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Travailleur en mission à l’étranger : conditions de l’accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Mons et Charleroi, div. de Charleroi, 17 septembre 2014, R.G. 13/1.398/A

Mis en ligne le mercredi 14 janvier 2015


Tribunal du travail de Mons et de Charleroi (div. de Charleroi), 17 septembre 2014, R.G. n° 13/1.398/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 17 septembre 2014, le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi (div. de Charleroi) fait un important rappel des conditions de reconnaissance d’un accident du travail en cas de mission effectuée par le travailleur lors de la survenance de l’accident, le critère à prendre en compte étant l’exercice, même virtuel, de l’autorité de l’employeur. Il rappelle également qu’une faute, même lourde, dans l’exécution du contrat n’est pas exclusive de la réparation légale.

Les faits

Une action est introduite devant le tribunal du travail aux fins d’obtenir la réparation légale suite à un accident du travail mortel. La demande introduite porte sur le paiement de l’indemnité pour frais funéraires (article 10 de la loi) ainsi que les rentes pour les orphelins (article 13, § 1er).

Elle fait suite au décès du père des enfants, ouvrier-chauffeur de camion, décédé en Espagne en octobre 2009. Le travailleur, avec un collègue, avait effectué des travaux de chargement et s’était ensuite rendu sur une aire de service pour s’y sustenter et se rafraichir. Après avoir mangé dans un restaurant, l’intéressé resta au bar. Il eut ensuite une altercation avec un membre du personnel et son collègue vint le rechercher. Revenu sur l’aire de parking, l’intéressé entama une conversation avec un chauffeur d’un camion voisin. Celui-ci démarra et l’intéressé resta accroché au rétroviseur. Il le lâcha et fut en fin de compte écrasé par le véhicule. Il décéda pendant la nuit, peu de temps après l’accident. Il est apparu qu’il avait une quantité d’alcool importante dans le sang (3,11 gr/litre). Le chauffeur du camion (à l’origine de l’accident) fut relaxé par la juridiction espagnole, au motif de l’absence de faute pénale commise par lui.

L’assureur-loi de l’employeur a adressé, ultérieurement, un courrier à la demanderesse, (mère des enfants), considérant qu’il ne pouvait être question d’un accident du travail ni d’un accident survenu sur le chemin du travail, au motif que celui-ci n’était pas arrivé par le fait de l’exécution du contrat. L’assureur renvoyait l’intéressée au secteur maladie-invalidité.

Des précisions ont encore été données par l’assurance, qui précise, dans un courrier ultérieur, que l’accident est rejeté au motif que pendant son temps de repos le travailleur s’est adonné à la boisson et que, en état d’ébriété, il manifestait de l’agressivité. Il a, ensuite, été percuté accidentellement par le chauffeur du véhicule voisin qui voulait déplacer son camion afin de ne plus être importuné par l’intéressé.

Une procédure est alors introduite, donnant lieu au jugement annoté.

Décision du tribunal

Le tribunal reprend, en premier lieu, les conditions de l’accident du travail, au sens de l’article 7 de la loi, qui contient une présomption selon laquelle l’accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat est présumé l’être par le fait de cette exécution. La disposition prévoit en outre qu’est également considéré comme accident du travail celui survenu au travailleur en dehors du cours de l’exécution du contrat mais qui est causé par un tiers du fait de cette exécution.

A côté de cette présomption, la loi en organise une autre, étant que si la victime ou les ayants droit établissent, outre l’existence d’une lésion, celle d’un événement soudain, la lésion est présumée, jusqu’à preuve du contraire, trouver son origine dans un accident.

La question à résoudre en l’espèce est dès lors de savoir si l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat, les autres éléments ne donnant pas lieu à discussion.

C’est dès lors à un rappel des principes dégagés en doctrine et en jurisprudence que le tribunal se livre. Il commence par énoncer que, dans cette matière, la notion de « cours de l’exécution du contrat » est bien plus large que celle de l’exécution du travail. Il s’agit de déterminer si le travailleur est à ce moment sous l’autorité de l’employeur. Cette autorité peut même être virtuelle et il y a, au sens de l’article 7 de la loi, autorité dès lors que la liberté personnelle du travailleur est limitée en raison de cette exécution.

La jurisprudence de la Cour de cassation sur la question est constante, puisque dans un arrêt du 3 mai 1978 (Cass., 3 mai 1978, Pas., 1978, I, p. 1005 - 2e Arrêt), elle avait retenu que si le travailleur est obligé de séjourner plusieurs jours hors de son domicile pour l’exécution d’une mission, il exécute celle-ci pendant toute la durée du séjour. Même si l’accident survient pendant ce séjour à un moment où il n’exécute pas sa mission, il doit cependant être considéré comme survenu au cours de l’exécution du contrat.

Le tribunal renvoie encore aux conclusions du Procureur général LECLERCQ avant l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2010 (Cass., 25 octobre 2010, R.G. S.09.0081.F), qui a relevé la complexité de la notion, considérant, dans l’hypothèse particulière d’agression soumise à la censure de la Cour de cassation, que celle-ci avait été rendue possible par les modalités d’exécution du contrat de travail de l’intéressée, à savoir par le milieu naturel dans lequel ce contrat s’exécutait (gérante prestant seule, dans un bâtiment dont la configuration exiguë ne lui avait pas permis de s’enfuir,…).

Le tribunal reprend encore la jurisprudence selon laquelle le lien de causalité est le facteur déterminant, même si le travailleur n’a pas respecté en tous points les instructions et les ordres de l’employeur, s’il a outrepassé une interdiction formelle ou encore une stipulation du règlement de travail ou s’il a commis une imprudence (C. trav. Liège, 25 février 2011, R.G. 2010/AL/309).

Il écarte, en conséquence, les développements faits pas l’entreprise d’assurances relatifs à la faute intentionnelle de la victime, soulignant encore que, pour l’application de cette cause d’exclusion de la réparation, il faut que l’accident ait été intentionnellement provoqué par la victime, c’est-à-dire que celui-ci l’ait volontairement causé, même s’il n’en a pas voulu les conséquences.

Sur la relation entre l’alcoolémie et la faute intentionnelle, le tribunal renvoie à divers exemples (donnés par M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, La notion d’accident (sur le chemin) du travail : état des lieux, 2011, Kluwer, Waterloo, pp. 150-153), selon lesquels, notamment, l’intoxication ou l’ivresse pendant l’exécution du contrat de travail n’excluent pas l’application de la loi sur les accidents du travail et ne peuvent être assimilés à un acte intentionnel. Par conséquent, une chute qui s’ensuit donne lieu à réparation.

Une autre dimension du cas tranché est que le travailleur était en l’occurrence en mission et à cet égard le tribunal rappelle que celui-ci reste sous l’autorité – même virtuelle – de l’employeur tout au long de cette mission. Le fait de l’ivresse ne modifie pas la circonstance de l’exercice – même virtuel – de l’autorité.

L’examen du tribunal porte ensuite sur le fait de savoir si, ce faisant, le travailleur a fait ou non un usage normal de son temps libre : même s’il y avait imprégnation alcoolique, ce n’est pas ce fait qui est la cause de l’accident mais la réaction du chauffeur du camion voisin qui a pris la décision de faire démarrer son véhicule alors que l’intéressé – qui l’importunait peut-être – était venu lui parler et s’était accroché au rétroviseur.

Appliquant, enfin, les principes relatifs à la faute intentionnelle, le tribunal relève encore qu’il ne faut pas la confondre avec la faute lourde et que, en l’espèce, il n’est nullement établi que la victime a causé volontairement l’événement soudain à savoir le fait d’être écrasé par le camion.

Il fait dès lors droit à la demande de réparation, étant d’une part l’indemnité pour frais funéraires prévue à l’article 10 de la loi et les rentes aux enfants mineurs, dont il relève que ce droit persistera tant qu’ils auront droit à des allocations familiales et en tout cas jusqu’à l’âge de 18 ans.

Intérêt de la décision

Malgré la complexité apparente des faits et circonstances de l’accident, le tribunal suit, par un cheminement logique, les principes applicables à la notion d’exécution d’abord, à la situation du travailleur en mission ensuite et à la notion de faute intentionnelle enfin.

La solution dégagée est dès lors conforme aux principes.


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