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En cas d’accident du travail, la mutuelle peut-elle agir directement contre l’assureur de la commune ?

Commentaire de C. trav. Liège, 2 mars 2009, R.G. 34.876/07

Mis en ligne le vendredi 17 octobre 2014


Cour du travail de Liège, 2 mars 2009, R.G. 34.876/07

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 mars 2009, la Cour du travail de Liège a déclaré irrecevable l’action introduite par une mutuelle contre l’assureur de la commune, en remboursement des débours de soins de santé avancés en faveur de la victime d’un accident du travail.

Les faits et rétroactes

Le 20 juin 1989, Mr V., ouvrier communal est victime d’un accident du travail survenu au cours de l’exercice de sa fonction, accident ayant entraîné plusieurs périodes d’incapacités temporaires de travail et une incapacité permanente partielle de 8% depuis le 1er janvier 1990.

Le 10 décembre 2003, sa mutuelle assigne, devant le tribunal du travail de Hasselt (Monsieur V. étant domicilié à Tongres), l’assureur de la commune contre les accidents du travail, en remboursement des frais médicaux et autres nécessités par l’accident du 20 juin 1989.

Après règlement du problème de la compétence territoriale du tribunal du travail (la cause étant renvoyée devant le tribunal du travail de Liège), la commune intervient volontairement à la cause, le 11 mai 2005.

Le 24 janvier 2006, la mutuelle étend sa demande à la commune en demandant sa condamnation ainsi que la compagnie d’assurance, solidairement ou in solidum, au paiement d’un montant provisionnel de 34.700,09 €.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail de Liège juge irrecevable la demande de la mutuelle contre la compagnie d’assurances et condamne la mutuelle aux dépens.

Il déclare prescrite la demande de la mutuelle contre la commune, pour la période antérieure au 10 décembre 2000, se fondant sur l’interruption du délai de prescription de trois ans, par la citation signifiée à la compagnie d’assurance.

Avant de statuer plus avant, il désigne un expert-médecin pour déterminer si les soins de santé se rapportant aux sommes réclamées par la mutuelle après le 10 décembre 2000 sont en relation causale avec l’accident du travail du 20 juin 1989.

La position des parties devant la Cour du travail de Liège

La mutuelle interjette un appel principal concernant la recevabilité de sa demande contre la compagnie d’assurance.

La commune interjette un appel incident concernant le point de départ du délai de prescription de l’action de la mutuelle.

La mutuelle fait valoir que l’article 136, § 2, alinéa 4 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 selon lequel elle est subrogée à son affilié, l’autorise à agir contre la compagnie d’assurances.

Elle précise qu’avant l’intention de l’action en justice, ladite compagnie d’assurances lui a déjà remboursé une partie des frais médicaux.

Elle conteste enfin sa condamnation aux dépens.

La commune considère quant à elle que la demande de la mutuelle est prescrite pour la période antérieure au 11 mai 2002 (et non au 10 décembre 2000), soit trois ans avant son intervention volontaire.

La mutuelle répond que la prescription de sa demande contre la commune a été interrompue par une action en révision.

Elle soutient également que la prescription a été interrompue par la reconnaissance du droit au remboursement que la compagnie d’assurances aurait faite par plusieurs courriers.

La décision de la Cour

La Cour du travail de Liège est amenée à se prononcer tout d’abord sur la recevabilité de la demande de la mutuelle contre la compagnie d’assurances et ensuite sur le délai de prescription applicable à l’action de la mutuelle contre la commune.

La Cour du travail rappelle tout d’abord que c’est l’administration communale qui a une obligation d’indemnisation envers la victime et que dès lors c’est contre ladite administration communale que la victime a un droit personnel à indemnisation et, en cas de contentieux, le droit d’agir en justice pour obtenir les indemnités qui lui reviennent (article 26, §1er, alinéa 1er de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 pris en exécution de la loi du 3 juillet 1967).

Certes, dit la Cour, l’administration communale peut souscrire un contrat d’assurance pour couvrir la charge qui lui incombe (article 27 de l’arrêté royal précité).

Toutefois, ni la loi de 1967, ni l’arrêté royal de 1970, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire, ne confère à la victime un droit à indemnisation contre l’assureur lui-même.

La Cour du travail de Liège considère dès lors que c’est à tort que la mutuelle fonde sa prétention sur l’article 136, § 2, alinéa 4, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 car la subrogation prévue par cette disposition légale ne confère ni plus, ni moins de droits et actions à la mutuelle que ceux reconnus à la victime elle-même.

La Cour du travail de Liège considère ensuite que l’assureur de la commune, par son comportement, ne s’est nullement reconnu débiteur d’une obligation de remboursement au profit de la mutuelle, s’agissant d’un paiement fait par un tiers et qui ne génère aucune obligation à charge de celui-ci.

Enfin, et en ce qui concerne les dépens, la Cour du travail de Liège rappelle que l’article 26, §1er, alinéa 1er de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 précise que la charge des dépens incombe à l’administration communale mais que cette disposition ne concerne que les dépens relatifs à l’action exercée par la victime de l’accident et ne s’applique donc pas dans les rapports entre la mutuelle et l’assureur « facultatif » de la commune, en matière d’accident du travail (Cass., 14 juin 1999, Bull., 1999, p. 861).

En ce qui concerne la prescription de l’action de la mutuelle contre la commune, la Cour du travail de Liège rappelle tout d’abord que l’action en paiement des indemnités se prescrit après trois ans (article 20, alinéa 1er de la loi du 3 juillet 1967, dans sa version applicable au litige).

Elle rappelle ensuite que s’agissant de l’action en paiement des frais médicaux, chirurgicaux et hospitaliers, le délai de prescription prend cours au moment où les frais sont exposés (Cass., 18 juin 2001, Pas., 2001, p. 1169).

Elle précise également que la prescription est interrompue ou suspendue de la même manière et pour les mêmes causes que celles qui sont prévues par la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles (article 20, alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1967).

Or, dans sa version à l’époque du litige, l’article 70 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail précisait que la prescription est interrompue de la manière ordinaire ou par une lettre recommandée à la poste ou encore par une action en paiement du chef de l’accident du travail, fondée sur une autre cause.

La Cour du travail de Liège constate tout d’abord qu’il n’existe aucune trace d’une quelconque action en révision, contrairement à ce que soutient la mutuelle.

Elle précise ensuite que ce n’est pas le débiteur de la mutuelle, étant la commune, mais sa compagnie d’assurance, qui aurait reconnu un droit au remboursement dans les conditions prévues par l’article 2248 du Code civil.

La Cour du travail de Liège fait ensuite droit à l’appel incident de la commune.

En effet, l’action de la mutuelle contre la compagnie d’assurances n’a pas pu interrompre la prescription du droit de la mutuelle contre la commune.

Or, l’action de la mutuelle contre la compagnie d’assurances est irrecevable.

Enfin, l’article 2244 du Code civil précise que la citation en justice forme une interruption civile si elle est signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire, qui ne peut être que la commune et non sa compagnie d’assurances « facultative ».

La Cour du travail de Liège considère dès lors que la demande de la mutuelle contre la commune est bien prescrite pour la période antérieure au 11 mai 2002 et non pas au 10 décembre 2000.

Intérêt de la décision

Subrogée dans les droits de la victime d’un accident du travail, la mutuelle doit subir les mêmes conséquences que la victime lorsqu’elle assigne à tort la compagnie d’assurances facultative d’un employeur public.

Agir à tort contre l’assureur au lieu de l’employeur public peut avoir des conséquences juridiques importantes tant sur la recevabilité que sur l’interruption de la prescription de l’action en paiement des prestations avancées en faveur de la victime.

La Cour du travail de Liège en donne une parfaite illustration.


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