Terralaboris asbl

Activité autorisée des pensionnés : revenus à prendre en compte

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2014, R.G. 2013/AB/539

Mis en ligne le mercredi 12 novembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/539

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’administration fiscale peut requalifier des revenus présentés comme locatifs en revenus professionnels et que cette situation est susceptible d’entraîner des conséquences importantes sur les revenus autorisés dans le cadre de la poursuite d’une activité professionnelle par un pensionné.

Les faits

Un travailleur indépendant introduit une demande de pension de retraite en 1996, demande à l’occasion de laquelle il remplit le document « modèle 74 » relatif à la poursuite de l’exercice d’une activité autorisée.

Il s’avère, ultérieurement, que les revenus professionnels nets perçus dépassent la limite du travail autorisé de plus de 15%.

D’autres investigations aboutissent, plus tard encore, à la constatation d’un nouveau dépassement du plafond. Deux décisions interviendront, suspendant la pension de retraite pendant une période déterminée et octroyant celle-ci, lors de la réattribution de la pension, au taux isolé, vu la poursuite par le conjoint d’une activité de travailleur indépendant sans limite de revenus.

L’I.N.A.S.T.I. transmet ces décisions à l’O.N.P., l’invitant à récupérer l’indu.

Un recours est introduit par l’intéressé contre l’ensemble des décisions prises, tant sur la question du droit à la prestation que sur la décision de récupération d’indu.

La décision du tribunal

Par jugement du 15 avril 2013, les décisions administratives sont confirmées. Le tribunal limite cependant la restitution à 6 mois, concluant à l’absence de mauvaise foi dans le chef de l’intéressé.

Appel est interjeté, l’I.N.A.S.T.I. demandant que la cour confirme les décisions rendues. L’O.N.P., partie à la cause en degré d’appel, est uniquement concerné par la récupération.

Le demandeur étant décédé entre temps, la procédure oppose essentiellement l’I.N.A.S.T.I. et les ayants-droits de celui-ci.

Thèse des parties devant la cour

Pour l’I.N.A.S.T.I., il y a dépassement des plafonds autorisés. L’intéressé avait présenté une partie de ses revenus comme des revenus locatifs, mais ceux-ci ont été considérés, sur le plan fiscal, comme des revenus professionnels. En outre, l’I.N.A.S.T.I. rejette la prise en compte de la bonne (ou mauvaise) foi dans ce type de litige, considérant que la prescription est de 5 ans dès lors que l’indu résulte de l’absence de déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement par le pensionné.

Quant aux parties intimées, elles maintiennent qu’elles sont autorisées à démontrer la nature réelle des revenus et, en conséquence, à leur faire reconnaître la nature de revenus locatifs et non professionnels. Elles plaident également la bonne foi et l’obligation subséquente de limiter la période de récupération à 6 mois. Elles font enfin valoir un manquement à la Charte de l’assuré social, en ce qu’elle vise les obligations d’information et de conseil dans le chef des institutions de sécurité sociale.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions réglementaires applicables, étant l’article 30bis de l’arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, ainsi que l’article 107, § 1er du Règlement général relatif à la pension de retraite et de survie de ces travailleurs.

Il découle de ces dispositions que, si les revenus professionnels dépassent de 15% au moins les plafonds autorisés, le paiement de la pension est intégralement suspendu pendant l’année civile concernée. Si le dépassement est inférieur à 15%, la suspension est décidée à concurrence du pourcentage de dépassement du montant applicable.

La cour constate que l’intéressé avait déclaré exercer une activité de travailleur indépendant en qualité d’administrateur et d’administrateur-délégué d’une société anonyme, dont il était également actionnaire majoritaire. L’objet social de la société était de type immobilier. La cour relève qu’il a perçu (entre 1996 et 1999) des montants variant entre 500.000 BEF et 675.000 BEF par an. L’administration fiscale a également constaté que l’intéressé était usufruitier d’un bien immeuble donné en location à cette société anonyme et une partie du loyer perçu par lui a été requalifiée en revenus professionnels, et ce conformément à l’article 32 C.I.R.

Celui-ci qualifie de rémunérations dans le chef de dirigeants d’entreprise toutes les rétributions allouées ou attribuées à une personne physique exerçant un mandat (administrateur, gérant ou fonctions analogues) ou une fonction dirigeante en dehors d’un contrat de travail. Sont ainsi considérés, en vertu de l’article 32, 3°, comme de telles rémunérations les loyers et avantages locatifs d’un bien immobilier bâti donné en location par les personnes intéressées à la société dans laquelle ils exercent ces mandats ou fonctions, dans la mesure où les montants excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé (en fonction d’un coefficient déterminé).

La cour souligne que cette disposition du C.I.R. vise à éviter la situation de certains administrateurs (ou associés actifs), dans laquelle ceux-ci se feraient payer, par leur société, au titre de loyer pour mise à disposition d’un immeuble qui leur appartient, des revenus immobiliers excessifs, alors que ceux-ci constituent en réalité des revenus professionnels déguisés.

Il y a dès lors lieu, pour la cour, de suivre le point de vue de l’administration fiscale, l’I.N.A.S.T.I. devant dès lors les prendre en considération non seulement lorsqu’il s’agit de déterminer si les plafonds sont dépassés, mais également sur la sanction à appliquer (dépassement ou non du seuil des 15%).

La cour confirme dès lors le jugement du tribunal.

Elle réserve encore des développements utiles sur la question de la prescription, eu égard à l’obligation de faire une déclaration en cas d’exercice de l’activité poursuivie après la prise de cours de la pension. La cour reprend l’engagement souscrit par l’intéressé selon lequel il est expressément repris qu’il sera procédé au recouvrement des arrérages de pension perçus indûment. La cour rappelle que, dans sa version applicable à l’époque des faits, l’article 36, § 2 de l’arrêté royal n° 72 prévoyait deux délais de prescription pour l’action en répétition, étant 6 mois (délai normal) ou 5 ans (manœuvres frauduleuses ou déclarations fausses ou sciemment incomplètes). La cour précise qu’il en est de même pour l’indu résultant de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement. Pour la cour du travail, la bonne foi est dès lors sans pertinence.

Intérêt de la décision

La limitation des revenus professionnels autorisés dans le chef d’un bénéficiaire d’une pension de retraite fait, comme le montre bien l’arrêt annoté, l’objet de contrôle régulier de la part de l’I.N.A.S.T.I. (ou de l’O.N.P.) sur la base des informations communiquées par l’administration fiscale. En l’occurrence, la requalification de revenus locatifs en revenus professionnels, effectuée conformément au C.I.R., s’impose également pour la détermination des revenus autorisés dans le cadre de l’exercice de l’activité complémentaire du travailleur indépendant.

La deuxième question abordée par l’arrêt, étant la prescription de la récupération de l’indu, est actuellement prévue par l’article 36, § 2 de l’arrêté royal comme suit :

* Délai de 6 mois à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué (ou de la décision d’octroi ou de majoration en cas d’avantage accordé par un pays étranger ou dans un autre régime de pension).

* Délai de 3 ans :

  • En cas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes ;
  • Par suite de l’abstention du débiteur ou de son conjoint de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement ;
  • Par suite du bénéfice de prestations sociales visées à l’article 30bis (prestations non cumulables) ;
  • Par suite de l’exercice d’une activité professionnelle dont les revenus dépassent les montants limites fixés. Le point de départ de la prescription du délai pour l’action en répétition dans cette dernière hypothèse est de 3 ans à compter du 1er juin de l’année civile suivant celle ou le dépassement s’est produit.

Le dépassement du plafond autorisé constitue ainsi une hypothèse spécifique, dans laquelle l’examen de la bonne ou de la mauvaise foi n’intervient nullement.


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