Terralaboris asbl

Accident de droit commun : effets d’une convention transactionnelle sur l’obligation d’intervention de l’organisme assureur en AMI

Commentaire de C. trav. Mons, 11 septembre 2014, R.G. n° 2013/AM/289

Mis en ligne le mardi 18 novembre 2014


Cour du travail de Mons, 11 septembre 2014, R.G. n° 2013/AM/289

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 septembre 2014, la Cour du travail de Mons est amenée à rappeler la portée d’une convention réglant de manière définitive les conséquences d’un accident de roulage sur les droits de l’assuré social en matière d’assurance soins de santé et indemnités.

Les faits

Madame L. a été victime d’un grave accident de roulage en 1986, accident qui a donné lieu à diverses opérations chirurgicales.

Dans le cadre du règlement des séquelles de l’accident, les parties recourent à une expertise médicale amiable. Un rapport est établi, concluant à une date de consolidation en janvier 1989 et à une invalidité permanente partielle sans répercussion économique de 5%. L’intéressée étant partiellement responsable de l’accident, la moitié du dommage est mise à sa charge (absence de port de la ceinture de sécurité).

À la suite de ce rapport, une convention transactionnelle réglant définitivement les séquelles pour solde de tout compte est signée. Elle porte sur un montant de l’ordre de 20.000€ et vise à la fois le principal et les frais accessoires des conséquences directes ou indirectes, présentes ou à venir, connues ou inconnues.

Cinq ans plus tard, l’intéressée doit être hospitalisée à deux reprises pour des problèmes liés aux mêmes séquelles. Elle demande, en conséquence, son indemnisation dans le cadre d’une incapacité totale et partielle de travail pendant la période correspondante ainsi que la prise en charge de soins de santé.

L’organisme assureur réclame, ultérieurement, à l’intéressée le remboursement d’indemnités versées indûment, et ce eu égard à l’interdiction de cumul visée à l’article 136, § 2 alinéa 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Une autre décision identique est prise peu après concernant le remboursement de soins de santé (étant réduits à la moitié des soins pour lesquels il y a eu indemnisation pendant la période correspondante).

L’intéressée introduit un recours contre ces deux décisions.

Par jugement du 26 janvier 2010, un expert est désigné. Il conclut que tant l’incapacité de travail nouvelle que l’hospitalisation en cause et les soins de santé sont en rapport direct avec l’accident et que l’intéressée avait pendant la période considérée perdu les deux tiers de sa capacité de travail.

Par jugement du 28 mai 2013, le Tribunal du travail de Tournai entérine les conclusions du rapport et déboute l’intéressée de sa demande, confirmant ainsi qu’elle doit rembourser les montants réclamés par sa mutuelle.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

Tout en reprenant sa thèse développée en première instance, selon laquelle l’ensemble des indemnités et remboursements de soins de santé doit être pris en charge par l’organisme assureur, l’appelante sollicite à titre subsidiaire de nouveaux travaux d’expertise, et ce sur un point précis, étant que dans le décours immédiat de l’accident, une première intervention chirurgicale avait eu lieu en 1987 et que, à l’occasion de celle-ci, une faute médicale était susceptible d’être intervenue. L’intéressée demande, en conséquence, que l’on examine l’existence de cette faute médicale et que l’on détermine les lésions et séquelles directement imputables à celle-ci. L’intéressée conteste, ainsi, que les indemnités pour incapacité et le paiement des soins de santé pendant les années 1994 à 1996 soient liés à l’accident de roulage lui-même, considérant qu’elles peuvent être en lien, au contraire, avec l’erreur médicale commise en 1987.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle le mécanisme anti-cumul de la loi du 14 juillet 1994, contenu à l’article 136, § 2, alinéa 1er, soulignant que, si des sommes ont été accordées en vertu de la loi ou du droit commun, dans une mesure moindre que celles allouées dans le cadre AMI, le bénéficiaire a droit à la différence à charge de ce secteur.

Dans le cas d’un préjudice futur, la cour rappelle la doctrine de M. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « Difficultés d’interprétation et d’application de la règle de l’interdiction du cumul de la réparation du même dommage par la législation sur l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et une autre législation nationale ou étrangère », J.T.T., 2000, 264), selon laquelle dans tous les cas, la victime ne dispose pour l’indemnisation de celui-ci que des seules sommes qui ont été allouées par l’assureur RC et si ces sommes se révèlent insuffisantes, elle sera amenée à payer la différence de ses propres deniers si elle a signé une transaction qualifiée de « verrouillée », c’est-à-dire si elle a accepté de transiger sur la totalité du dommage en ce compris le dommage futur comme en l’espèce connu ou inconnu et que le règlement admis est un règlement définitif.

La cour doit dès lors bien constater qu’une convention transactionnelle de ce type a été signée, étant un solde de compte, transaction dont la validité intrinsèque ne peut être mise en cause.

Elle examine ensuite s’il s’agit du même dommage et constate que l’intéressée entend rompre le lien de causalité en tentant de faire reconnaître une faute médicale. Pour la cour, l’intervention chirurgicale en cause ainsi que les suites postopératoires et les lésions découlant de celles-ci constituent des conséquences indirectes de l’accident.

Elle renvoie, pour cette conclusion, à une problématique similaire survenue dans le cadre de la législation sur les accidents du travail, où la Cour du travail de Bruxelles a, par arrêt du 17 mars 2008 (C. trav. Bruxelles, 17 mars 2008, Chron. Dr. Soc., 2009, 352), considéré que des lésions consécutives à une opération chirurgicale réalisée dans le cours du suivi de l’accident constituent une conséquence indirecte de celui-ci, même si comme en l’espèce, l’intervention médicale s’était avérée inopportune. La cour rappelle qu’un pourvoi a été formé contre cet arrêt et que par décision du 25 octobre 2010 (Cass., 25 octobre 2010, Pas., 2010, I, 2766), la Cour suprême a rejeté celui-ci considérant que si la cour du travail a constaté l’existence d’un lien causal entre l’accident et les opérations chirurgicales ultérieures (ainsi que leurs conséquences), elle a légalement justifié sa décision.

La cour du travail applique ce raisonnement par analogie, considérant que la transaction – au demeurant intervenue alors que l’intervention chirurgicale contestée avait été réalisée – couvre les conséquences directes et indirectes, présentes ou à venir, connues ou inconnues de l’accident et que la demande de l’organisme assureur est dès lors fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons fait une démonstration éclairante des effets néfastes d’une convention transactionnelle signée en règlement des séquelles d’un accident de roulage. La cour constate qu’il s’agit d’une transaction « verrouillée » couvrant de manière définitive la réparation de l’ensemble du préjudice subi, en ce compris le préjudice futur. Dès lors que, en conséquence, l’intéressée devrait, ultérieurement, être à charge de son organisme AMI pour les suites de l’accident en cause, la cour considère que la réparation est déjà intervenue. En application de l’interdiction de cumul, l’intéressée ne peut se retourner vers le secteur des soins de santé et indemnités pour obtenir l’indemnisation d’une incapacité de travail ou le remboursement de soins de santé.

Il n’échappera pas que cette situation peut avoir des effets désastreux sur le plan financier et qu’il y a dès lors lieu d’être attentif au cas où une proposition de règlement de ce type est soumise.

Par ailleurs, la cour s’est référée, en ce qui concerne les séquelles indirectes de l’accident, à un arrêt important rendu par la Cour de cassation le 25 octobre 2010, s’agissant, dans cette espèce, au contraire, de faire prendre en charge par l’assureur-loi les effets d’une intervention chirurgicale inopportune, en tant que séquelle indirecte de l’accident du travail.


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