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Indemnité de maternité : non-cumul avec l’indemnité pour discrimination prohibée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2014, R.G. 2013/AB/370 et 2013/AB/378

Mis en ligne le mercredi 26 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 3 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/370 et 2013/AB/378

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine la réalité des motifs (économiques) avancés par un employeur à l’appui d’un licenciement d’une travailleuse enceinte et fait droit à la demande d’indemnité, ceux-ci n’étant pas avérés, non plus que le lien avec le contexte économique vanté avec le licenciement. Elle considère cependant que cette indemnité a le même objet que celle prévue par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.

Les faits

Une employée, assistante commerciale, fait savoir à son employeur, par courrier recommandé et par e-mail qu’elle est enceinte. Deux jours plus tard, la société employeur lui notifie la rupture du contrat de travail moyennant un préavis de trois mois. Il est fait état d’un entretien qui a eu lieu le jour précédant l’envoi du courrier recommandé et de l’e-mail.

L’intéressée conteste son licenciement, faisant valoir que la discussion en cause était relative à des difficultés de commandes passées par les bureaux étrangers de la société, difficultés auxquelles elle était totalement étrangère, ce que la société conteste, signalant qu’elle avait fait l’objet d’une évaluation et que lors de cet entretien précisément la direction lui avait fait part de son mécontentement quant à ses prestations. La société précise que le lendemain de cet entretien, une nouvelle discussion devait avoir lieu avec un représentant de la direction et qu’elle ne s’y était pas présentée, ayant quitté le bureau sans avertir et ayant notifié sa grossesse en fin de journée. La société renvoie également à des difficultés financières et à l’existence d’un plan de « rétablissement » ayant exigé la suppression de trois postes.

Une procédure est alors introduite, l’intéressée réclamant à la fois une indemnité de protection de maternité, en application de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail et une indemnité pour discrimination, conformément à l’article 23, § 2, 2° de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles a statué par jugement du 19 février 2013 et a fait droit à la demande de protection de maternité, déboutant l’intéressée du surplus de sa demande.

Position des parties devant la cour

La société, appelante, postule la réformation du jugement, considérant que la preuve est apportée de motifs de licenciement étrangers à l’état de grossesse.

L’intéressée demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné son ex-employeur à l’indemnité de protection prévue à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 mais réintroduit la demande initialement formée devant le premier juge, basée sur une discrimination prohibée.

Décision de la cour du travail

La cour examine successivement les deux mesures de protection contre le licenciement.

Elle reprend en premier lieu les éléments à prendre en compte dans le cadre de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. La cour rappelle que cette disposition ne contient pas une interdiction absolue de licencier mais une restriction de ce droit dans le chef de l’employeur, des motifs étrangers à l’état physique qui résulte de la grossesse ou de l’accouchement pouvant être admis.

La cour précise, renvoyant à sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2010, R.G. n° 2009/AB/52.266) que les motifs doivent être totalement étrangers à cet état et que s’ils sont en partie liés à celui-ci et en partie étrangers à lui, le licenciement n’est pas autorisé.

Elle reprend ensuite le mécanisme probatoire. L’employeur doit apporter une triple preuve : (i) l’existence de faits objectifs montrant que le licenciement intervient pour des motifs étrangers, (ii) la sincérité de ces motifs et (iii) le lien de causalité entre les faits étrangers et le licenciement. Ainsi, si le motif est la nécessité de réduire le personnel, cette nécessité doit être prouvée, même si l’employeur reste seul juge des nécessités de son entreprise et de la valeur professionnelle des travailleurs.

La cour retient que les motifs invoqués par la société sont de deux ordres, étant d’une part les capacités et performances professionnelles de la travailleuse et d’autre part des motifs d’ordre économique.

Sur les premiers, la cour constate rapidement que l’intéressée n’a jamais fait l’objet de remarques pendant l’exécution du travail. Il n’est dès lors pas possible de vérifier l’existence réelle de ce motif.

Elle en vient ensuite au motif économique et rappelle, avec la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, Sect. Namur, 19 mai 2009, R.G. n° 8610/08), qu’il ne suffit pas d’établir des faits étrangers à l’état physique de la travailleuse mais il faut que ceux-ci soient en lien causal avec la décision de rupture. Elle poursuit son analyse des éléments de fait qui lui sont soumis et constate que les éléments invoqués (résultats déficitaires, mesures prises aux fins de retrouver une rentabilité, …) ne permettent pas de vérifier l’existence du motif économique allégué.

Il n’y a dès lors pas production de faits objectifs établissant la réalité des raisons économiques invoquées et surtout la nécessité de licencier l’employée, suite à ces éléments. Le lien de causalité entre des pertes économiques alléguées et le licenciement n’est pas établi.

La cour relève encore la concomitance entre l’annonce de l’état de grossesse et la décision de licenciement et constate que c’est à bon droit que le premier juge a accordé l’indemnité de protection de maternité.

La cour en vient ensuite à l’examen de l’indemnité pour discrimination fondée sur le genre et rappelle le mécanisme de protection de la loi du 10 mai 2007 en ses articles 4, § 1 et suivants, reprenant in extenso le texte de l’article 23 relatif à l’indemnisation du travailleur victime d’une discrimination. Tout en soulignant que le licenciement d’une travailleuse enceinte est contraire au principe de l’égalité de traitement, lorsqu’il est consécutif à l’annonce de l’état de grossesse et que les motifs étrangers à celle-ci ne sont pas établis, la cour est d’avis que la protection de la maternité telle qu’elle est prévue par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 assure déjà une protection identique à celle qui découle de la loi anti-discrimination. Il ne peut y avoir de cumul des indemnités, l’objet de la protection étant identique. La cour considère qu’admettre le droit supplémentaire à l’indemnité prévue à l’article 23, § 2, 2° de la loi du 10 mai 2007 reviendrait à accorder à la femme enceinte une position privilégiée. Elle estime dès lors qu’il n’y a pas lieu de faire droit à ce chef de demande.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les exigences classiques posées par la jurisprudence dans l’analyse du motif étranger à la grossesse, critères calqués sur les conditions admises dans une jurisprudence constante rendue dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (licenciement abusif des ouvriers avant le 1er avril 2014). L’examen doit intervenir en trois temps, devant porter d’abord sur l’existence de faits objectifs constituant des motifs étrangers à l’état de grossesse, ensuite sur la sincérité de ceux-ci et, enfin, sur le lien de causalité entre une situation objectivement constatée et la nécessité de rompre le contrat de travail.

Ainsi que cet arrêt l’illustre, il ne suffit pas, s’agissant d’un motif économique, de faire état de difficultés, de pertes financières, de nécessité de redresser l’équilibre financier de la société, dans la mesure où le juge doit pouvoir constater l’existence des motifs invoqués, la sincérité requise et, encore, le lien entre une telle situation et la nécessité de licencier la travailleuse enceinte.

Un deuxième enseignement tiré de cet arrêt est que la cour considère que l’objet de la protection est identique à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 et à l’article 23 de la loi du 10 mai 2007. En conséquence, elle estime que les indemnités ne peuvent se cumuler.


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