Terralaboris asbl

Responsabilité solidaire avec un co-contractant ayant des dettes sociales : pour quels types de travaux ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/1.072

Mis en ligne le mardi 26 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/1.072

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend la notion de « travaux immobiliers », spécifique à la matière de la responsabilité solidaire pour les cotisations O.N.S.S. en cas de contrat d’entreprise avec un tiers ayant des dettes sociales.

Les faits

L’O.N.S.S. poursuit, en justice, une société qui a fait appel pour le nettoyage de ses locaux à une S.P.R.L. qui a été déclarée en faillite en 2010. La société faillie avait une dette vis-à-vis de l’O.N.S.S. de plus de 90.000 €. Les travaux facturés par celle-ci à la société poursuivie étaient de l’ordre de 3.000 €. L’Office considère que la société aurait dû procéder à la retenue de 35% sur chaque facture, vu l’existence de dettes sociales. Elle demande dès lors que l’équivalent de ce pourcentage lui soit versé, montant doublé au titre de majoration prévue à l’article 30bis, § 5.

L’Office a été débouté par jugement du Tribunal du travail de Nivelles, qui a considéré que l’obligation s’applique aux entreprises faisant elles-mêmes appel à des entreprises de nettoyage (entretien habituel des locaux), mais a conclu à une erreur invincible dans le chef de celle-ci.

La position des parties devant la cour

L’Office estime que l’inclusion des travaux de nettoyage dans le champ d’application de la loi est clair. Il renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 (Cass., 9 octobre 2006, S.05.0099.F), ainsi qu’à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 avril 2010, statuant après renvoi. Il ajoute que la loi s’applique, en vertu de la jurisprudence, aux travaux effectués dans les immeubles mixtes, c’est-à-dire ceux affectés à la fois à l’habitation et à l’activité professionnelle. Il conteste qu’il y ait erreur invincible, vu que des avis ont été régulièrement publiés sur son site internet, reprenant toujours une même définition des travaux immobiliers et donnant d’autres informations claires. Il renvoie encore à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 13 janvier 2011 (C. trav. Mons, 13 janvier 2011, R.G. 2009/AM/21.494).

Quant à la société, elle soutient en premier lieu que les travaux de nettoyage ne sont pas compris dans le champ d’application de l’article 30bis, faisant valoir que le salon de coiffure exploité par elle est sis dans une maison d’habitation individuelle. Elle plaide, en outre, l’erreur invincible, le changement de jurisprudence n’étant pas acquis à l’époque et l’O.N.S.S. n’ayant pas attiré l’attention des utilisateurs. En ce qui concerne la consultation du site, elle estime ne pas avoir l’obligation de s’informer au mois le mois, en ce qui concerne la question. Elle signale qu’avant le mois de mai 2009 (soit pendant la période litigieuse), le site de l’Office ne donnait de la notion de travaux de nettoyage qu’une définition étroite.

La décision de la cour

La cour rappelle l’évolution des textes, l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 renvoyant aux activités déterminées par le Roi. Elle rappelle qu’un arrêté royal du 5 octobre 1978, sur la question, visait tout travail de nettoyage de tout ou partie d’un immeuble par nature. Cette définition fut modifiée par un nouvel arrêté du 26 décembre 1998, qui définit l’exécution d’un travail immobilier, à savoir notamment le travail d’entretien, de nettoyage et de démolition (la cour souligne) de tout ou partie d’un immeuble par nature, etc. Ce texte a de nouveau été modifié par l’arrêté du 27 décembre 2007, qui a en fin de compte été abrogé par un quatrième arrêté du 3 août 2012.

A l’époque litigieuse, il y avait renvoi à un arrêté du 29 décembre 1992 en matière de TVA et était visé tout travail immobilier au sens du code (code TVA), à savoir notamment entretien, nettoyage et démolition de tout ou partie d’un immeuble par nature.

Malgré toutes ces modifications, il y a eu maintien du critère, à savoir le nettoyage de tout ou partie d’un immeuble par nature. La cour renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus, qui a confirmé que seul est exclu du champ d’application le nettoyage d’une habitation individuelle existante. La Cour suprême avait ainsi accueilli un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège, qui avait exclu du champ d’application de la loi le nettoyage régulier d’une cafétéria, considérant que le nettoyage quotidien ne serait pas un travail immobilier. La cour du travail conclut qu’est visé l’entretien habituel des locaux d’une entreprise, la société ne pouvant dès lors être suivie dans sa position.

Sur l’erreur invincible, la cour reprend également les principes et renvoie notamment à des arrêts récents de la Cour de cassation (Cass., 18 novembre 2013, n° S.12.0076.F et Cass., 28 mars 2012, n° P.11.2083.F). Elle reprend la confusion existant en ce qui concerne l’information donnée à l’époque sur l’inclusion ou non et relève d’ailleurs, avec le premier juge, que même pour le Conseil National du Travail, dans un avis du 17 juillet 2007 (avis n° 1620), il n’y avait pas lieu d’appliquer la réglementation au secteur du nettoyage.

Dans la mesure où le Conseil est, selon la cour, une référence légale en matière de sécurité sociale, la société, qui a certes commis une erreur, a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente placée dans la même situation. Il y avait dès lors erreur invincible dans son chef.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la controverse sur la question de savoir dans quelle mesure l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 est applicable aux travaux de nettoyage. La question a été régulièrement débattue en jurisprudence et les principales décisions rendues sont reprises ci-dessus. L’arrêt de la Cour du travail de Mons cité concernait le nettoyage de chambres d’hôtel et rappelait la notion de travail immobilier.

Il n’est par ailleurs pas inutile de rappeler que, si la réglementation prévoyait au départ que l’obligation visait l’hypothèse de l’entrepreneur non enregistré, la loi-programme du 27 avril 2007 a modifié le critère, celui-ci étant actuellement l’existence de dettes vis-à-vis de l’O.N.S.S. L’on peut encore renvoyer à la banque de données O.N.S.S., en ce qui concerne la publication des informations indispensables sur la question.


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