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Accident du travail : le refus d’une victime de subir une intervention chirurgicale a-t-il une incidence sur son indemnisation ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. 2013/AB/841

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/841

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en vertu de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, celui-ci a le droit de refuser ou de retirer son consentement (librement donné) pour une intervention chirurgicale.

Les faits

Une employée est victime d’un accident du travail, ayant été exposée inopinément à un bruit strident d’une alarme incendie. L’intéressée porte, depuis sa prime jeunesse, un appareil auditif aux deux côtés.

Elle est en incapacité de travail pendant plusieurs mois. L’entreprise d’assurances lui notifie une décision de remise au travail, mettant ainsi un terme à l’incapacité temporaire. L’assureur accepte également d’intervenir dans le coût du remplacement des appareils existants, mais ce à concurrence d’une seule fois.

Il formule alors des propositions de règlement, étant une incapacité temporaire de 9 mois environ ainsi qu’une incapacité permanente de 20% à dater de la date de consolidation qu’il a fixée.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain à l’initiative de l’intéressée.

Décision du tribunal

Un expert est désigné par jugement du 16 mars 2010 et, dans son rapport, déposé en août 2011, il confirme l’incapacité temporaire ainsi que la date de consolidation mais fixe l’incapacité permanente à 85% (80% pour la perte d’audition sur la base de l’article 712 du BOBI et 5% pour acouphènes y liés sur la base de l’article 714 du même barème).

L’expert précise, sur l’état pathologique antérieur, que celui-ci a été incontestablement influencé par l’accident du travail. Il reprend parmi les professions accessibles, uniquement celles sans contact avec des tiers, sans usage d’un téléphone, ce qui ne laisse qu’un éventail assez restreint. Il évoque cependant la possibilité pour l’intéressée de subir une intervention (implantation cochléaire), susceptible d’améliorer sensiblement la situation, mais nécessitant une revalidation intense. L’expert signale avoir exposé cette éventualité à l’intéressée, qui a refusé cette perspective. Il expose également les risques liés à une telle opération.

Relevant les observations du médecin de recours de l’intéressée, qui avait fait valoir que celle-ci n’a aucune obligation de se soumettre à une telle opération, et ce même si elle est susceptible d’améliorer sensiblement la faculté auditive, l’expert confirme le bien-fondé des réticences de la personne (suite à des difficultés rencontrées dans le cadre d’interventions précédentes) et fixe le taux d’IPP à 85%.

Dans son jugement sur le fond, en date du 12 mars 2013, le tribunal du travail confirme la position de l’expert, ramenant cependant le taux d’IPP à 80%.

L’assureur-loi interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’assureur-loi demande qu’aucune incapacité permanente ne soit retenue, les autres points de règlement du litige étant non contestés.

A titre subsidiaire, il sollicite que l’incapacité permanente soit fixée par la cour et, à titre subsidiaire encore et admet 20%, étant sa proposition initiale.

Décision de la cour

La cour procède à quelques développements en droit sur la question du refus de subir une intervention chirurgicale et de l’incidence de celui-ci sur l’étendue de la réparation.

L’arrêt rappelle en premier lieu la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient et, particulièrement, son article 8, § 4 : le patient a le droit de refuser ou de retirer son consentement (librement donné) pour une intervention. Il n’y a dès lors pas lieu, pour la cour, d’examiner si l’intéressée peut ou non refuser. La question qui se pose est de déterminer l’incidence de ce refus sur les obligations de l’entreprise d’assurances au niveau de l’indemnisation de l’incapacité permanente.

La cour rappelle que celui qui subit un dommage a l’obligation de limiter celui-ci, et ce eu égard aux critères de la personne normalement prudente et diligente (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1992 (Cass., 14 mai 1992, R.W., 1993-1994, Col. 1395, note VAN OEVELEN A.). Seul pourrait, pour la cour, intervenir dans l’appréciation d’un refus le caractère non raisonnable de celui-ci. Or, en l’occurrence, l’on ne peut reprocher la chose à l’intéressée, et ce eu égard aux explications données par l’expert quant à l’intervention elle-même, ainsi qu’aux craintes de celle-ci (qui avait précédemment subi un tel traitement pour une tumeur, traitement ayant donné lieu à de fortes complications). La cour retient encore que, au moment où elle statue, l’intéressée a atteint depuis plusieurs mois l’âge de la retraite. Elle confirme, en conséquence, la légitimité du refus.

Elle en vient, ensuite, à l’examen de l’incidence d’un état antérieur sur l’étendue de la réparation et, reprenant ici la jurisprudence constante de la Cour de cassation (dont l’arrêt du 30 octobre 2006, R.G. n° S.06.0039.N), rappelle que, dès lors qu’un accident du travail est une cause (même partielle) de l’incapacité, l’assureur-loi doit intervenir pour le tout.

Enfin, reprenant les règles en matière d’évaluation, dont les principes régulièrement rappelés par la Cour de cassation, la cour constate que, eu égard au niveau de formation (moyen), aux possibilités de réorientation professionnelle (très limitées), à son âge (59 ans) et au pourcentage d’incapacité physique retenu par l’expert (85%), il y a lieu de confirmer l’appréciation du tribunal, qui a retenu 80%.

La cour déboute dès lors l’assureur de son appel.

Intérêt de la décision

L’intérêt premier et évident de cet arrêt est d’avoir rappelé le droit de tout individu de refuser de subir une intervention chirurgicale, droit contenu expressément à l’article 8, § 4 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

Il fait, ensuite, une juste application de la règle selon laquelle c’est l’appréciation de la perte de capacité de travail qui est le critère d’évaluation du taux à retenir tant que l’état antérieur (non contesté en l’espèce) continue à être influencé par l’accident.

L’arrêt contient cependant – comme le jugement- une particularité qui peut étonner, étant qu’il constate que la perte de capacité concurrentielle (soit le critère socio-économique exigé par la loi) est inférieure au pourcentage d’incapacité physique telle que fixée par le BOBI. Les deux évaluations sont certes distinctes, mais ni la cour ni le tribunal n’exposent le motif pour lequel ils aboutissent à une évaluation inférieure à celle qui résulterait de l’application du BOBI.


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