Terralaboris asbl

Revenu d’intégration sociale – prise en compte des revenus des ascendants

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 octobre 2014, R.G. 2013/AB/173

Mis en ligne le lundi 22 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 23 octobre 2014, R.G. n° 2013/AB/173

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 octobre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la prise en compte des revenus des cohabitants d’un demandeur d’un revenu d’intégration sociale doit faire l’objet d’une appréciation motivée, celle-ci ne pouvant être discrétionnaire.

Les faits

Une étudiante de 18 ans bénéficie du revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Ses parents en sont également bénéficiaires. Suite à l’engagement du père dans le cadre de l’article 60 de la loi du 8 juillet 1976 sur les CPAS, il est décidé de supprimer le droit au revenu d’intégration sociale de la fille au motif que les ressources de la famille ont augmenté eu égard à la mise au travail.

La jeune fille introduit un recours devant le Tribunal du travail de Nivelles, qui par jugement du 8 janvier 2013 le déclare partiellement fondé et accorde un revenu d’intégration de 200€ par mois.

Le CPAS interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle, sur le plan des principes, qu’en vertu de l’article 16 de la loi du 26 mai 2002, toutes les ressources quelles qu’en soient la nature ou l’origine, dont peut disposer le demandeur, sont prises en considération. Peuvent également l’être celles des personnes avec lesquelles le demandeur cohabite, et ce dans la mesure fixée par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.

En application de cette disposition, l’article 24, § 2 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 prévoit qu’en cas de cohabitation avec un ou plusieurs ascendants ou descendants majeurs du 1er degré, la partie des ressources de chacune de ces personnes qui dépasse le montant du revenu d’intégration peut être prise en considération (en tout ou en partie). Il y a lieu d’attribuer fictivement au demandeur et à ses ascendants ou descendants majeurs le montant du revenu d’intégration sociale. Dans les autres cas de cohabitation avec des personnes qui ne sollicitent pas le bénéfice de la loi, il n’y a pas de prise en compte de ces ressources.

La cour constate dès lors qu’en cas de cohabitation avec lesdits ascendants ou descendants, la prise en compte est facultative. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 1993 (Cass., 120 mai 1993, J.T.T., 1993, p. 11), qui a exigé que l’appréciation intervienne dans chaque cas d’espèce et que la décision soit motivée. Il ne peut dès lors, pour la cour du travail, être décidé que l’appréciation est discrétionnaire. Cependant, la cour doit constater qu’aucune directive n’est donnée permettant au CPAS de déterminer les critères à prendre en compte et, relisant encore l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus, qui a renvoyé aux travaux préparatoires de la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d’existence, la cour du travail constate que quelques indications y figurent quant aux motifs pouvant guider le CPAS. Ces motifs sont de deux ordres, étant que, d’une part la charité ne doit pas être découragée mais que, d’autre part, les abus doivent être évités. Au-delà de ces considérations les critères restent extrêmement vagues et ne permettent pas de dire si la prise en compte est la règle ou l’exception.

Et la cour de constater qu’il n’est dès lors nullement étonnant qu’il y ait des divisions en jurisprudence sur la question.

L’arrêt poursuit en concluant que c’est au juge d’apprécier dans chaque cas d’espèce s’il est raisonnable de tenir compte desdites ressources. Cet examen du caractère raisonnable de la prise en compte porte tant sur la situation du demandeur que sur celle de l’ascendant et/ou du descendant concerné.

En l’espèce, la cour va constater qu’au moment de la décision, la jeune fille était âgée de 18 ans et n’avait pas encore terminé ses études secondaires. Elle remplissait les conditions pour bénéficier du revenu d’intégration mais comme le souligne l’arrêt il appartient aux parents de prendre en charge leurs enfants pendant la période de la scolarité. Il est d’ailleurs imposé au demandeur du revenu d’intégration de faire valoir ses droits vis-à-vis de ses débiteurs d’aliments (article 4 de la loi).

Examinant les revenus, avant et après la mise au travail du père, la cour constate que la famille devait disposer au moins de 3x la somme de 523,74€, dès lors qu’il y avait trois demandeurs de revenu d’intégration.

La cour reprend encore l’ensemble du budget remis par l’intéressée, comprenant les allocations familiales pour l’ensemble des enfants. Tenant compte de l’ensemble des éléments déposés, la cour constate que c’est à bon droit que le CPAS a pris en compte les ressources du père issues de son travail.

Sont considérés comme sans incidence d’une part le fait que le loyer a été augmenté et que les allocations familiales ont diminué.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle à juste titre la division en jurisprudence sur la question de savoir si, dans le cadre des conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale, la prise en compte des revenus des ascendants et/ou descendants du premier degré est la règle ou l’exception. Aucune indication ne figure en effet dans le texte, non plus que dans les travaux préparatoires. L’on « peut » donc prendre celles-ci en compte ou non. L’appréciation faite par la cour, étant que l’examen de chaque cas d’espèce doit porter sur le caractère raisonnable ou non de cette prise en compte aboutit en l’espèce à neutraliser, sur le plan des ressources familiales, le bénéfice tiré de la mise au travail du père dans le cadre de l’article 60.

L’on notera que le tribunal du travail avait retenu une solution plus nuancée puisque, tout en tenant compte du revenu du travail, il avait malgré tout accordé partiellement le droit au revenu d’intégration.


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