Terralaboris asbl

Protection contre le licenciement pour les représentants du personnel : institution conventionnelle d’un organe

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 juin 2014, R.G. 2013/AB/108

Mis en ligne le mercredi 26 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 23 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/108

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’institution conventionnelle d’un C.P.P.T. au sein d’une entreprise ne confère pas à ses membres la protection contre le licenciement prévue par la loi du 19 mars 1991. Par contre, l’exercice par un délégué syndical des missions de celui-ci emporte cette protection.

Les faits

Dans le cadre des élections sociales de 2008, les organisations représentatives adressent un courrier à la direction d’une société, constatant que, vu un nombre inférieur de candidats par rapport aux postes à pourvoir, il y aurait arrêt de la procédure d’élection. Une convention d’entreprise est alors conclue, dans le cadre de laquelle un C.P.P.T. est institué, dans lequel sept représentants des travailleurs siègent. Des suppléants sont également désignés. Il est prévu que, pour tous ces travailleurs, les mêmes procédures de licenciement devraient être respectées et que ceux-ci bénéficieraient de la protection de la loi du 19 mars 1991, ainsi que d’une C.C.T. de secteur (nettoyage – C.P. 121).

Ayant, en 2010, reçu des plaintes de la part du client chez qui l’un de ces travailleurs prestait, la société s’est tournée vers son secrétariat social, en vue du licenciement. Celui-ci a confirmé par courriel que l’intéressé devait se voir octroyer 42 jours d’indemnité compensatoire de préavis et que celle-ci était de l’ordre de 2.000 €. La société a dès lors mis fin au contrat de travail dans ces conditions. L’intéressé a, après le licenciement, réclamé une indemnité de 2 ans de salaire et, vu l’absence de règlement amiable, a introduit une procédure devant le tribunal du travail, procédure dans laquelle il réclame un montant de l’ordre de 35.000 €, correspondant à 104 semaines de rémunération. La société a appelé le secrétariat social en intervention forcée.

Par jugement du 18 décembre 2012, le tribunal du travail a fait droit à la demande principale. Quant à la demande mue contre le secrétariat social, elle a été considérée comme partiellement fondée, celui-ci étant condamné à payer un montant forfaitaire de 5.000 € à la société.

Celle-ci a interjeté appel, demandant que l’intéressé soit débouté de sa demande et sollicitant, en cas de condamnation de sa part, que le montant en cause soit mis à charge du secrétariat social.

La décision de la cour

La cour se prononce, en premier lieu, sur la question de la protection contre le licenciement. Elle constate tout d’abord que l’intéressé ne bénéficiait pas de la protection légale du candidat présenté aux élections sociales, la Cour de cassation ayant rappelé à cet égard (l’arrêt renvoyant à un arrêt de la Cour suprême du 15 mai 2000, n° S.00.0194.Nt) que seuls les candidats délégués du personnel qui sont mentionnés sur la liste définitive bénéficient de la protection contre le licenciement. Elle rappelle les termes de l’article 78, § 3 de la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales, selon lesquels la procédure électorale est arrêtée pour une ou plusieurs catégories de travailleurs lorsque, pour la catégorie concernée, une liste de candidats n’a été déposée que par une seule organisation représentative (de travailleurs ou de cadres) et que le groupe de candidats présentés est inférieur ou égal au nombre de mandats effectifs à attribuer. Or, en l’espèce, deux listes de candidats ont été déposées, de telle sorte que le travailleur ne peut bénéficier de la protection contre le licenciement sur cette base.

Par contre, la cour conclut à l’existence d’une protection en application de l’article 52 de la loi du 4 août 1996, selon lequel la délégation syndicale est chargée d’exercer les missions du CPPT lorsqu’un comité n’est pas institué dans l’entreprise. Dans une telle hypothèse, les membres de la délégation syndicale bénéficient de la même protection que les délégués du personnel des comités, au sens de la loi du 19 mars 1991. La cour rappelle le caractère d’ordre public de cette disposition. L’institution conventionnelle d’un C.P.P.T. ne pouvait avoir pour conséquence d’écarter l’application de l’article 52.

La cour relève encore que, dans cette convention collective, il est expressément prévu que l’intéressé bénéficierait d’une telle protection. Elle écarte la référence faite par la société à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1981 (Cass., 23 novembre 1981, n° 3031), selon lequel la protection légale ne peut être accordée aux représentants désignés en dehors d’une obligation de l’employeur à cet égard. Le droit à la protection ne gît dès lors pas dans l’institution conventionnelle de l’organe, mais dans l’exercice par le délégué syndical des missions du C.P.P.T. au sens de l’article 52.

La cour constate donc que l’intéressé n’a pas été licencié conformément aux exigences légales et confirme son droit à l’indemnité.

En ce qui concerne la responsabilité du secrétariat social, second point important examiné par la cour ensuite, celle-ci analyse les échanges intervenus avec la société. Elle constate qu’à aucun moment, il n’est apparu que le représentant du secrétariat social aurait été informé de la qualité de délégué syndical de l’intéressé, mais que, en tant que spécialiste de ce genre de situation, il aurait dû s’informer quant à cette question. La cour considère qu’il y a manquement au comportement qu’aurait dû avoir une personne normalement prudente et diligente placée dans la même situation. Il y a dès lors une faute. Quant au dommage, la cour rappelle qu’il doit être la conséquence directe et immédiate du manquement contractuel, en vertu de l’article 1151 du Code civil, et que le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou que l’on a pu prévoir lors du contrat, règle de l’article 1150 du même Code.

La convention entre parties limitant la réparation du dommage à 5.000 €, la cour examine s’il ne pourrait s’agir en l’espèce d’une faute lourde, dont la réparation pourrait excéder ce montant. Pour la cour, il n’y a pas de faute lourde en l’espèce, l’employeur étant une société occupant plus de 100 membres du personnel – et ayant d’ailleurs conclu une convention collective régissant les conditions de licenciement – et ayant donc l’expérience de ce type de situation. La cour examine encore la convention entre la société et le secrétariat social, relevant que l’engagement de celui-ci consiste principalement dans l’exécution de diverses missions habituelles incombant à un service interne du personnel. Elle reprend l’ensemble des tâches liées à celles-ci, essentiellement d’ordre administratif, pour lesquelles un montant forfaitaire mensuel est payé, couvrant une durée de prestation également forfaitaire.

En conséquence, la cour limite les dommages et intérêts à charge du secrétariat social à la somme de 5.000 €.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles aborde deux questions très distinctes, dont chacune présente un intérêt certain.

En ce qui concerne la protection du candidat aux élections sociales, elle rappelle le mécanisme légal sur la question, particulièrement en cas d’arrêt de la procédure électorale. S’il y a institution d’un organe conventionnel, il n’y a pas de protection légale, vu le caractère d’ordre public des dispositions légales. Par contre, l’exercice du mandat par un délégué syndical est une hypothèse où la protection est prévue. En l’absence d’un tel exercice, l’intéressé n’aurait, en l’espèce, pas pu bénéficier de cette protection.

Par ailleurs, la seconde question examinée par la cour est d’un intérêt concret au quotidien, puisqu’elle porte sur les relations entre un employeur et son secrétariat social. Les limites de la responsabilité de ce dernier sont certes fixées par le contrat, mais également par le Code civil, et la cour du travail renvoie ici très utilement à la notion de faute lourde, ainsi qu’à un arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 1979 (Cass., 22 mars 1979, R.W., 1979-1980, col. 2238), qui a rappelé que, conformément à l’article 1162 du Code civil, dans le doute quant au sens ou à la portée d’une convention, c’est-à-dire s’il n’est pas possible d’en déterminer le sens ou la portée par des éléments intrinsèques ou extrinsèques à l’acte, le juge doit interpréter celle-ci contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation.


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