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Récupération d’un indu de pension de retraite en cas d’octroi d’un autre avantage non cumulable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 avril 2014, R.G. 2013/AB/706

Mis en ligne le mardi 7 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 24 avril 2014, R.G. n° 2013/AB/706

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le point de départ de la prescription de la demande de récupération d’indu en cas de perception d’une autre pension octroyée par un pays étranger.

Les faits

Un travailleur salarié sollicite le bénéfice d’une pension de retraite, en 1989. Celle-ci lui est octroyée au taux isolé. Il habite en Allemagne. En 2002, il se marie avec une allemande (qui a vingt ans de moins que lui). Celle-ci étant toujours active sur le marché du travail, la pension de retraite continue à être versée au taux isolé. Il informe l’ONP que son épouse, qui a travaillé jusque fin 2003, perçoit des allocations de chômage depuis le 1er janvier 2004. Dans une seconde demande de renseignements, en 2005, il déclare que celle-ci n’a plus d’activité professionnelle et qu’elle ne peut faire valoir aucun droit en matière de sécurité sociale (soins de santé, invalidité, chômage, prépension, etc.). Une pension est alors octroyée avec effet rétroactif au taux ménage. En 2010, l’Office national des pensions obtient des renseignements de l’institution allemande, à propos de l’intéressée qui a, à ce moment, dépassé l’âge de la pension. Il est informé qu’elle perçoit depuis septembre 2006 une pension de retraite de l’ordre de 760€.

L’ONP procède alors à une revision de la situation et, appliquant la règle de prescription de trois ans, réclame un montant de l’ordre de 9.000€, correspondant à la période de décembre 2007 à novembre 2010. Ce montant est récupéré progressivement à raison de 10% par mois sur les pensions en cours.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en contestation de la décision de l’ONP et en remboursement des montants indus. L’Office forme, pour sa part, une demande reconventionnelle demandant la condamnation au paiement de l’indu en totalité.

Décision du tribunal

Le tribunal du travail accueille la demande par jugement du 3 juin 2013 et annule la décision de l’Office. Il condamne également à rembourser les retenues indues, à majorer des intérêts.

Le tribunal considère, sur la base de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, qu’il y a eu erreur dans le chef de l’ONP, la demande d’information ayant été tardive. Pour le tribunal, la décision administrative ne vaut que pour l’avenir.

Position des parties devant la cour

L’ONP conteste l’application de l’article 17 de la Charte. Il fait grief à l’assuré social de ne pas l’avoir informé du changement de sa situation familiale, étant la prise de cours de la pension de retraite dans le chef de son épouse. En ce qui concerne la prescription de la demande, l’ONP conteste celle-ci, considérant que le délai ne pouvait courir lors des paiements mais qu’il n’a pu débuter que lors de la notification de la décision. Il considère avoir fait une juste application du délai de prescription de trois ans prévue à l’article 21, § 3 de la loi du 13 juin 1966 relative aux pensions de retraite et de survie. Pour l’ONP, le demandeur est resté en défaut de faire une déclaration rectificative, alors qu’il s’y était engagé ainsi qu’il ressort du dossier.

Quant à l’intéressé, il plaide qu’il y a prescription, le délai ne pouvant courir à la notification de la décision administrative (informant l’ONP de l’existence d’une pension de retraite dans le chef de son épouse) mais au moment des paiements indus. Il conteste par ailleurs, tant pour lui-même que pour son épouse, ne pas avoir fait une déclaration à laquelle il était tenu.

Décision de la cour

La cour se penche en premier lieu sur la prescription de la demande reconventionnelle introduite par l’ONP.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 21, § 3 de la loi du13 juin 1966, l’action en répétition de prestations payées indûment se prescrit par six mois à compter de la date à laquelle le payement a été effectué. Lorsque le paiement indu trouve son origine dans l’octroi ou la majoration d’un avantage accordé par un pays étranger ou d’un avantage dans un autre régime, la prescription intervient dans un délai de six mois à compter de la date de la décision octroyant ou majorant les avantages précités.

Ce délai est porté à trois ans lorsque les sommes indues ont été obtenues par des manœuvres frauduleuses ou par des déclarations fausses ou sciemment incomplètes. Il en est de même, selon le texte légal, en ce qui concerne les sommes payées indûment par suite de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

La loi prévoit encore (même disposition, § 4), qu’outre les cas prévus au Code civil, la prescription est interrompue par la réclamation des paiements indus notifiée au débiteur par lettre recommandée à la pose ou par la décision rectificative dûment notifiée par l’autorité administrative chargée de la fixation des droits. La prescription doit dès lors être introduite dans un délai de six mois après le dernier acte posé en vue de la récupération.

La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass. 3 novembre 2003, R.G. S.03.0045.N), qui a défini la portée de la disposition légale : en prévoyant un point de départ spécial, le législateur a entendu éviter que l’action en répétition des prestations indues puisse être prescrite avant que l’organisme payeur ait pu constater le caractère indu des prestations octroyées. Il ne peut en effet constater le caractère indu de celle-ci qu’après que la notification de la décision étrangère est intervenue.

La cour conclut dès lors, sur la base de ces principes, que la prescription a commencé à courir à la notification et qu’elle a été valablement interrompue dans le délai de six mois.

Elle examine ensuite si la demande ne pourrait pas être soumise à un délai de prescription de trois ans, et ce eu égard à l’absence de déclaration faite par l’intéressé. Elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation, dont un important arrêt du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, R.G. n° S.04.0172.F) statuant sur la portée de l’article 21, § 3, alinéa 3 de la loi du 13 juin 1966, en combinaison avec l’article 38 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 et l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations à charge de l’Etat. Dans cet arrêt la Cour de cassation a retenu que l’application de l’arrêté royal du 31 mai 1933 suppose la preuve de la connaissance par la personne qui bénéficiait de la prestation qu’elle ne remplit plus les conditions d’octroi de celle-ci. Le juge est tenu d’examiner à partir des circonstances de l’espèce si cette connaissance existait.

La cour conclut qu’en l’espèce rien ne permet de dire que l’intéressé savait ou devait savoir qu’il devait faire une déclaration concernant la pension de son épouse. Elle précise que l’on ne peut pas attendre d’une personne de plus de quatre-vingts ans, qui habite en l’occurrence en Allemagne depuis trente ans et est en mauvais état de santé, qu’elle devait signaler d’initiative à l’ONP que son épouse bénéficiait d’une pension de retraite.

Elle va dès lors conclure que, si la prescription a débuté à la date de la notification de la décision, elle n’a cependant été valablement interrompue qu’une fois et ne l’a plus été ultérieurement dans le délai de six mois. Il y a dès lors prescription de la demande de l’Office, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner s’il y a lieu ou non à application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion de rappeler le point de départ spécifique de la prescription de l’action en répétition de prestations indues lorsque le paiement trouve son origine dans l’octroi ou la majoration d’un avantage accordé par un pays étranger (ou d’un avantage dans un autre régime). La cour du travail renvoie très utilement à la jurisprudence de la Cour de cassation quant à l’interprétation des dispositions en cause.

Soulignons encore que dans son arrêt du 3 novembre 2003, la Cour de cassation a précisé qu’en prévoyant un point de départ spécial, le législateur a entendu éviter qu’il y ait une possibilité de prescription de l’action en répétition alors que l’organisme payeur n’avait pas encore pu constater lui-même le caractère indu des prestations octroyées et que le législateur avait dès lors prévu que ce délai de prescription ne commençait à courir qu’à compter de la notification de la décision à l’organisme payeur et non de celle effectuée par l’organisme payeur à celui qui demandait la pension.


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