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Incendie de l’entreprise : la Cour de cassation rappelle les conditions d’existence de la force majeure permettant de rompre les contrats de travail sans indemnité

Commentaire de Cass., 10 mars 2014, n° S.12.0019.N

Mis en ligne le mardi 7 octobre 2014


Cour de cassation, 10 mars 2014, n° S.12.0019.N

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 mars 2014, la Cour de cassation rappelle que, si le constat de force majeure a été posé à tort, il entraîne cependant la rupture irrégulière du contrat et que le juge n’est pas tenu de constater qu’il y avait volonté de l’employeur de rompre.

Les faits

Suite à l’incendie de ses locaux, une société notifie à l’ONEm la suspension des contrats de travail du personnel. Ceci est admis pendant une période de 27 mois. Les travailleurs bénéficient pendant tout ce temps d’allocations de chômage temporaire, et ce jusque fin décembre 2003.

Début janvier 2004, le Fonds de fermeture des entreprises décide de payer les primes de fermeture. La société prend contact avec celui-ci en date du 8 janvier, annonçant que, eu égard à sa décision unilatérale, elle considère ne plus être redevable d’indemnités de congé. Elle délivre ultérieurement des documents C4 signés le 8 janvier fixant la date de fin de l’occupation à la date de l’incendie et indique comme cause exacte de chômage le « licenciement unilatéralement notifié par un tiers ».

Entre-temps, le 14 janvier, une organisation syndicale a interpellé l’employeur signalant que les ouvriers qui n’avaient pas démissionné étaient encore au service de la société et que le courrier de l’employeur au Fonds de fermeture n’avait pas fait l’objet d’un consensus. Le syndical signale que les ouvriers en surnombre lors de la reprise des activités devraient être licenciés et percevoir une indemnité de rupture.

Une procédure est introduite devant les juridictions du travail en paiement de celle-ci.

Dans un jugement du 27 avril 2009, le Tribunal du travail de Gand fait droit à la demande et condamne la société au paiement d’une indemnité de congé ainsi qu’à la délivrance d’un document C4 rectifié.

Suite à l’appel de l’employeur, la Cour du travail de Gand est saisie.

Arrêt de la Cour du travail de Gand du 8 juin 2011

La cour confirme le jugement du tribunal. Elle rappelle les principes régissant la rupture pour force majeure définitive et souligne que celle-ci ne met pas fin au contrat de travail automatiquement mais seulement si le débiteur l’invoque. Pour la cour, si la société avait eu l’intention d’invoquer l’incendie comme cas de force majeure, elle devait en prendre l’initiative à ce moment. Elle a cependant recouru à la force majeure temporaire, ce qui a entrainé le bénéfice des allocations de chômage pour les travailleurs jusqu’à la fin de l’année 2003. La cour constate qu’il ressort des éléments du dossier que le Fonds de fermeture des entreprises a exposé avoir assimilé la situation de force majeure pour cause d’incendie d’une durée de plus de deux ans à une hypothèse de fermeture d’entreprise, décision sui generis du Comité de gestion, qui a donné lieu au paiement des indemnités de fermeture. En outre, la cour relève qu’elle a fait figurer sur les documents C4 la mention « licenciement unilatéralement notifié par un tiers ». Pour la cour, cependant, la société ne pouvait considérer que, eu égard à cette décision unilatérale du Fonds, elle n’était plus redevable d’indemnités de rupture.

La cour constate encore que la démarche effectuée par les travailleurs en janvier 2004 ne peut être interprétée comme un constat de force majeure, le syndicat demandant essentiellement à la société de prendre position sur la situation des ouvriers, laissés sans emploi depuis plus de deux ans.

C’est donc à tort que la société a considéré que tant le Fonds que les travailleurs avaient invoqué l’impossibilité définitive de poursuivre l’exécution du contrat de travail, soit une situation de force majeure.

La cour rappelle encore qu’il n’appartient pas à un tiers de mettre fin au contrat de travail et que peu importe l’existence ou non d’une volonté dans son chef à elle de rompre. Elle relève enfin, avec le Fonds de fermeture, que la date de fermeture du 1er octobre 2001 (date de l’incendie) est étrangère à l’expiration du contrat de travail et que l’effet rétroactif de la force majeure définitive ne peut être accepté.

L’indemnité de rupture est dès lors due.

Moyens du pourvoi

Dans sa troisième branche, le pourvoi fait grief à la cour du travail d’avoir omis d’examiner l’existence d’une volonté dans le chef de la société de mettre fin au contrat. Il est ainsi reproché à l’arrêt d’avoir violé la notion de congé.

Décision de la Cour

Dans un bref attendu, la Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que, si une partie se prévaut à tort de la force majeure ou reproche à l’autre partie d’avoir mis fin au contrat, elle y met elle-même fin et de manière irrégulière par ledit constat. Le juge n’est pas tenu de constater qu’il y a eu volonté de mettre fin au contrat.

Intérêt de la décision

La rupture pour force majeure, mode de rupture visé à l’article 32, 5° de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail ne peut opérer in se. Elle suppose un constat de rupture, étant l’’obligation de dénoncer la fin du contrat. Elle ne peut, par ailleurs, avoir un caractère rétroactif. Les faits de cet arrêt éclairent également une autre dimension de cette modalité de fin de contrat, étant que la décision de rupture ne peut émaner d’un tiers, ici, une décision du Fonds de fermeture d’assimiler une suspension de contrats de travail de plus de deux ans à une hypothèse de fermeture donnant lieu au paiement des indemnités de fermeture.

L’on peut encore, sur la question de l’absence de caractère rétroactif du constat de force majeure, renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 mars 2014 (C. trav. Bruxelles, 25 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/474), disponible sur www.terralaboris.be.


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