Terralaboris asbl

L’accident survenu la nuit, alors que le travailleur était resté dormir sur le chantier à la demande de l’employeur, est un accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2007, R.G. 45.820

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2007, R.G. 45.820

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Statuant après cassation, la Cour du travail de Bruxelles estime que constitue un accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat l’accident survenu la nuit, sur le chantier auquel était affecté le travailleur et où il avait dû, en raison de l’organisation mise en place par l’employeur, dormir.

Les faits

Monsieur L. est engagé le 19 juin 1991 par un sieur V.S., entrepreneur, pour exécuter des prestations sur un chantier éloigné de son domicile (80 km). Il est emmené par le patron jusqu’au chantier et y arrive avec de quoi passer la nuit, à la demande de celui-ci.

Le chantier est une maison neuve, dans laquelle Monsieur V.S. effectue, pour le compte du propriétaire, des travaux d’achèvement (carrelage, …).

A la fin de la journée (vers 20h), Monsieur V.S. emmène les ouvriers, ainsi qu’un sous-traitant indépendant, au restaurant. Il utilise ensuite la camionnette pour ramener un des ouvriers, malade, chez lui tandis que les autres rejoignent la maison en chantier pour y dormir (comme cela avait été convenu entre l’entrepreneur et le propriétaire).

Les ouvriers s’installent au premier étage, dans la maison non encore munie d’éclairage.

Pendant la nuit, Monsieur L., se déplaçant, fait une chute de 4 mètres, du palier du premier au rez-de-chaussée (la cage d’escalier n’étant pas encore installée). Un autre ouvrier, qui tente de le rejoindre, alarmé par ses gémissements, fait la même chute.

Emmené un peu plus tard à l’hôpital, il est constaté une fracture du crâne (Monsieur L).

L’entreprise d’assurances refuse d’intervenir, arguant que l’accident ne se serait pas produit pendant le cours de l’exécution du contrat.

Monsieur L. saisit le Tribunal du travail de La Louvière, qui, après avoir fait procéder à des enquêtes, estime que la notion d’accident du travail doit être retenue.

La Cour du travail de Mons, devant qui l’entreprise d’assurances conteste le jugement, réforme celui-ci et considère que l’accident n’est pas survenu dans le cours de l’exécution du travail, dès lors que le travailleur n’était pas été obligé d’aller au restaurant après la journée ni de dormir sur place. Pour la Cour du travail, la situation résulte d’un acte volontaire du travailleur et non d’une obligation, de sorte que l’accident est survenu après la fin de l’exécution du contrat de travail (fixée à la fin de la journée de travail).

Monsieur L. introduit un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision, laquelle estime, dans un arrêt du 26 avril 2004, que

  1. l’accident survient dans le cours de l’exécution du contrat lorsqu’au moment de sa survenance, le travailleur est sous l’autorité de l’employeur ;
  2. l’hébergement s’étant réalisé à la demande de l’employeur, il ne peut se déduire de son caractère non obligatoire l’absence de possibilité pour l’employeur d’exercer son autorité sur le travailleur.

La Cour de cassation renvoie dès lors l’affaire à la Cour du travail de Bruxelles.

La décision de la Cour

Sur le plan des principes, la Cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation : l’accident survient dans le cours de l’exécution du contrat lorsque le travailleur se trouve sous l’autorité, même virtuelle de l’employeur au moment de sa survenance. L’exécution du contrat s’identifie donc à l’exercice de l’autorité patronale.

La Cour rappelle qu’il y a exercice de l’autorité dès lors que le travailleur ne peut disposer librement de son temps, la subordination pouvant s’exercer même en dehors du temps de travail ou de l’exécution de celui-ci.

En conséquence, l’exécution du contrat de travail commence dès que le travailleur est à la disposition de son employeur et elle s’achève lorsque le premier retrouve sa liberté personnelle. Un accident qui survient alors que le travailleur ne dispose pas de sa liberté d’action, en raison de l’exécution du contrat ou des circonstances liées à cette exécution constitue un accident du travail, quel que soit le consentement ou l’accord du travailleur quant à ce.

En l’espèce, la cour du travail constate, au vu des éléments du dossier, que Monsieur L. n’était pas libre de regagner son domicile après la prestation de travail, non en raison d’une interdiction explicite mais des circonstances de la prestation de travail.

A cet égard, la Cour relève que Monsieur L. avait été emmené de son domicile au chantier par l’employeur, qui lui avait demandé de se munir d’un équipement pour dormir, que Monsieur L. n’a pas été reconduit à la fin de la journée tandis que le seul véhicule présent sur le chantier ne pouvait être utilisé, l’employeur ayant reconduit un autre travailleur avec celui-ci. La Cour se fonde encore sur l’absence d’autres transports permettant de faire l’aller-retour en respectant les horaires de travail.

Dès lors que le travailleur était contraint, par les circonstances de l’exécution du contrat, à dormir sur place, la Cour retient qu’il était soumis à l’autorité de l’employeur puisque voyant sa liberté restreinte.

Elle reconnaît en conséquence qu’il s’agit d’un accident survenu pendant l’exécution du contrat de travail.

Intérêt de la décision

L’arrêt se prononce sur la notion d’exécution du contrat, soit sur l’un des éléments constitutifs de l’accident du travail. L’enseignement de la Cour du travail est le suivant : dès lors que la liberté du travailleur est restreinte de par l’exécution du contrat (directement ou indirectement), il doit être considéré sous l’autorité (virtuelle) de l’employeur. L’accident survenu pendant que le travailleur était sous cette autorité virtuelle doit être considéré comme survenu pendant l’exécution du contrat, les deux concepts (autorité / exécution du contrat) se recoupant.

L’intérêt de l’arrêt est également de souligner que la liberté du travailleur peut être restreinte tant par les tâches qui constituent l’exécution du contrat de travail que par les circonstances entourant cette exécution.

Dès lors que, matériellement et indépendamment d’un ordre, le travailleur n’avait pas le choix quant au lieu où passer la nuit, il y a restriction de sa liberté. En conséquence, le fait qu’il ait accepté la situation et signé, à la demande de l’employeur, une « décharge » est indifférent.


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