qu’en conséquence, elle ne fait plus partie du personnel.

L’intéressée conteste, pour sa part, dans un courrier ultérieur, le contenu de cette lettre, faisant valoir qu’elle aurait transmis ses attestations et aurait d’ailleurs repris contact téléphoniquement avec l’employeur.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Par jugement du 4 octobre 2013, la travailleuse est déboutée et condamnée aux dépens.

Appel est interjeté.

La cour résume le point de droit comme suit : l’employeur pouvait-il conclure que l’intéressée avait l’intention de ne plus exécuter le contrat de travail liant les parties en ayant négligé de le tenir au courant de la prolongation de l’incapacité de travail et en ne répondant pas à la mise en demeure lui adressée en vue de justifier de son absence ?

La cour constate en effet qu’il n’est pas établi à suffisance de droit que l’employeur aurait été informé à temps de la prolongation, ni par écrit ni verbalement. Le fait qu’elle dispose d’un certificat médical pour la période concernée ne signifie pas que l’employeur aurait été nécessairement informé de la chose.

La cour du travail rappelle dès lors les principes relatifs à l’acte équipollent à rupture, étant divers arrêts de la Cour de cassation, dans l’hypothèse d’un manquement d’une des parties à ses obligations contractuelles. Elle reprend particulièrement l’arrêt du 22 octobre 2012 (Cass., 22 octobre 2012, n° S.11.0087.F), selon lequel la partie qui se prétend libérée de son obligation d’exécuter celui-ci par la circonstance que le cocontractant a, en manquant à ses obligations contractuelles, révélé sa volonté de modifier le contrat et donc d’y mettre fin, a l’obligation de prouver cette volonté dans le chef de l’autre partie, et ce conformément à l’article 1315 du Code civil.

Cette volonté peut être implicite, mais, rappelant un arrêt de sa propre cour du 19 avril 2010 (C. trav. Brux., 19 avril 2010, J.T.T., 2010, p. 364), la cour du travail reprend le principe selon lequel celle-ci ne peut être retenue que lorsque le comportement ou tout autre manquement de l’autre partie ne peut être interprété que comme l’expression d’une telle volonté et qu’aucune autre interprétation n’est possible que celle de la manifestation de la volonté de mettre un terme au contrat de travail.

En l’espèce, la cour considère que l’employeur n’apporte pas la preuve légale requise, l’absence de justification de la prolongation de l’incapacité et le fait d’avoir négligé de répondre immédiatement à la mise en demeure ne constituant pas l’expression de la volonté de ne plus exécuter les obligations contractuelles. La cour relève que, si l’attitude de l’intéressée est certes fautive, puisqu’elle n’a pas respecté les obligations mises à sa charge par la loi et par le règlement de travail, l’on ne peut cependant en conclure qu’elle ne souhaitait plus continuer à travailler pour son employeur.

La cour rappelle encore que cette absence de volonté de rompre découle de la chronologie des faits depuis le début de l’incapacité de travail, qui a été dûment portée à la connaissance de l’employeur, et que celui-ci a conclu très rapidement à la rupture du contrat, laissant peu de temps à son employée pour réagir.

En conséquence, cette rupture est irrégulière et une indemnité compensatoire de préavis est due.

Intérêt de la décision

La solution retenue par la cour du travail dans cet arrêt peut paraître évidente. L’on constatera cependant que le premier juge avait été d’un avis différent, puisque la travailleuse a été déboutée de sa demande d’indemnité compensatoire de préavis.

L’arrêt de la cour a le mérite de reprendre, pour en souligner les mérites respectifs, les arrêts rendus successivement par la Cour de cassation dans cette problématique délicate.

Il faut certes en retenir que – conformément à la jurisprudence majoritaire – le manquement d’un travailleur ne peut en lui-même être constitutif d’un acte équipollent à rupture, dès lors que sa volonté de ne pas poursuivre l’exécution du contrat n’est pas dûment avérée, la preuve de celle-ci devant être apportée conformément à l’article 1315 du Code civil.

La cour souligne également – rappelant sa propre jurisprudence – qu’il peut y avoir volonté implicite, mais que, dans cette hypothèse, le comportement du travailleur doit être examiné et que, s’il ne peut s’interpréter exclusivement comme la volonté de rompre, celle-ci ne peut être retenue.


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