Terralaboris asbl

Mandataire d’une société belge exerçant concomitamment une activité salariée à l’étranger : obligations vis-à-vis du statut social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 juin 2014, R.G. 2010/AB/298

Mis en ligne le mercredi 12 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 3 juin 2014, R.G. n° 2010/AB/298

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 juin 2014, rappelant la jurisprudence « Tartes de Chaumont-Gistoux », la Cour du travail de Bruxelles conclut au non renversement de la présomption de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38 dès lors que le mandataire de société n’est pas en mesure d’apporter la preuve de l’exercice effectif de l’activité en cause à l’étranger.

Les faits

L’INASTI réclame des cotisations à une personne physique et à la société dans laquelle celle-ci a été mandataire. Il y a eu de sa part activité salariée pour une société française sise à Tourcoing (contrat de travail à temps plein) et mandat exercé pour la société-sœur de celle-ci, société belge. Les deux sociétés, qui se meuvent dans la même sphère commerciale, ont à leur tête les mêmes dirigeants. Il est ainsi constaté qu’un cumul entre une activité salariée dans le cadre d’une société et un mandat d’administrateur au sein de l’autre est possible, d’autant que la proximité de la frontière facilite encore les déplacements et les initiatives tant en Belgique qu’en France.

Le premier juge a fait droit à la demande de l’INASTI, confirmant l’exigibilité des cotisations au statut social.

Appel est interjeté.

Avis du ministère public

Le ministère public rend un avis écrit, constatant que les activités exercées par l’intéressé en tant qu’administrateur de la société belge sont soumises à la présomption de l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 et à elle de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38.

Les deux présomptions sont réfragables mais, pour l’avocat général, elles ne sont pas renversées.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que dans un premier arrêt du 6 juin 2011, elle avait mis l’affaire en continuation, eu égard à une autre décision de la cour du 11 mars 2011, qui avait posé une question à la Cour de Justice de l’Union Européenne. La cour du travail rappelle que la Cour de justice a répondu dans l’arrêt du 27 septembre 2012 (Aff. C-137/11) considérant que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale (en l’occurrence l’article 3, § 1er, 4e alinéa de l’arrêté royal n° 38) dans la mesure où elle permettrait à un Etat membre de réputer de manière irréfragable comme étant exercée sur son territoire une activité de gestion à partir d’un autre Etat membre, d’une société soumise à l’impôt dans ce premier Etat.

La présomption de l’article 3, § 1er, alinéa 4, peut dès lors être renversée mais en l’espèce tel n’est pas le cas, ni l’intéressé, ni la société également à la cause n’établissant que l’activité liée au mandat social aurait été exercée en France et non en Belgique. La cour souligne que l’exercice d’un mandat d’administrateur dans une société commerciale est une occupation régulière et habituelle mais qu’elle peut être combinée avec un temps plein de travailleur salarié et ce même au-delà de la frontière. L’occupation professionnelle existe dès lors qu’il y a un but lucratif et il n’est pas requis qu’un gain effectif ait été réalisé, la réglementation exigeant que l’activité soit susceptible de produire des revenus.

Après avoir constaté l’existence de tels revenus pendant certaines années visées par la période en cause, la cour constate que la preuve n’est pas apportée de la gratuité du mandat, celle-ci ne figurant pas dans les statuts. Par ailleurs, la référence à la gratuité, figurant dans un procès d’une assemblée générale ne couvre pas les années antérieures et, pour celles qui ont suivi, la cour constate la perception d’importants revenus.

La cour souligne encore, avec l’INASTI, que l’assujettissement au statut social des indépendants offrait à l’intéressé une protection complémentaire – ou aurait pu la lui offrir s’il avait payé ses cotisations. Ainsi en va-t-il de l’octroi d’une pension qui, si elle a été refusée, l’a été au motif du non-paiement. D’autres avantages étaient également offerts dans le secteur des allocations familiales ainsi que dans celui des soins de santé. La cour rejette dès lors les considérations avancées par l’intéressé sur le fait qu’il était déjà couvert dans le cadre de la sécurité sociale en France.

Ce dernier ayant par ailleurs demandé que soit posée une question à la Cour de Justice sur ce point, la cour du travail rappelle que la réglementation européenne en matière de sécurité sociale ne vise pas une harmonisation des diverses législations nationales mais qu’il s’agit d’une coordination des règles. Elle a pour objet de faire bénéficier le travailleur des mêmes avantages que ceux qui exercent leur activité professionnelle dans l’Etat membre où celui-ci preste et d’éviter, par ailleurs, que le système n’aboutisse à faire payer des cotisations de sécurité sociale sans contrepartie. Or en l’espèce, la cour a relevé la protection sociale complémentaire dont l‘intéressé aurait pu bénéficier si les cotisations avaient été payées.

Enfin, elle relève qu’il n‘y a pas lieu de comparer les cotisations avec les prestations perçues, le mécanisme d’assurance étant basé sur la répartition et la solidarité.

Intérêt de la décision

Cette affaire est certes l’occasion de rappeler le fameux arrêt de la Cour de Justice européenne dit « Tartes de Chaumont-Gistoux », qui a admis le caractère réfragable de la présomption de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38.

Il présente, cependant, un intérêt supplémentaire, étant d’aborder les effets de la coordination européenne en sécurité sociale, dont la cour rappelle à la fois qu’elle tend vers un traitement égal des travailleurs sur le territoire d’un Etat membre donné et qu’elle vise par ailleurs à éviter non seulement les cumuls de prestations mais également l’obligation de cotisation à un régime de sécurité sociale sans aucune contrepartie.

La cour passe en revue les secteurs de la sécurité sociale belge ouvrant le droit à des prestations dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants, même pour un travailleur exerçant une activité salariée à l’étranger.

On relèvera cependant, sur la question du droit aux allocations familiales, l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 11 septembre 2014, Aff. C-394/13), qui a reprécisé les conditions d’octroi de prestations familiales eu égard à la résidence telle que définie dans les Règlements.


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