Terralaboris asbl

Evaluation de la perte de capacité dans le secteur des prestations aux personnes handicapées

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mai 2014, R.G. 2013/AB/566

Mis en ligne le lundi 8 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 5 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/566

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles d’évaluation de la perte de capacité de travail dans les secteurs AMI et allocations aux personnes handicapées : convergences mais divergences également.

Les faits

Monsieur C. introduit une demande d’allocations dans le cadre des prestations aux personnes handicapées. La décision est négative, au motif qu’il ne satisfait pas aux conditions médicales. La réduction d’autonomie est trop faible (2 points sur 18) et la réduction de capacité de gain ne correspond pas à un tiers ou moins.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Après avoir désigné un expert, le tribunal confirme la décision administrative et déboute l’intéressé. Celui-ci interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour règle assez rapidement la question de l’allocation d’intégration, les éléments au dossier ne permettant pas d’infirmer les conclusions de l’expert judiciaire sur la réduction d’autonomie. La cour confirme dès lors sur cette question que les conditions médicales ne sont pas remplies.

Elle réserve davantage de développements à l’allocation de remplacement de revenus.

Celle-ci exige en effet que la capacité de la personne handicapée soit réduite à un tiers ou moins de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner en exerçant une profession sur le marché général du travail. A cette condition s’ajoute une autre, relative aux revenus de l’intéressé.

La cour constate que, si l’expert désigné par le tribunal du travail dans le cadre de la demande d’allocations aux personnes handicapées a considéré la réduction de capacité insuffisante, une autre procédure a été initiée par l’intéressé en matière AMI. Dans celle-ci, un autre expert, également désigné par le tribunal du travail, a conclu qu’il y avait perte de capacité de deux tiers au moins, conformément aux conditions de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et le tribunal a, dans cette procédure, conclu que les conditions légales étaient réunies, entérinant l’avis de cet expert. Ce jugement est par ailleurs définitif et l’organisme assureur l’a exécuté.

Se pose dès lors pour la cour la question de savoir si les critères dans les deux régimes sont identiques ou différents. Elle renvoie à la doctrine (D. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? », Regards croisés sur la sécurité sociale, dir. F. ETIENNE et M. DUMONT, Anthémis, CUP, 2012, p. 304 et 305), qui a relevé des convergences mais également des différences entre les deux modes d’évaluation. Ainsi, en AMI, l’invalidité doit être appréciée individuellement, en fonction des facteurs propres à l’assuré social (possibilités réelles de reclassement, langue, nationalité et formation), alors que dans le secteur des prestations aux personnes handicapées, il y a une référence – que la cour qualifie d’abstraite – à la personne valide, et ce même s’il doit être tenu compte du profil professionnel du demandeur. Dès lors, la cour constate ne pas pouvoir appliquer à la matière les conclusions de l’expertise ayant admis la perte de capacité de deux tiers ou plus dans le secteur AMI. Elle relève également que l’Etat belge n’était pas partie à ce litige et que l’expertise ne peut donc avoir un caractère contradictoire envers lui.

Examinant, cependant, les deux rapports, elle relève que, dans le cadre de la procédure AMI, il a été accordé beaucoup d’attention à l’aspect psychiatrique, ce qui n’a pas été le cas dans l’expertise menée en première instance, où principalement étaient prises en compte des douleurs dont l’intéressé dit souffrir. La cour conclut qu’il y dès lors un doute quant à la justesse des conclusions de ce rapport et ordonne un complément d’expertise portant sur l’aspect psychiatrique ainsi que ses éventuelles répercussions sur la capacité de gain, celle-ci étant appréciée conformément aux critères du secteur des personnes handicapées. Elle confie ce complément d’expertise à un expert psychiatre.

Enfin, la cour aborde très brièvement le droit de l’intéressé aux avantages sociaux et fiscaux et conclut que, vu la faible réduction d’autonomie, celle-ci ne peut fonder le droit de l’intéressé. Elle sursoit dès lors à statuer, vu que doit encore être déterminée la réduction de la capacité de gain, qui pourrait en asseoir le droit.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion de confronter les modes d’évaluation des critères des deux législations : assurance soins de santé et indemnités ainsi que prestations pour personnes handicapées. L’arrêt revoie à la doctrine récente et autorisée sur la question, relevant les termes et références de chacun des deux secteurs. L’on sait en effet qu’en AMI, l’évaluation se fait en fonction de facteurs propres à l’assuré social eu égard à ses possibilités réelles de reclassement, sa langue, sa nationalité ainsi que sa formation. Le critère est plus synthétique dans le secteur des prestations aux personnes handicapées et la cour constate ici que la référence à la personne valide est une référence abstraite, tout en précisant qu’il y a malgré tout lieu de tenir compte du profil professionnel de la personne handicapée.

Ayant devant elle les deux rapports d’expertise, la cour les examine, cependant, ce qui lui permet de procéder à la comparaison des éléments médicaux invoqués en vue de la prise en charge de l’intéressé par un secteur ou l’autre de la sécurité sociale. L’on relèvera encore que la mission de l’expert porte, conformément au critère ci-dessus, à l’évaluation de la réduction de la capacité de gain à un tiers ou moins de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner en exerçant une activité professionnelle sur le marché général du travail et que la cour demande également de préciser, s’il y a invalidité ou incapacité de travail, si celle-ci est d’au moins 80% ou, en cas d’invalidité, si celle-ci est le cas échéant permanente. Ceci pour les avantages sociaux et fiscaux.


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