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Convention de rupture d’un commun accord : conditions de la violence morale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 mai 2014, R.G. 2012/AB/528

Mis en ligne le jeudi 4 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 6 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/528

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle d’une part qu’une convention de rupture d’un commun accord est valable, tant qu’il n’est pas établi que le consentement du travailleur aurait été vicié par violence et de l’autre que ne constitue pas une violence injuste ou illicite la menace motivée par l’exercice normal d’un droit.

Les faits

Un employé d’une société du secteur privé, ayant depuis les élections sociales de 2008 la qualité de représentant du personnel au CE et au CPPT, se trouve, en fin de cette même année, en incapacité de travail de longue durée. Lorsque celle-ci se termine, il ne reprend pas le travail mais signe avec la société une convention de rupture d’un commun accord.

Celle-ci lui alloue une indemnité de départ égale à 3 mois de rémunération.

L’intéressé cite, ensuite, la société au paiement de l’indemnité de protection, devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Figurent également des chefs de demande annexes (arriérés et régularisations).

Il est débouté de sa demande par jugement du 17 janvier 2012. Il est également condamné aux dépens de l’instance, fixés à 5.500€.

Il interjette appel, contestant la validité de la convention de rupture.

Décision de la cour du travail

La cour aborde successivement la question de la validité de la convention ainsi que le droit qu’a l’intéressé à une indemnité de protection et, enfin, les autres chefs de demande.

C’est à un rappel des principes qu’elle procède, en premier lieu, sur la validité du consentement. Elle rappelle que celui-ci n’est pas valable s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol (article 1109 C.C.) et qu’une obligation contractée dans ces hypothèses peut être annulée (article 1117 C.C.).

Après avoir renvoyé à l’article 1112 C.C., qui définit la violence, elle retient que quatre conditions sont requises pour qu’il y ait vice de consentement, étant (i) que la violence doit avoir été déterminante de celui-ci, (ii) qu’elle doit être de nature à faire impression sur la personne concernée, (iii) qu’elle doit faire naître la crainte d’un mal considérable, physique ou moral et (iv) qu’elle doit être injuste ou illicite. A l’appui de ce rappel, la cour reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Dans l’appréciation du caractère injuste ou illicite de la violence, la cour rappelle que l’existence d’un rapport de subordination moral ou économique ne suffit pas, non plus que la menace motivée par l’exercice normal d’un droit et qu’il faut apprécier concrètement les conditions dans lesquelles le travailleur a signé le document contesté. Ces conditions sont déterminantes. Enfin, sur le plan de la preuve, celle-ci est à charge de la partie qui s’en prévaut, selon les règles classiques.

En l’espèce, la cour décrit le contexte dans lequel la rupture est intervenue, étant qu’à l’issue de la période d’incapacité de travail, la société n’étant pas en mesure de l’affecter immédiatement à un projet précis, il y a eu dispense de prestations temporaire et que l’intéressé s’est à ce moment mis à la recherche d’un nouvel emploi, ce dont il informait d’ailleurs la société. Après une période de trois semaines environ, alors qu’il était convoqué pour reprendre le travail, une réunion est intervenue et à l’issue de celle-ci, la convention a été signée.

La cour relève que peu d’éléments sont donnés en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la réunion s’est tenue mais qu’il appartient à l’intéressé, s’il se prévaut d’une pression morale, d’établir celle-ci. Le seul fait que la rupture est intervenue avec paiement d’une indemnité de trois mois au lieu d’une importante indemnité de protection n’est pas de nature à permettre de présumer l’existence de la violence morale requise.

La cour rappelle encore que l’indemnité de protection ne serait due que si l’employeur rompait le contrat unilatéralement, hypothèse non rencontrée en l’espèce, puisque l’intéressé avait été convoqué en vue d’être réaffecté à de nouvelles fonctions.

Elle retient encore que ce n’est qu’au stade de la procédure judiciaire que la violence morale a été invoquée, dans des écrits de procédure, bien ultérieurs à la rupture.

En ce qui concerne la demande d’indemnité de protection, la loi du 19 mars 1991 a prévu que celle-ci est due par l’employeur qui a mis fin au contrat sans respecter les conditions et les procédures établies par cette loi (article 16). Ceci suppose que l’employeur ait rompu le contrat de travail ou encore que le travailleur y ait mis fin pour des faits imputables à l’employeur. La cour rappelle que le contrat peut, malgré les dispositions spécifiques de la loi du 19 mars 1991, prendre fin par d’autres modes de rupture, dont le commun accord. Le mécanisme de protection particulier n’est, dans cette hypothèse, pas actionné, la cour soulignant que le caractère d’ordre public de la loi ne fait pas obstacle à une telle rupture. L’indemnité n’est dès lors pas due.

Enfin, sur les autres chefs de demande, la cour revient sur la convention de rupture signée, convention qui contient des renonciations, non seulement à tous droits nés ou à naitre en raison ou à l’occasion des relations de travail mais également à toute erreur de droit ou de fait ainsi qu’à toute omission relative à l’existence ou à l’étendue des droits du travailleur.

La cour constate, avec le premier juge, que ces renonciations ont permis au tribunal de considérer que la convention constitue une transaction et que celle-ci a entre les parties l’autorité de chose jugée en dernier ressort. C’est le texte de l’article 2052, alinéa 1 C.C.

Dès lors, la cour conclut que cette demande est irrecevable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde successivement trois questions juridiques récurrentes.

Le travailleur qui marque accord sur la rupture du contrat de travail dans une convention de rupture peut en invoquer la nullité à la condition d’établir qu’il y a violence morale au sens où le Code civil définit celle-ci. Les conditions de la violence morale sont strictes et la charge de la preuve incombe au travailleur qui entend s’en prévaloir. Cette charge de la preuve est lourde, puisqu’il est tenu d’établir que la violence a été déterminante de son consentement, qu’elle est de nature à faire impression sur lui-même (tenant compte de son âge, de son niveau de formation, etc.), qu’elle est, ensuite, susceptible de faire naître la crainte d’un mal considérable et surtout qu’elle a un caractère injuste ou illicite.

La tâche est dès lors ardue et l’on ne peut qu’inciter à la prudence, dans le développement d’une telle argumentation.

La cour rappelle également que, malgré le caractère d’ordre public de la loi du 19 mars 1991, le contrat de travail peut être rompu d’un commun accord des parties.

Enfin – et cet aspect n’est pas négligeable – la cour conclut que, si une convention contient des renonciations, elle peut constituer une transaction et que celle-ci fait obstacle à une action en justice. Une procédure relative à un droit visé par les renonciations contenues dans la convention de transaction est irrecevable.


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