Terralaboris asbl

Une décision d’assujettissement d’office prise par l’O.N.S.S. est-elle un acte administratif au sens de la loi du 29 juillet 1991 ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Namur, 13 janvier 2015, R.G. 2013/AN/125

Mis en ligne le lundi 9 mars 2015


Cour du travail de Liège, division Namur, 13 janvier 2015, R.G. 2013/AN/125

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 janvier 2015, la Cour du travail de Liège (div. Namur) répond à cette question par l’affirmative, rappelant qu’il s’agit d’une position unanime, aujourd’hui, en doctrine et en jurisprudence.

Les faits

Une société, active dans le secteur de la construction (particulièrement de l’électricité), fait l’objet, sur l’un de ses chantiers, d’une visite de l’Inspection sociale du SPF Sécurité sociale.

Un travailleur est présent sur place et aucune Dimona n’a été introduite pour celui-ci. Un pro justitia est dès lors dressé. La procédure administrative est poursuivie, le gérant de la société étant entendu. Pour lui, il n’y a pas de contrat de travail, les parties s’étant mises d’accord sur un essai à effectuer avant d’entrer dans la société, d’y acquérir des parts et de devenir indépendant. Pour le gérant, l’essai n’aurait pas été concluant et le travailleur ne serait pas resté. En tout état de cause, il conteste le lien de subordination.

Après une poursuite de l’instruction du dossier, l’Inspection sociale transmet les éléments à l’O.N.S.S. et l’Office prend une décision d’assujettissement d’office pour 5 journées de prestations et, ultérieurement, demande le paiement de la cotisation de solidarité.

La société introduit un recours devant le Tribunal du travail de Namur.

Par jugement du 21 février 2013, celui-ci le rejette.

Appel est dès lors interjeté.

Position des parties devant la cour

La société fait en premier lieu valoir que la décision de l’O.N.S.S. ne répond pas à l’obligation de motivation formelle telle qu’exigée par loi du 29 juillet 1991. Elle conteste également que l’intéressé doive être assujetti à la sécurité sociale, rappelant que la charge de la preuve des éléments constitutifs du contrat de travail appartient à l’Office. Pour la partie appelante, il n’est pas établi que la qualification juridique choisie par les parties ne correspondrait pas à la réalité.

Enfin, elle plaide qu’il y a un délai excessif, délai anormalement long entre les constatations et la procédure, faisant valoir qu’elle avait pu légitimement croire qu’elle n’avait commis aucun manquement et qu’elle n’avait dès lors pas anticipé, au niveau de sa trésorerie, les effets d’une éventuelle condamnation.

Quant à l’O.N.S.S., il fait en premier lieu valoir qu’il n’y a pas unanimité en jurisprudence en ce qui concerne l’application de la loi du 29 juillet 1991 aux décisions d’assujettissement, étant qu’elles ne seraient pas des actes administratifs au sens de celle-ci. Malgré cette divergence jurisprudentielle, il considère avoir rempli les exigences légales, la motivation – sommaire – de sa décision devant tenir compte de la copie du procès-verbal déjà en possession de la société. Sur le fond, il considère qu’il ressort des diverses auditions qu’il y avait contrat de travail.

La décision de la cour

La cour se prononce en premier lieu sur la question de la motivation formelle des décisions attaquées. Elle fait le point sur les positions prises sur la question en doctrine et en jurisprudence et considère que celles-ci ont opté pour la conclusion que la décision d’assujettissement à la sécurité sociale est un acte administratif au sens de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1991. En l’espèce, elle constate que les deux décisions contiennent d’une part des considérations de fait et, d’autre part, les dispositions légales pertinentes. Il y a dès lors conformité aux exigences légales.

Par ailleurs, l’O.N.S.S. ayant formé une demande reconventionnelle portant sur le paiement des cotisations, la cour constate que, pour autant que de besoin, elle doit se prononcer sur cette demande indépendamment de la validité formelle des décisions. L’argument soulevé est dès lors considéré comme étant sans pertinence.

En ce qui concerne le principe de bonne administration, elle relève que, s’agissant d’un principe général du droit administratif, l’O.N.S.S. a pris une première décision dans les 6 mois de la réception du dossier et qu’il ne peut être question d’un délai déraisonnable.

Sur le fond, la cour reprend minutieusement le rappel des principes d’abord et l’examen des faits à prendre en compte, eu égard à ceux-ci, ensuite.

Elle rappelle succinctement les règles permettant de retenir l’existence d’un contrat de travail, telles que dégagées essentiellement par de nombreux arrêts de la Cour de cassation et la doctrine en la matière, dont celle de Madame JAMOULLE (M. JAMOULLE, Seize leçons sur le droit du travail, Ed. de la Faculté de Droit de Liège, 1994, p. 113). C’est ensuite vers la loi du 27 décembre 2006 que la cour se tourne et, notamment, vers les règles de preuve qui y figurent : à défaut de présomption (certains secteurs bénéficiant de celle-ci), la partie qui invoque l’existence d’un contrat de travail doit l’établir, et ce conformément aux principes généraux contenus aux articles 1315, alinéa 1er du Code civil et 870 du Code judiciaire.

Passant en revue l’ensemble des éléments de fait exposés dans le cadre de l’instruction du dossier, la cour retient qu’il n’y a pas eu de qualification de la relation de travail, ni dans un sens ni dans l’autre, et qu’aucun écrit n’est produit à cet égard. Les éléments invoqués, étant la perspective d’une collaboration indépendante par l’octroi de parts sociales, ne sont par ailleurs pas pertinents comme critères du lien de subordination. Elle résume ensuite les éléments déterminants de la relation, amenant à la confirmation de la conclusion du premier juge, étant notamment la précision des horaires, des tâches, la nature du travail et l’organisation de celui-ci (travail d’exécution subordonnée,…). La cour relève également que prévoir un « essai » ne se conçoit pas sans pouvoir déterminer la prestation de travail dans son contenu et en organiser et contrôler l’exécution.

Elle confirme dès lors la position du premier juge.

Intérêt de la décision

Ainsi que l’arrêt le relève, il y a accord, dans la jurisprudence et la doctrine majoritaires, pour considérer que la décision d’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés présente tous les caractères d’un acte administratif au sens de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation des actes administratifs.

La cour a également balisé l’obligation de motivation, tant en droit qu’en fait, constatant que la décision de l’O.N.S.S. est conforme à l’exigence légale.

En ce qui concerne l’assujettissement à la sécurité sociale, la cour fait, bien sûr, application des règles introduites par la loi du 27 décembre 2006 (qui sont, en réalité, la concrétisation des critères de la jurisprudence de la Cour de cassation). Sur le plan des principes, elle relève que, lorsque les parties ont qualifié la convention, le juge ne peut y substituer une qualification différente lorsque les éléments qui sont soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification conventionnelle. En l’absence de qualification, il va rechercher si la partie qui invoque l’existence d’un contrat de travail apporte la preuve de celui-ci.

En l’occurrence, les déclarations faites dans le cadre du dossier administratif sont éclairantes et, particulièrement, l’on notera que la tentative d’expliquer l’occupation du travailleur sans Dimona au motif qu’il s’agirait d’un « essai » en vue d’une collaboration indépendante est comprise, par la cour, non comme l’indice d’une telle convention, mais précisément comme révélatrice de l’existence d’un contrôle par le co-contractant de la prestation de travail dans son contenu et dans son exécution.


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