Terralaboris asbl

Rachat de la société employeur, réaffectation du personnel ou rupture du contrat : un cas d’espèce plein d’enseignement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 août 2014, R.G. n° 2012/AB/844

Mis en ligne le mardi 21 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 12 août 2014, R.G. n° 2012/AB/844

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 août 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la notion de congé (en présence d’un licenciement verbal), de conditions essentielles du contrat de travail et d’obligations de l’employeur cessionnaire pour les dettes du cédant en cas d’application de la CCCT n° 32bis.

Les faits

Après un repos d’accouchement suivi d’une période de crédit-temps, une travailleuse (occupée dans un hôtel de la capitale) reçoit au moment de la reprise du travail une instruction de son employeur. Celui-ci l’informe du fait que depuis plusieurs mois une autre société a repris les activités. Un autre lieu de travail lui est attribué, avec un autre horaire. L’intéressée s’y présente et une discussion intervient, suite à laquelle elle envoie à son employeur un courrier recommandé dans lequel elle constate qu’elle a été licenciée verbalement. Elle réclame une indemnité de rupture ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif (article 63 LCT). Cinq jours plus tard, la société lui adresse un courrier de licenciement pour motif grave, le motif étant relatif aux incidents de la reprise.

Une action est introduite devant le tribunal du travail, dans laquelle, en sus des points ci-dessus, l’intéressée réclame des arriérés de rémunération pour la période à partir du 1er octobre 2000.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 16 mai 2012, le tribunal accorde les postes relatifs à l’indemnité compensatoire de préavis et à l’indemnité pour licenciement abusif. Il déboute la travailleuse de sa demande de dommages et intérêts relative à la violation de la CCT 32bis (demande précisée en cours d’instance) et ordonne la réouverture des débats sur le fondement contractuel ou extracontractuel de la demande relative aux arriérés de salaire et la question de la prescription qui en découle.

La société interjette appel et l’intéressée saisit également la cour des postes qui n’ont pas été tranchés.

Décision de la cour du travail

Les chefs de demande relatifs à la rupture (indemnité compensatoire de préavis et indemnité pour licenciement abusif) amènent la cour à analyser en premier lieu les conditions du congé et la preuve de celui-ci.

Les parties sont en effet opposées quant à l’existence d’un congé verbal le jour de la reprise (2 octobre 2008). La société considère en effet que – la preuve de la rupture dans son chef ce jour n’étant pas rapportée – la travailleuse est l’unique auteur de celle-ci, le licenciement ultérieur décidé pour motif grave devant être considéré comme non avenu.

Analysant les éléments de fait, la cour constate que le comportement du gérant démontre une volonté très claire de mettre fin à la relation contractuelle dès le retour de l’intéressée (la cour renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation définissant le congé comme étant l’acte par lequel une partie notifie à l’autre sa volonté de rompre (dont Cass., 14 janvier 1991, R.G. n° S.8679). Elle considère établi que l’intimée a refusé les nouvelles conditions de travail que la société voulait lui imposer et qu’elle a été congédiée sur le champ. Le licenciement intervenu est dès lors un congé sans préavis ni indemnité et il ne peut être régularisé par la lettre reprenant le motif grave envoyée ultérieurement, dans la mesure où ce courrier est tardif (8 octobre 2008) par rapport au congé signifié à la travailleuse (2 octobre 2008). La cour relève encore que la modification d’horaire est réelle, la société imposant à la fois des jours différents de prestation et un horaire décalé de deux heures par rapport à l’horaire précédent, choses susceptibles de bouleverser l’organisation familiale d’une mère ayant trois enfants. Pour la cour, qui en apprécie ici malgré tout le bien-fondé, le refus n’était pas fautif.

Examinant, par ailleurs, eu égard aux critères de l’article 63 LCT et particulièrement à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, R.G. n° S.09.0092.N), la cour vérifie l’existence d’un motif licite de licenciement. Le contrat contenant une clause par laquelle la travailleuse avait accepté qu’à l’exception des conditions salariales, toutes ses autres conditions de travail étaient des conditions de travail accessoires pouvant être modifiées par la seule volonté de l’employeur en cas de nécessité de l’entreprise, la cour conclut que cette clause n’apparaît pas conforme aux articles 20, 1° et 25 LCT ni à la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle renvoie explicitement à l’arrêt du 14 octobre 1991 (Cass., 14 octobre 1991, R.G. n° 7537).

Elle confirme avec le premier juge le caractère légitime du refus d’ordre, s’agissant de modifications importantes des conditions de travail pour des motifs dont la nécessité n’était pas établie.

Sur les autres chefs de demande, la cour confirme également le jugement sur l’absence de droit à des dommages et intérêts pour violation de la CCT 32bis. Elle rappelle que, en tant que « travailleuse cédée », celle-ci ne pouvait être licenciée, au sens de l’article 8 de la CCT 32bis, que pour motif grave ou pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation entraînant des changements dans le domaine de l’emploi. Rejoignant le tribunal, la cour considère que le non respect de cette obligation de protection contre le licenciement à l’occasion d’un transfert d’entreprise s’indemnise par l’octroi de l’indemnité compensatoire de préavis, aucun préjudice particulier n’étant établi par l’intéressée et l’indemnité de rupture réparant forfaitairement l’ensemble du préjudice causé par le licenciement.

Enfin, sur les arriérés de rémunération réclamés, pour lesquels les débats avaient été rouverts par le premier juge, la cour rappelle en premier lieu le mécanisme de la CCT n° 32bis pour les dettes existant à la date du transfert : celles-ci passent au cessionnaire, du fait de celui-ci. S’agissant d’arriérés de rémunération (dont le non-paiement est sanctionné pénalement), ces demandes peuvent être soumises à la règle de prescription de l’article 2262bis du Code civil et la cour du travail peut se prononcer d’office quant au délai de prescription applicable. Après avoir repris une controverse jurisprudentielle sur la question, la cour alloue les montants réclamés dans les limites du délai de prescription retenu.

Intérêt de la décision

Outre un débat assez récurrent dans l’hypothèse d’un licenciement verbal (où il s’agit de vérifier l’existence du congé), l’arrêté annoté reprend une question rarement abordée étant celle de la sanction du non respect de l’article 8 de la CCT n° 32bis, qui restreint les hypothèses de licenciement en cas de transfert au motif grave ou au motif économique (technique ou organisationnel) entraînant des changements dans le domaine de l’emploi. La cour constate l’absence de sanction de cette disposition et, en l’espèce, à défaut pour la travailleuse d’établir un préjudice particulier suite au non respect de cette règle, elle conclut que la réparation forfaitaire suite au licenciement gît dans l’indemnité compensatoire de préavis. Le caractère assez formel de cet article 8 est ainsi réaffirmé dans une telle hypothèse de motif grave.

Un dernier intérêt de l’arrêt est d’avoir rappelé le débat en jurisprudence sur la notion de « droits et obligations résultant de contrats de travail existant à la date du transfert », débat qui a notamment donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 1997 (Cass., 20 octobre 1997, R.G. n° S.97.006.N), qui a fait la distinction, parmi ces obligations, entre les arriérés de rémunération et les dommages et intérêts.


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