Terralaboris asbl

Un vol est-il automatiquement un motif grave de licenciement ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/639

Mis en ligne le lundi 8 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 6 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/639

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en matière de licenciement pour motif grave, dont l’exigence légale que le comportement visé doit être à ce point grave qu’il rend toute collaboration immédiatement impossible.

Les faits

Un agent administratif au service d’un CPAS depuis un an et demi emporte en fin de journée de travail deux rouleaux de sacs poubelle. Ce fait est constaté par sa supérieure hiérarchique.

Une audition intervient le lendemain et il déclare à ce moment avoir acheté lesdits rouleaux dans un magasin, ce qui s’avère inexact. Il est réentendu aussitôt et avoue alors avoir emporté les deux sacs pour son usage privé. Il rédige une lettre d’excuses et rachète deux rouleaux identiques dans la journée et les remet à son employeur. Le lendemain, un signalement est rédigé par la responsable du département où l’intéressé est affecté, demandant qu’une sanction soit prise vis-à-vis de l’intéressé. Celui-ci demande pour sa part à être entendu par la commission compétente.

Il est convoqué six jours plus tard en vue de l’audition. Le Conseil de l’action sociale se réunit alors et décide du licenciement pour motif grave.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail qui, par jugement du 10 février 2012, déboute l’intéressé de sa demande.

Appel est interjeté.

Décision de la cour

La cour reprend, dans un premier temps, les principes en matière de motif grave et la méthode d’examen de la régularité d’un tel licenciement.

En vertu de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, il appartient à l’employeur d’établir l’existence d’une faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle. Ceci suppose qu’il y ait une faute, que celle-ci ait un certain degré de gravité et qu’il y ait impossibilité, en raison de celle-ci, immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle.

La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2006 (Cass., 20 novembre 2006, R.G. n° S.05.0117.F), selon lequel le fait à la base du licenciement est le fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave. Pour la cour du travail, ces éléments concernent tant le travailleur que l’employeur. Dans son appréciation, le juge doit tenir compte d’un ensemble de critères, à savoir (de manière non limitative) l’ancienneté, les fonctions, les responsabilités, le passé professionnel, les éventuels antécédents ainsi que l’état de santé (physique et mentale) du travailleur tel que connu par son employeur. Il faut également tenir compte des règles internes à la société, de son éthique ainsi que de la culture de l’entreprise. En outre, l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre le contrat de travail passe par l’examen d’un contrôle de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction.

Quant au délai pour licencier, la cour reprend divers arrêts de la Cour de cassation qui ont balisé cette délicate question, s’agissant d’abord de la notion de connaissance du fait (c’est-à-dire de la certitude suffisant à la conviction de l’employeur ainsi qu’au travailleur et au juge), de la place de l’audition dans ce processus, ainsi que de l’exigence légale que cette connaissance doit être acquise dans le chef de la personne qui a le pouvoir de rompre le contrat.

La cour précise que l’article 35, alinéa 3 (relatif à ce délai de trois jours entre la connaissance et le licenciement) est une disposition impérative en faveur des deux parties. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mai 2000 (Cass., 20 mai 2000, R.G. n° S.99.0046.F), de telle sorte que le juge est tenu d’office d’en vérifier le respect. Elle rappelle encore un point important, étant qu’il ne peut être dérogé au mécanisme de l’article 35, alinéa 3, par une disposition d’un rang inférieur dans la hiérarchie des normes, ainsi une procédure préalable au licenciement ne peut allonger le délai ni différer sa prise de cours sauf si, et dans la mesure où, ceci permet à la personne compétente d’acquérir la connaissance certaine des faits. La cour renvoie ici à la doctrine de Michel DUMONT (M. DUMONT, « Le double délai de trois jours : la gageure d’aller vite tout en prenant le temps de la réflexion », Le congé pour motif grave, coord. S. GILSON, Anthémis, 2011, p. 82).

Dans le cas d’espèce, tout en retenant que le Conseil de l’action sociale est l’organe compétent au sein du CPAS pour licencier, la cour constate que la rupture est intervenue plus de trois jours ouvrables après l’audition et que le CPAS ne prouve pas avoir respecté le délai légal pour notifier le licenciement.

Celui-ci est dès lors tardif.

La cour examine cependant le fait lui-même, constatant que, s’il est fautif et présente un certain degré de gravité - puisque le fait de s’approprier un bien de l’employeur est de nature à susciter un doute sur l’honnêteté du travailleur et que, ce dernier ayant accès à du matériel de l’employeur, il devait pouvoir lui être fait confiance -, certains éléments sont de nature à atténuer cette gravité : la faible valeur des objets emportés, l’absence d’antécédents, les excuses présentées par écrit, l’absence de toute manœuvre frauduleuse et le contexte d’urgence.

Pour la cour, il faut distinguer ici le fait tel que non contesté avec un vol d’argent ou un vol de marchandises, qui aurait pour objet l’enrichissement personnel du travailleur.

Soulignant encore les lenteurs de l’enquête – qui contribuent à retenir une absence de gravité suffisante – la cour conclut qu’il n’y avait pas impossibilité immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend de manière synthétique la méthode d’examen du motif grave, avec à l’appui les principaux arrêts de la Cour de cassation sur divers aspects du mécanisme légal.

Il conclut assez logiquement à la tardiveté de la rupture.

Mais c’est sur les critères d’appréciation du motif grave qu’il présente un intérêt particulier, dans la mesure où il retient les éléments auxquels le juge doit avoir égard dans son appréciation de la gravité du motif : tout en retenant que les circonstances à prendre en compte doivent concerner tant le travailleur que l’employeur, la cour précise que les critères de pondération du motif liés au travailleur sont à la fois d’ordre professionnel (ancienneté, fonction, responsabilités, passé professionnel, antécédents éventuels) et personnels (état de santé physique et mental connu de l’employeur). Pour ce qui est des critères relatifs à l’employeur, la cour pointe les règles internes et éthiques de l’entreprise ainsi que la culture de l’entreprise elle-même.

Enfin, le vol est toujours un motif extrêmement délicat, mais dont il faut se garder de conclure qu’il conduit automatiquement au motif grave. Dans l’arrêt annoté, la cour signale qu’il faut distinguer le cas d’espèce (vol de matériel dans un contexte d’urgence en vue d’un usage immédiat) avec un vol d’argent ou de marchandises à des fins d’enrichissement personnel.

L’on peut encore rappeler que dans un arrêt du 29 novembre 2010 (Cass., 29 novembre 2010, R.G. n° S.09.0114.F), la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 17 septembre 2009, qui avait également conclu à l’absence de motif grave, dès lors qu’il n’y avait pas d’intention frauduleuse dans le chef du travailleur. Le motif doit dès lors faire l’objet d’une appréciation nuancée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be