Terralaboris asbl

Droit aux prestations familiales garanties en cas de parent de nationalité étrangère ayant à la fois des enfants belges et des enfants non belges

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2014, R.G. n° 2010/AB/1.034

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2014, R.G. n° 2010/AB/1.034

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 juin 2014, la cour du travail de Bruxelles rappelle les exigences de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties en ce qui concerne la condition de résidence d’un parent étranger sollicitant l’octroi de prestations familiales garanties, et ce, à la lumière de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Les faits

Une mère de nationalité congolaise, résidant en Belgique, a quatre enfants dont un belge. Ceux-ci sont nés entre 1998 et 2007. L’intéressée introduit une demande de régularisation de séjour en avril 2003. Elle bénéficie d’un CIRE d’un an, prolongé jusqu’en août 2006. Le séjour n’est pas légal avant le 31 mars 2008, date à laquelle elle dispose d’une carte d’identité d’étranger.

L’enfant belge a perçu les allocations familiales via sa grand-mère, attributaire.

Quant à la mère, elle a bénéficié d’une aide sociale à diverses reprises et, depuis qu’elle a été mise en possession de sa carte d’identité d’étranger, elle reçoit l’équivalent du revenu d’intégration.

Elle a introduit, suite à la régularisation de son séjour, une demande de prestations familiales garanties, demande rejetée par l’ONAFTS, au motif qu’elle ne remplissait pas la condition de résidence de cinq ans. Une procédure a dès lors été introduite devant le tribunal du travail et, parallèlement, une demande de dérogation a été faite auprès du SPF Sécurité sociale (demande rejetée). Le droit aux prestations familiales a été admis par jugement du tribunal du travail du 13 octobre 2006, pour les quatre enfants, et ce à dater du 1er mars 2008, mois au cours duquel la mère a obtenu sa carte d’identité d’étranger.

L’ONAFTS interjette appel en ce qui concerne les trois enfants non belges.

Position des parties devant la cour

L’ONAFTS considère que l’intéressée ne remplit pas la condition de résidence, celle-ci n’étant satisfaite que depuis le mois d’août 2009.

Quant à la mère, elle estime qu’elle séjournait de manière ininterrompue sur le territoire belge pendant la période requise. Elle demande que, conformément à l’article 7, alinéa 2 de la loi, les allocations lui soient accordées un an avant l’introduction de la demande.

Décision de la cour

La cour rappelle que l’article 1er, alinéas 1, 6 et 8 de la loi du 20 juillet 1971 applicable à l’époque prévoyait une condition de résidence ininterrompue pendant les cinq dernières précédant l’introduction de la demande, durée ramenée à quatre ans par une circulaire ministérielle du 16 juillet 2007. Quant à l’enfant lui-même, il doit résider effectivement en Belgique et, s’il est étranger, il doit être admis à y séjourner.

La cour va dès lors examiner la condition de résidence, renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2009 (C. const., 25 mars 2009, n° 62/2009). Elle rappelle que, dans une autre affaire, en présence d’un enfant belge et d’autres enfants non belges, l’enseignement de la Cour constitutionnelle ci-dessus ne pouvant s’appliquer, elle a soumis par arrêt du 22 décembre 2011 une nouvelle question à la Cour.

Cette question portait sur l’article 1er, alinéa 6 de la loi et sa conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution d’une part ainsi que l’article 1er du Protocole n° 1 de la CEDH et l’article 14 de la Convention, de même qu’avec les articles 2, § 2 et 26, § 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La Cour constitutionnelle a répondu à l’absence de violation dans un arrêt du 21 février 2013 (C. const., 21 février 2013, n° 12/2013), étant qu’il n’y a pas traitement discriminatoire des enfants d’un demandeur étranger autorisé à séjourner en Belgique selon que l’enfant a la nationalité d’un Etat tiers à l’Union ou est de nationalité belge.

Attentive en outre à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la cour du travail a considéré que la question devait être reposée au regard de sa dimension familiale, ce qui a été fait dans un arrêt du 22 mai 2014, question plus spécifiquement axée sur le montant des prestations familiales, le ressortissant étranger qui a à sa charge plusieurs enfants dont l’un n’est pas belge ou ressortissant de l’Union européenne subissant une réduction des allocations équivalentes aux allocations normalement dues pour le plus jeune de ses enfants, alors que dans l’hypothèse inverse, les allocations seraient accordées pour tous les enfants et fixées et fonction du rang de chacun d’eux. La cour du travail précise dans sa question que ce traitement apparaît différent en ce qui concerne la vocation des familles à séjourner de manière durable en Belgique, et alors qu’elles se trouvent dans des situations comparables.

Cette précision apportée, la cour doit bien constater que, dans l’état actuel des choses, l’on ne peut faire abstraction de la condition de résidence. Elle examine dès lors si, comme elle le prétend, la mère peut prouver qu’elle a résidé en Belgique pendant la période exigée.

Reprenant les termes de l’article 1er, alinéa 8, de la loi, la cour apporte une précision importante, étant que si le séjour doit être légal au moment de la demande, la régularité de celui-ci n’est pas exigée pendant toute la période en cause, l’article 1er, alinéa 6 ne visant que le séjour effectif et ininterrompu, ce qui n’est d’ailleurs pas – ainsi qu’elle le relève – contesté par l’ONAFTS. Ces développements permettent dès lors de considérer que la condition de résidence est remplie.

En ce qui concerne la période antérieure au 1er mars 2008, la cour examine le droit pour les deux catégories d’enfants (l’enfant belge et les trois enfants de nationalité étrangère) à bénéficier des allocations. S’agissant ici de conditions d’octroi des prestations, la cour relève que parmi celles-ci est visée l’exigence d’un séjour régulier en Belgique dans le chef de l’enfant ainsi que de la personne physique qui en a la charge. La légalité du séjour doit dès lors être présente pendant la période pour laquelle les prestations sont demandées. La cour admet, en conséquence, que le droit peut rétroagir à compter de la reconnaissance du droit au séjour, c’est-à-dire non à la date d’émission de la carte d’identité mais à celle où l’Office des étrangers a donné instruction de délivrer le titre de séjour.

Reste la question particulière de l’enfant de nationalité belge pour lequel la cour rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 juin 2006 (C. const. 28 juin 2006, n° 110/2006), qui a confirmé que la condition de légalité de séjour n’est pas discriminatoire, s’agissant d’un parent étranger d’un enfant belge. La même conclusion que ci-dessus s’impose, étant que le droit est ouvert à partir de l’autorisation donnée par l’Office des étrangers.

Une réouverture des débats est ordonnée aux fins de connaître cette date.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les interventions successives de la Cour constitutionnelle en la matière et il renvoie au dernier état de la jurisprudence, étant que la Cour constitutionnelle vient d’être interpellée à propos de la différence quant au montant des prestations familiales perçues, eu égard à l’absence de prise en compte dans les rangs.

L’on notera enfin que, en ce qui concerne le parent étranger d’un enfant belge, si l’exigence de la condition de séjour n’a pas été considérée comme discriminatoire par la Cour constitutionnelle, c’est que la prise en compte des prestations familiales garanties peut intervenir dans le cadre de l’aide sociale. En l’espèce, la cour a constaté que l’ONAFTS n’avait pas informé l’intéressée de cette possibilité. Elle n’en a cependant pas tiré de conclusion eu égard, par exemple, à l’obligation d’information des institutions de sécurité sociale telle que régie par la Charte de l’assuré social.


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