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Soins hospitaliers dans un autre Etat membre : conditions du refus d’autorisation préalable

Commentaire de C.J.U.E., 9 octobre 2014, Aff. n° C-268/13 (PETRU c/ CASA JUDEŢEANĂ DE ASIGURĂRI DE SĂNĂTATE SIBIU ET CASA NAŢIONALĂ DE ASIGURĂRI DE SĂNĂTATE)

Mis en ligne le mercredi 25 février 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 9 octobre 2014, Aff. n° C-268/13 (PETRU c/ CASA JUDEŢEANĂ DE ASIGURĂRI DE SĂNĂTATE SIBIU ET CASA NAŢIONALĂ DE ASIGURĂRI DE SĂNĂTATE

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 octobre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé que l’article 22, paragraphe 2, second alinéa du Règlement (CEE) n° 1408/71 ne permet pas de refuser une prestation de soins hospitaliers sur le territoire d’un autre Etat membre lorsqu’il y a défaut de médicaments et de fournitures médicales de première nécessité. Elle précise les critères d’appréciation de l’impossibilité vantée.

Les faits

Une personne de nationalité roumaine souffre de graves problèmes de santé et elle est hospitalisée en Roumanie. Une opération à cœur ouvert est envisagée. Les conditions matérielles dans cet établissement hospitalier ne paraissant pas satisfaisantes pour ladite intervention, l’intéressée se rend en Allemagne, où l’opération est pratiquée. Le coût de celle-ci ainsi que des frais d’hospitalisation post-opératoire est de l’ordre de 17.700 €.

Avant de se rendre en Allemagne, elle sollicite des institutions de sécurité sociale locales la prise en charge de cette intervention. Elle produit le formulaire E112. L’institution rejette sa demande, au motif qu’il ne ressort pas d’un rapport du médecin-traitant que la prestation en cause ne peut être effectuée en Roumanie, s’agissant d’une prestation de base, et ce dans un délai raisonnable au regard de son état de santé et de l’évolution de la maladie.

Une procédure est introduite devant la juridiction nationale, aux fins d’obtenir le paiement de la contre-valeur des frais relatifs à cette intervention, et ce au titre de dommages et intérêts.

Pour l’intéressée, les conditions d’hospitalisation, les médicaments, les fournitures médicales de première nécessité, ainsi que le nombre de lits dans la structure hospitalière ne permettaient pas d’envisager l’intervention dans des conditions satisfaisantes, ce qui a justifié sa décision.

Ayant été déboutée en première instance, l’intéressée introduit un recours devant le Tribunal de Grande Instance de Sibiu.

Elle se fonde d’une part sur le Règlement CEE n° 1408/71 (article 22, paragraphe 1, sous c) et 2, second alinéa), ainsi que sur la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.

Les parties adverses font grief à l’intéressée de ne pas établir l’impossibilité vantée, considérant que les conditions requises pour la délivrance du formulaire E112 ne sont dès lors pas remplies.

La question préjudicielle

Le juge national constatant qu’il y a divergence quant à l’appréciation des dispositions nationales et du droit de l’Union, une question est posée à la Cour de Justice. Le juge demande si l’impossibilité de dispenser des soins sur le territoire de l’Etat où l’assuré social réside doit être interprétée d’une manière absolue ou d’une manière raisonnable. En d’autres termes (texte de la question) une situation dans laquelle une intervention chirurgicale peut être effectuée dans l’Etat de résidence en temps utile et de manière satisfaisante sur le plan technique (puisque les spécialistes requis, disposant même d’un niveau équivalent de connaissances scientifiques) existe, mais dans laquelle les médicaments et les fournitures médicales de première nécessité font défaut, équivaut-elle à une situation dans laquelle les soins médicaux nécessaires ne peuvent pas être dispensés au sens de l’article 22, paragraphe 2, second alinéa du Règlement n° 1408/71 ?

La décision de la Cour

La Cour rappelle que la disposition du Règlement visé énonce deux conditions cumulatives pour que l’institution compétente soit tenue de délivrer l’autorisation préalable sollicitée par l’assuré social. La première est que les soins en cause doivent figurer parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat membre de résidence de l’assuré social. La seconde requiert que les soins que l’intéressé envisage de recevoir sur le territoire d’un autre Etat ne puissent lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit dans l’Etat de résidence, et ce compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution de sa maladie, la Cour de Justice renvoyant à l’arrêt ELCHINOV (ELCHINOV c/ NZK, Aff. n° C-173/09).

La Cour relève qu’elle est saisie, dans le cadre de la présente question préjudicielle, de la seconde condition. Elle rappelle qu’elle a déjà jugé que l’autorisation ne peut être refusée lorsqu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité ne peut être obtenu en temps opportun dans l’Etat de résidence (elle renvoie ici à d’autres arrêts).

Aux fins d’apprécier ce critère, la Cour considère qu’il y a obligation pour l’institution compétente de prendre en considération l’ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret (situation médicale du patient au moment où l’autorisation est sollicitée et, le cas échéant, degré de douleur ou nature du handicap qui pourrait par exemple rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice d’une activité professionnelle), ainsi également que ses antécédents (avec renvoi ici encore à la même jurisprudence).

Parmi ces circonstances, peut intervenir, dans un cas concret, un défaut de médicaments ou de fournitures médicales de première nécessité. La Cour rappelle que l’article 22 ne fait pas de distinction selon les raisons pour lesquelles une prestation médicale déterminée ne pourrait être fournie en temps opportun.

Une telle impossibilité doit s’apprécier au niveau de l’ensemble des établissements hospitaliers de l’Etat membre de résidence et, également, eu égard au laps de temps au cours duquel ces soins peuvent être obtenus en temps opportun.

En l’espèce, le Gouvernement fait valoir que l’intervention en cause devait, selon le médecin-traitant, être effectuée dans un délai de 3 mois. La Cour de Justice considère en conséquence que, si l’intéressée prouve le défaut de médicaments et de fournitures médicales de première nécessité qu’elle invoque, le juge national devra apprécier si cette intervention n’aurait pas pu être réalisée dans le délai requis dans un autre établissement.

Elle conclut dès lors, en ce qui concerne l’interprétation de l’article 22, paragraphe 2, second alinéa du Règlement CE n° 1408/71 du Conseil, que celui-ci doit être interprété en ce sens que l’autorisation requise (au titre du paragraphe 1, sous c), i) du même article) ne peut être refusé lorsque c’est en raison d’un défaut de médicaments et de fournitures médicales de première nécessité que les soins hospitaliers dont il s’agit ne peuvent être dispensés en temps opportun dans l’Etat membre de résidence. Elle rappelle également les critères d’appréciation de cette impossibilité, étant d’une part qu’il faut se reporter à l’ensemble des établissements hospitaliers dudit Etat aptes à dispenser les soins et, également, au laps de temps au cours duquel ces derniers peuvent être obtenus en temps opportun.

Intérêt de la décision

Cet arrêt clarifie les conditions d’octroi du formulaire E112, dans l’hypothèse de soins hospitaliers dispensés à l’étranger.

La Cour de Justice rappelle sa jurisprudence antérieure sur la question, ayant eu précédemment l’occasion de souligner que l’article 22, paragraphe 2, second alinéa du Règlement ne fait pas de distinction selon les différentes raisons pour lesquelles une prestation médicale déterminée ne peut être fournie en temps opportun. Il appartient dès lors au demandeur d’invoquer – et de prouver – une telle raison et il incombe au juge national de vérifier si l’impossibilité de bénéficier de la prestation en cause est effective au niveau de l’ensemble des établissements hospitaliers de l’Etat membre aptes à dispenser les soins en cause, ainsi qu’au regard du délai dans lequel ceux-ci sont requis.

Le refus d’autorisation préalable ne peut intervenir que si l’institution a, pour sa part, vérifié ces critères.


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