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L’ancienneté de service auprès d’un employeur couvre-t-elle une période où le travailleur a presté dans le cadre d’un statut ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 septembre 2014, R.G. 2013/AB/592

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2015


Cour du travail de Bruxelles, 12 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/592

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 12 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle longuement les principes relatifs au calcul de l’ancienneté de service, permettant de déterminer la durée du délai de préavis ainsi que la notion de même employeur.

Les faits

Un fonctionnaire, désigné en qualité de secrétaire d’administration pour le secrétariat général au tourisme (Ministère des Transports) en 1980 est licencié le 6 juin 2011. Entre-temps, il a été nommé en 1987 conseiller adjoint du Commissariat général flamand. En 1989, un contrat de travail a été signé avec une A.S.B.L. (Belgium Convention and Incentive Bureau), association dont les statuts ont été créés par plusieurs organismes, étant le Commissariat flamand pour le Tourisme, l’Office de Promotion de Tourisme de la Communauté française de Belgique et la Sabena. En 1999, l’intéressé passe au service de Toerisme Vlaanderen, agence bénéficiant de la personnalité juridique, créée au sein de la Communauté flamande. Il occupe les fonctions d’employé (directeur). Il va signer d’autres contrats ultérieurement, modifiant ses fonctions et, finalement, son lieu d’affectation, qui devient Londres en 2010.

Ayant été licencié en juin 2011 avec une indemnité compensatoire de préavis de 9 mois, l’intéressé introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, demandant condamnation de l’Agence à divers montants, étant essentiellement une indemnité complémentaire de préavis, reprenant l’ensemble de sa durée de fonction ci-dessus, ainsi que d’autres sommes, dont une indemnisation pour abus de droit.

Le tribunal fait droit à une bonne partie de sa demande par jugement du 22 mars 2013. L’Agence interjette appel.

La décision de la cour

Sur le chef de demande principal, qui est le complément d’indemnité compensatoire de préavis, la cour du travail procède à un examen en deux temps, étant d’une part l’ancienneté à prendre en compte, ainsi que, d’autre part, la notion de même employeur.

Sur la prise en compte de la période de service en tant qu’agent statutaire, la cour rappelle la définition de celui-ci, étant que le fonctionnaire n’est pas lié à l’autorité qui l’emploie par un contrat de travail. La relation de travail est en principe une relation de nature extracontractuelle. Pour la cour, ceci n’empêche pas de prendre en compte la période de service en tant qu’agent statutaire pour le calcul d’une indemnité compensatoire de préavis de travailleur salarié. C’est l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 12 mai 2010 (C. const., 12 mai 2010, arrêt n° 54/2010), dont la cour rappelle de larges extraits. Cet arrêt a été rendu à propos de l’article 82, §§ 2 à 4 de la loi du 3 juillet 1978. Elle considère que, dès lors que le législateur renvoie à la période de « service auprès du même employeur », il n’y a pas lieu d’exclure pour le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis l’ancienneté correspondant aux prestations effectuées dans le cadre d’un statut.

La cour examine ensuite si les divers organismes pour lesquels l’intéressé a presté peuvent être considérés comme étant un « même employeur ». Rappelant divers arrêts de la Cour suprême (dont Cass., 18 mai 1992, R.G. 7.816), elle considère qu’il faut renvoyer à l’unité d’exploitation économique que constitue l’entreprise, indépendamment des modifications de sa nature juridique. Elle rappelle les conditions qu’avait soulignées M. le Procureur général LENAERTS avant l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus (conclusions publiées in R.W., 1992-1993, 293), étant que les employeurs successifs doivent avoir une activité identique ou au moins analogue ou complémentaire, qu’il doit exister entre eux un lien juridique et que la période d’occupation du travailleur pour les diverses entités doit être ininterrompue.

Renvoyant à la doctrine de C. WANTIEZ (C. WANTIEZ, « Même employeur. Unité économique d’exploitation, note sous Cassation, 9 mars 1992 », J.T.T., 1992, p. 220) et à la jurisprudence citée, la cour constate que le débat se résume à la question de savoir si l’exploitation est la même qu’auparavant, ce qui suppose par exemple que le travailleur ait continué de prester au même endroit, dans les mêmes fonctions et dans le même secteur. Dès lors qu’il apparaît au juge du fond que les activités exercées ne sont pas les mêmes, celui-ci peut, par ce pouvoir d’appréciation, conclure qu’il n’y a pas même employeur au sens de l’article 82, § 2 de la loi.

En l’espèce, il faut examiner si les diverses entités peuvent répondre aux conditions ci-dessus, et la cour aboutit à la conclusion que tel est le cas. Il faut dès lors tenir compte d’une ancienneté de 31 ans, ouvrant le droit à une indemnité compensatoire de préavis de 31 mois.

Par ailleurs, sur la question de l’abus de droit, pour laquelle la cour rappelle les principes généralement admis, elle constate que l’intéressé fait grief à son employeur d’avoir adopté une attitude manifestement déraisonnable à l’occasion de son licenciement.

La cour est du même avis et condamne l’ex-employeur à des dommages et intérêts de l’ordre de 5.000 €, ex aequo et bono. En effet, elle retient que le licenciement est intervenu avec brusquerie et que, celui-ci ayant été décidé suite à la visite d’un consultant sur place et à l’avis remis par celui-ci à l’employeur, il y a eu légèreté, dans la mesure où l’intéressé, directeur d’un bureau à l’étranger, n’a pas eu l’occasion de faire valoir ses explications sur les remarques et conclusions du rapport. La cour relève encore que les raisons pour lesquelles ce consultant a été envoyé sur place ne sont pas claires.

Intérêt de la décision

C’est certainement par le rappel de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mai 2010 que cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente un intérêt certain, étant que la Cour y avait précisé que, si l’article 82, §§ 2 à 4 de la loi était interprété en ce sens qu’il incluait les périodes prestées dans le cadre d’un statut, il n’y avait pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

C’est en effet la notion d’« ancienneté de service » qu’il faut retenir et la nature du lien contractuel n’est pas conçue restrictivement par le législateur.

Par ailleurs, le rappel de la notion de même employeur, étant le maintien de l’unité économique d’exploitation – indépendamment des modifications de la forme juridique – est utile, eu égard aux situations où – comme en l’espèce – des changements interviennent dans les administrations publiques et où le passage de fonctionnaires vers des agences ou autres entités est fréquent.


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