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Transfert des biens et des membres du personnel d’un hôpital vers plusieurs autres entités : transfert d’entreprise ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 septembre 2014, R.G. 2013/AB/837

Mis en ligne le mercredi 17 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 17 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/837

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt (en réalité plusieurs) du 17 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles fait un rappel complet de la jurisprudence de la Cour de Justice sur les conditions d’existence d’un transfert d’entreprise, la situation visant en l’occurrence l’éparpillement des biens et membres du personnel vers diverses entités sans lien entre elles.

Les faits

Un hôpital annonce, en avril 2008, son intention de procéder à un licenciement collectif. Un mois plus tard, il est décidé de la mise en liquidation de l’A.S.B.L. qui le gère. Toute activité médicale ayant pris fin, le personnel est dispensé de toutes prestations sous réserve de missions temporaires de surveillance pour certains d’entre eux.

Le mois suivant, un consortium de sept cliniques formule des propositions de reprise individuelle de certains éléments d’actif identifiés. Aucune solidarité entre offrants ou à l’égard de la liquidation n’est prévue, la condition étant cependant posée que les liquidateurs acceptent globalement ces offres.

Sur le plan de la situation du personnel, les choses sont expliquées par les liquidateurs à des réunions de la délégation syndicale. Il ressort, de l’évolution des opérations, que le personnel entre au service d’un autre centre repreneur. Dans l’espèce annotée, il s’agit d’un centre de revalidation, où l’intéressée poursuit ses fonctions d’ergothérapeute. Elle produit une créance au passif de l’A.S.B.L. et celle-ci est refusée.

Une procédure est dès lors introduite devant le tribunal du travail, qui, par jugement du 25 mars 2013, fait droit à sa demande. Celle-ci porte sur des rémunérations, une indemnité de rupture, des pécules de vacances et d’autres sommes à caractère rémunératoire.

Appel est interjeté par l’A.S.B.L.

Les arrêts de la cour du travail

La cour rend un premier arrêt en date du 31 mars 2014, rejetant des demandes préjudicielles que l’A.S.B.L. en liquidation demandait de poser à la Cour de Justice. La cour a considéré celles-ci comme prématurées.

L’arrêt du 17 septembre 2014

Cet arrêt reprend, en premier lieu, les questions que la partie appelante demande de poser à la Cour de Justice, aux fins d’arriver à une uniformité de jurisprudence, eu égard à des divergences dans les décisions des juridictions du travail belges.

Ces questions portent en premier lieu sur la question de savoir si constitue un transfert d’entreprise l’opération par laquelle, sur la base d’une convention unique conclue entre un établissement hospitalier en liquidation et diverses institutions, la majorité des biens et du personnel de la partie cédante sont transférés à ces repreneurs, eu égard au caractère « éparpillé » entre les différentes institutions cessionnaires. Elles portent également sur la question de savoir si, en cas d’application de la C.C.T. 32bis, les licenciements intervenus la veille du transfert doivent être considérés comme nuls et non avenus, sur la base des principes de protection qui y sont convenus, le personnel conservé devant alors être considéré comme étant toujours en service à la date du transfert, ce qui impliquerait que, vu le constat de nullité, les travailleurs concernés ne pourraient prétendre au paiement d’une indemnité de rupture.

L’intéressée considère pour sa part qu’il n’y a pas eu de transfert conventionnel d’entreprise et que ces questions n’ont pas d’utilité. Elle se fonde précisément sur le caractère éparpillé de la reprise pour considérer que l’on ne peut être en présence du transfert d’une unité en tant que « going concern », une telle entité étant susceptible de maintenir son identité après le transfert.

La cour se prononce, dès lors, sur la question de principe de l’existence d’un transfert d’entreprise dans une telle situation.

Elle reprend la Directive 2001/23 du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise, qui définit le transfert comme étant celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

Après avoir repris les principales étapes de la jurisprudence de la Cour de Justice sur la question, la cour conclut qu’il ne peut y avoir transfert d’une entreprise (ou d’un établissement, ou encore d’une partie d’établissement) en raison du seul fait que des actifs ont été aliénés. Dans la C.C.T. 32bis, il est par ailleurs expressément exigé que le transfert touche une entité économique qui conserve son identité, à savoir un ensemble de moyens organisés, et ce en vue de la poursuite d’une activité principale ou accessoire. Il faut dès lors que la structure organisationnelle soit maintenue. La cour reprend ici expressément l’arrêt de la Cour de Justice du 12 février 2009 (Aff. n° 466/07), selon lequel il faut qu’il y ait maintien d’un lien fonctionnel entre les divers facteurs transférés, ce qui doit permettre au cessionnaire d’utiliser ces derniers, même s’ils sont intégrés après le transfert dans une nouvelle structure organisationnelle différente, afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue.

Rien ne permet, pour la cour, de constater l’existence d’un tel lien fonctionnel en l’espèce entre l’activité médicale concernée par les lits transférés (à la nouvelle institution) et la nouvelle activité professionnelle de l’intéressée.

Vu l’absence de preuve du maintien du lien fonctionnel d’interdépendance et de complémentarité entre les divers facteurs de production transférés, il n’y a pas de transfert d’entreprise.

La cour examine ensuite si l’intéressée a renoncé à son indemnité compensatoire de préavis, les liquidateurs faisant valoir que le licenciement est non avenu, celle-ci étant entrée immédiatement au service du nouveau centre.

Pour la cour, même s’il n’y a pas eu interruption de service entre les deux contrats, l’intéressée ne fait que légitimement réclamer l’indemnité à laquelle elle a droit à la suite du licenciement notifié avant son entrée en service auprès de la nouvelle institution.

Elle constate également qu’aucune modalité particulière de fin de contrat ne lui a été proposée et qu’elle ne commet dès lors aucun abus, ne manquant ni à une obligation de loyauté ni à un devoir de modération. Elle ne fait que solliciter ce qui lui est dû à la suite de l’acte unilatéral de rupture intervenu.

La cour rappelle encore, examinant un procès-verbal de réunion avec la délégation syndicale ainsi qu’un échange de correspondance, que l’on ne pourrait voir là une preuve de la renonciation par l’organisation syndicale au bénéfice des indemnités compensatoires de préavis. Le mandat des organisations syndicales ne couvre pas les actes de disposition, tels que les renonciations. Il aurait fallu, ainsi que le souligne la cour, qu’il y ait, dans une telle hypothèse, mandat spécial donné par les travailleurs aux délégués syndicaux pour renoncer à l’indemnité. Il ne peut par ailleurs être question de mandat apparent.

Sur le montant de l’indemnité, la cour en confirme l’évaluation par le premier juge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail statue dans une hypothèse particulière, étant l’éparpillement des éléments de l’entité économique transférée vers plusieurs entités nouvelles, qui n’assurent plus le maintien de l’identité économique. Il n’y a, dans une telle espèce, pas de maintien de lien fonctionnel d’interdépendance et de complémentarité entre les divers facteurs de production transférés.


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