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Egalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale : un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne

Commentaire de C.J.U.E., 3 septembre 2014, aff. n° C-318/13

Mis en ligne le mercredi 8 octobre 2014


C.J.U.E., 3 septembre 2014, Affaire C-318/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne examine la conformité à l’article 4, § 1 de la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 d’une réglementation nationale fixant une prestation de sécurité sociale sur la base de données actuarielles ayant intégré une différence d’espérance de vie entre hommes et femmes.

Les faits

Un citoyen finlandais est victime d’un accident du travail en 1991. Par jugement du 18 octobre 2005, rendu par le tribunal des assurances sociales finlandais, il se voit octroyer une indemnité forfaitaire pour préjudice permanent, conformément à la loi. L’intéressé conteste le mode de calcul, demandant que celui-ci soit fait sur la base des mêmes critères que ceux prévus pour les femmes.

Les premiers recours formés ayant été rejetés, il introduit en 2009 une action devant le tribunal administratif d’Helsinki afin que l’Etat soit condamné à lui verser le montant représentant la différence entre les deux modes de calcul. Ayant ici également été débouté, il forme un recours devant la Cour administrative suprême et celle-ci pose à la Cour de Justice deux questions relatives à la compatibilité de la réglementation nationale (selon laquelle le montant de la prestation sociale légale versée suite à un accident du travail est, du fait de l’application de facteurs actuariels fondés sur le sexe, différent selon que le bénéficiaire est un homme ou une femme) avec l’article 4, § 1 de la directive 79/7.

Décision de la Cour

Le droit de l’Union à appliquer est la directive 79/7, dont la Cour relève qu’elle s’applique aux régimes légaux qui assurent une protection notamment contre les risques d’accidents du travail. Elle reprend ensuite le droit finlandais, relevant que la mise en œuvre de l’assurance accident du travail est une tâche de gestion publique dont l’exécution est confiée à des compagnies d’assurances privées. Les coûts de cette assurance légale obligatoire sont couverts par des primes d’assurance versées par les employeurs.

En cas de préjudice permanent, une indemnité est prévue, indemnité versée selon le cas soit en une fois soit sous forme de rente. Lorsqu’elle est versée en une fois, l’indemnité est calculée sous la forme d’un capital correspondant à la valeur de l’indemnité pour préjudice permanent. Elle tient compte de l’âge du travailleur conformément à des critères établis par la réglementation en application de formules distinctes selon le sexe, celles-ci se référant à l’espérance de vie.

La cour constate que, en vertu des modalités de calcul de l’indemnité forfaitaire, une femme du même âge que le demandeur et ayant subi un accident du travail identique entraînant le même préjudice permanent bénéficierait d’une indemnité forfaitaire supérieure à celui-ci. Pour le gouvernement finlandais, la différenciation en fonction du sexe est nécessaire, et ce afin de ne pas défavoriser les femmes, qui ont statistiquement une espérance de vie plus élevée. Pour lui, il n’y a dès lors pas de discrimination entre hommes et femmes.

La Cour constate qu’il y a une inégalité de traitement susceptible de constituer une discrimination contraire à l’article 4, § 1er de la directive et recherche si cette inégalité peut être justifiée.

Elle conclut par la négative, relevant en premier lieu que la prise en compte d’un facteur fondé sur l’espérance de vie résiduelle n’est pas prévu dans les dérogations au principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 4, § 1er de la directive. La Cour souligne en outre que la prise en compte de données statistiques générales selon le sexe ne signifie pas qu’une femme a toujours une espérance de vie supérieure à celle d’un homme du même âge placé dans une situation comparable. Il n’y a dès lors pas de justification. L’article 4, § 1er doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale et prévoit la prise en compte d’un tel critère (différence d’espérance de vie entre hommes et femmes en tant que facteur actuariel) lorsque l’application de ce facteur conduit à l’octroi d’une prestation inférieure à un homme par rapport à celle que percevrait une femme du même âge et dans une situation similaire.

S’agissant par ailleurs d’examiner si la responsabilité de l’Etat est engagée, parce qu’il y aurait une violation du droit de l’Union « suffisamment caractérisée », la Cour rappelle sa jurisprudence (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, EU:C:1996/79) où elle a fixé les éléments que peut prendre en compte la juridiction nationale dans cet examen : degré de clarté et de précision de la règle, étendue de la marge d’appréciation des autorités nationales ou de l’Union, caractère intentionnel ou involontaire du manquement ou du préjudice, caractère excusable ou non d’une éventuelle erreur de droit, … Elle rappelle encore qu’elle peut fournir des orientations aux juridictions nationales aux fins de déterminer la responsabilité des Etats membres pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union mais qu’elle ne peut substituer ses appréciations à celles des juges nationaux. Elle renvoie sur ces points à diverses décisions qu’elle a rendues.

Examinant s’il y a une violation du droit de l’Union suffisamment caractérisée en l’espèce, elle conclut qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions de la mise en cause de la responsabilité de l’Etat sont ou non réunies, insistant d’une part sur le fait qu’elle ne s’est pas encore prononcée sur la licéité d’une prise en compte d’un facteur fondé sur l’espérance de vie moyenne selon le sexe et d’autre part sur la liberté accordée aux Etats membres par le législateur de l’Union (renvoyant ici aux directives 2004/113 et 2006/54).

Intérêt de la décision

La solution dégagée par la Cour de Justice de l’Union Européenne apparaît évidente, eu égard à la différence de traitement instaurée par la loi finlandaise entre hommes et femmes, victimes d’un accident du travail.

La décision en cause statue également sur les conditions de la mise en cause de la responsabilité de l’Etat membre, question particulièrement importante dans cette affaire, puisque manifestement l’intéressé a été débouté devant les juridictions compétentes pour statuer sur l’accident du travail.

Le système finlandais est, comme on l’aura constaté, du même type que le système belge, le risque d’accident du travail étant géré par des compagnies d’assurances privées et les employeurs couvrant les coûts de cette assurance par des primes.

La procédure introduite par l’intéressé devant les juridictions administratives contre l’Etat est donc inhabituelle, ce recours ne pouvant aboutir que si non seulement la violation du droit de l’Union est constatée (ce que la Cour de Justice a décidé), mais également si la responsabilité de l’Etat finlandais peut être engagée du fait de la violation de la norme européenne.


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