Terralaboris asbl

Discrimination à l’embauche : sanction légale

Commentaire C. trav. Bruxelles, 18 septembre 2014, R.G. 2012/AB/1.032 et 2012/AB/1.034

Mis en ligne le lundi 22 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 septembre 2014, R.G. n° 2012/AB/1.032 et 2012/AB/1.034

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que sont sanctionnés différemment des comportements de discrimination à l’embauche (pour raison de nationalité) et de harcèlement discriminatoire en cours de contrat.

Les faits

Une employée d’une société active dans le secteur du tourisme se plaint, à l’issue de sa période d’essai, de conditions de travail non satisfaisantes (essentiellement prestation d’heures supplémentaires non rémunérées). Une discussion intervient avec sa responsable. Les choses s’enveniment et des propos déplacés sont proférés par cette dernière.

L’employée s’adresse à son organisation syndicale, se plaignant d’être victime de comportements xénophobes.

Trois mois plus tard, la gérante de l’agence est licenciée moyennant préavis.

Après ce licenciement, l’employée déclare avoir découvert « par hasard » un projet de rapport jeté par son auteure dans une corbeille. Ce document évoque notamment les conditions de recrutement de l’employée, précisant que cette dernière s’était présentée deux fois mais qu’elle n’avait pas été retenue, vu son origine. Il est précisé qu’elle a en fin de compte été engagée vu qu’elle se serait « bien vendue » et aurait fait état de son mariage avec un policier belge. Le document contient, ensuite, diverses appréciations tout à fait personnelles sur l’intéressée et également sur la population « étrangère » du quartier. Ce document est transmis à la direction.

Un mois plus tard, l’employée est licenciée avec un préavis de trois mois, préavis commué en paiement d’une indemnité.

L’employée va ultérieurement prendre contact avec les responsables de l’entreprise eu égard aux difficultés vécues dans la relation de travail, aux propos grossiers dont elle a été victime ainsi qu’à l’ensemble des appréciations portées sur elle, particulièrement indélicates.

Le Centre pour l’égalité des chances intervient, ultérieurement, faisant état de harcèlement à caractère raciste.

La société est, en fin de compte, assignée en réparation devant le Tribunal du travail de Bruxelles, par l’employée et le Centre.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 3 septembre 2012, le tribunal du travail, saisi à la fois d’une demande d’indemnité forfaitaire de six mois en réparation d’une discrimination fondée sur l’origine nationale ainsi que d’une indemnité équivalente au titre de licenciement abusif alloue la première de ces deux indemnités en application de l’article 16 de la loi du 20 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.

Appel est interjeté par la société (en réalité deux sociétés, celles-ci ayant des liens étroits, la question de l’identité de l’employeur n’étant pas définitivement réglée).

Décision de la cour du travail

La cour constate, en premier lieu, que la gérante de l’agence a exprimé sans réserve des appréciations personnelles véritablement dégradantes, humiliantes et insultantes à l’encontre d’une personne d’origine étrangère. Pour la cour, il faut vérifier s’il y a eu dans le cadre des pratiques professionnelles des actes discriminatoires (actes qualifiés de harcèlement discriminatoire par le Centre).

Après avoir rappelé que, au sens la loi du 30 juillet 1981, la relation de travail vise les conditions d’accès à l’emploi ainsi que les conditions de travail et le licenciement lui-même et que les critères protégés sont notamment la nationalité, la prétendue race, la couleur de la peau, l’ascendance et encore l’origine nationale ou ethnique, la cour rappelle que l’article 29 de cette loi a été modifié par la loi du 10 mai 2007, le critère de l’article 7, § 1er, de celle-ci, pour retenir l’existence d’une discrimination interdite, étant une discrimination directe, et l’origine nationale ou ethnique.

La cour se penche ensuite sur la question de la preuve, état de savoir si les faits présentés établissent une présomption de discrimination, en dépit de la déloyauté de la travailleuse. Elle rappelle que, dans l’examen de l’existence d’une discrimination interdite au sens de la loi du 30 juillet 1981, la difficulté de la preuve est telle que le législateur a opté pour un mécanisme particulier.

La cour examine ainsi s’il y a des faits utiles permettant à la victime d’amener des éléments de nature à faire présumer la discrimination. Elle rappelle que toutes les exigences inhérentes au droit de la preuve doivent être rencontrées et que notamment celle-ci doit être licite, étant qu’il ne peut y avoir de transgression du droit au respect de la vie privée, que la preuve ne peut résulter de pratiques déloyales, etc.

S’agissant, plus précisément, d’apprécier si le document récupéré par l’employée dans la corbeille peut être utilisé aux fins d’établir avec d’autres faits la présomption requise, la cour constate que l’auteure du rapport (appelée à la cause) n’a pas demandé le rejet de cette pièce et n’en n’a pas dénié le crédit. S’agissant d’un projet de rapport professionnel, la cour le retient dès lors, constatant qu’il corrobore d’autres constatations (les déclarations d’une travailleuse témoin, ainsi que les plaintes déposées auprès de la police sur les attitudes xénophobes ou racistes de la gérante).

De l’ensemble des éléments concordants, vu à la fois les intérêts en jeu et le caractère d’ordre public de la matière, la cour retient ce projet de rapport, qui est considéré comme un fait utile mais n’est nullement déterminant par lui-même. Il ne peut permettre d’établir une présomption que s’il est corroboré avec une totale précision par d’autres faits. Il s’agit, ici, de garantir le procès équitable. Ces faits, examinés ensemble, sont cependant considérés comme constituant une présomption de discrimination à l’embauche, pour laquelle la présomption légale s’applique.

En ce qui concerne le harcèlement discriminatoire durant l’exécution du contrat, la cour rappelle que malgré l’avis rendu par le Conseil du Centre de l’égalité des chances sur la question, le législateur a opté pour une restriction en cas de harcèlement discriminatoire et qu’il y a lieu de recourir, ici, à la loi du 4 août 1996. L’article 6 de la loi du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 précise que les dispositions qu’elle contient ne sont pas applicables en cas de harcèlement dans les relations de travail vis-à-vis des personnes visées à l’article 2, §1er, 1°, c’est-à-dire les travailleurs. Pour la cour, l’intéressée eut dû recourir aux dispositions protectrices de la loi sur le bien-être. Or, elle a consulté son organisation syndicale et a demandé de ne pas intervenir.

Enfin, sur le licenciement, le caractère abusif n’est pas établi, s’agissant de prouver l’abus de droit, avec ses exigences et conditions.

La cour va dès lors retenir en conclusion qu’il y a eu lieu d’indemniser l’intéressée pour discrimination à l’embauche et, celle-ci ayant opté pour l’indemnisation forfaitaire, confirme la décision du tribunal qui a alloué l’équivalent de six mois de rémunération, en application de l’article 16 de la loi du 30 juillet 1981.

Elle considère par ailleurs, eu égard à la mise en cause par l’employeur de la responsabilité civile de la gérante, que, si l’employeur est responsable des dommages causés par celle-ci à sa travailleuse, les faits dommageables ont été accomplis au moment où la gérante était au service de la société et que, celle-ci s’étant rendue responsable d’une discrimination directe, il y a faute lourde, au sens de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978.

Cette faute n’est pas excusable, s’agissant d’une atteinte à l’ordre public et ayant également engendré une souffrance dans le chef de la victime.

Enfin, la cour considère que l’action du Centre est recevable mais que celui-ci n’est pas fondé à demander des dommages et intérêts, le dispositif de la protection légale incluant un régime d’indemnisation de la victime (article 16), des astreintes (article 17) et une action en cessation (article 18), et ce en sus de dispositions pénales. Les indemnisations se limitent à la victime et le Centre ne peut y prétendre.

Intérêt de la décision

Cet arrêt examine minutieusement le contexte légal du litige. Il distingue très judicieusement la discrimination à l’embauche, pour laquelle une indemnisation forfaitaire peut être obtenue par l’intéressée ainsi que le harcèlement discriminatoire dans le cours de l’exécution du travail (pour lequel il y a lieu de se référer à la loi du 4 août 1996 sur le bien-être). Enfin, la cour rappelle que le Centre pour l’égalité des chances ne peut revendiquer d’indemnisation pour lui-même, les sanctions légales étant précisées dans le texte, la victime seule pouvant prétendre à une réparation financière.


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