Terralaboris asbl

Illégalité de la cotisation annuelle forfaitaire à charge des sociétés

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 29 septembre 2014, R.G. 09/12.058/A et 09/12.059/A

Mis en ligne le mercredi 26 novembre 2014


Tribunal du travail de Bruxelles, 29 septembre 2014, R.G. n° 09/12.058/A et 09/12.059/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 29 septembre 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles a statué après l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juin 2011, concluant à l’illégalité de la cotisation annuelle à charge des sociétés imposée par la loi du 30 décembre 1992.

Rétroactes

Le tribunal du travail avait été saisi d’une demande introduite par trois sociétés et une personne physique dans le cadre d’une opposition à contrainte relative au paiement de la cotisation annuelle de solidarité. Il rendit un premier jugement en date du 21 juin 2010, posant une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. Celle-ci portait sur la question de savoir si la loi du 26 juin 1992 (remplacée par celle du 30 décembre 1992) violait les articles 10 et 170 à 173 de la Constitution en ce que cette cotisation unique serait en réalité un impôt (même déguisé, auquel cas elle ne pourrait être mise en œuvre par de simples arrêtés royaux et devrait en toute hypothèse se rapporter à un service presté au profit du citoyen qui le paye). Le tribunal avait ainsi suspendu tout effet auxdites contraintes dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle.

La décision de la Cour constitutionnelle du 16 juin 2011

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a conclu (point B.6.1.) que les sociétés sont, en application des dispositions visées (article 91 de la loi du 30 décembre 1992 et ses modifications ultérieures), redevables d’une cotisation forfaitaire annuelle qui doit être considérée comme un impôt. La Cour constitutionnelle a relevé qu’en vertu de l’article 170, § 1er et de l’article 172, alinéa 2 de la Constitution, aucun impôt ne peut être levé et aucune exemption d’impôt ne peut être accordée sans qu’ait été recueilli le consentement des contribuables exprimé par leurs représentants. La matière fiscale est une compétence que la Constitution réserve à la loi et toute délégation portant sur un des éléments essentiels de l’impôt est inconstitutionnel (point B.5.1.).

Le jugement du Tribunal d’Arrondissement de Bruxelles du 13 janvier 2014

Suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, l’affaire est revenue devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui a renvoyé la cause devant le Tribunal d’Arrondissement de Bruxelles par un nouveau jugement du 27 mai 2013, aux fins de déterminer la compétence matérielle de la juridiction saisie, s’agissant d’une « cotisation » unique due par les sociétés au profit du statut social des travailleurs indépendants, cotisation dont la Cour constitutionnelle a retenu le caractère d’impôt.

Le Tribunal d’Arrondissement de Bruxelles a considéré que la compétence d’attribution d’une juridiction s’apprécie au moment où l’affaire est introduite et qu’un déclinatoire de compétence soulevé ultérieurement, soit après l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur question préjudicielle 2 ans après l’introduction de l’action, est irrecevable.

Le jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 29 septembre 2014

Après avoir rappelé ces rétroactes, le tribunal conclut assez longuement sur la compétence.

Sur le fond, il relève que les parties demanderesses, étant les parties opposantes à la contrainte, font valoir que, s’agissant d’un impôt, les cotisations ne sont pas exigibles et – le seraient-elles – leur nullité doit être constatée. En outre, l’I.N.A.S.T.I. n’a ni la capacité ni la qualité pour procéder à leur recouvrement et à leur enrôlement.

Elles précisent leur position suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle en faisant valoir quatre points essentiels, étant (i) le principe constitutionnel d’annualité de l’impôt, (ii) l’incompétence des caisses d’assurances sociales pour percevoir un impôt et/ou procéder à son enrôlement, (iii) la nullité de la cotisation annuelle inégalement répartie et (iv) la violation de la Directive 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 (et sa modification par la Directive 85/303/CEE du Conseil du 10 juin 1985) organisant la taxation frappant les rassemblements de capitaux.

Le tribunal fait valoir en un bref attendu que ces arguments ne sont pas adéquatement rencontrés par l’I.N.A.S.T.I. et qu’il ne peut qu’entériner le constat fait par la Cour constitutionnelle qu’il s’agit d’un impôt et que le mode de perception de celui-ci ne se révèle effectivement pas répondre aux diverses prescriptions fiscales précises et rigoureuses en vigueur en cette matière. Il accueille dès lors l’opposition à contrainte.

Intérêt de la décision

Même si la motivation du tribunal est particulièrement succincte, le jugement se bornant à renvoyer à la référence faite par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 16 juin 2011 à la nature d’impôt de la cotisation, la décision est déterminante.

Ainsi, concomitamment, la doctrine (FRANQUET V. et GUNUMANA-SHATANGIZA S., « La ‘cotisation’ à charge des sociétés et les arrêts de la Cour constitutionnelle des 16 décembre 2010 et 16 juin 2011 : quel conséquence pour le financement du statut social des travailleurs indépendants ? », Ors., 2014, p. 7) a consacré un important article à la question. Les auteurs ont rappelé que cette cotisation a été instaurée en 1992 comme mode de financement de la sécurité sociale des travailleurs indépendants et qu’elle a rapporté pour l’année 2013 la somme de près de 205 millions d’impôts. Elle représenterait 3% des recettes totales du statut social. Les auteurs analysent, dans un long commentaire, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui avait précédemment rendu un premier arrêt, en date du 16 décembre 2010 (arrêt n° 142/2010). L’accent a été mis, dans cet arrêt, sur le mot « notamment » figurant à l’article 91 de la loi du 30 décembre 1992, la Cour l’ayant considéré comme contraire à la règle de l’attribution au pouvoir législatif de la compétence fiscale figurant à l’article 170 de la Constitution.

Le jugement annoté n’est, à l’heure actuelle, pas définitif.

Affaire à suivre donc…


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