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Licenciement et discrimination : étendue de la preuve à apporter par la personne licenciée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. n° 2013/AB/140

Mis en ligne le vendredi 22 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. n° 2013/AB/140

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend le mécanisme probatoire en matière de discrimination, à savoir qu’il y a une répartition de la charge de la preuve entre les parties : à défaut pour la partie demanderesse de prouver des éléments susceptibles de révéler l’existence d’une discrimination, son action ne peut être accueillie.

Les faits

Une compagnie d’aviation procède au licenciement de 9 membres du personnel de cabine en octobre 2009. Il est fait état dans une note générale d’insuffisance professionnelle, de plaintes de passagers, etc. Le licenciement est porté à la connaissance de l’ensemble du personnel, les motifs de celui-ci n’étant cependant pas donnés précisément.

Un échange de correspondance intervient entre les conseils des parties et, vu l’absence de règlement amiable, les membres du personnel licenciés introduisent chacun séparément une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Les demandes suivent le même schéma, étant qu’il y a infraction à la loi anti-discrimination du 10 mai 2007 et, à titre subsidiaire, abus du droit de rupture. Dans l’espèce annotée, l’intéressée fait valoir, sur le plan de la discrimination, que le motif du licenciement est l’âge.

Par jugement du 28 septembre 2012, le tribunal du travail ne retient pas qu’il y a discrimination, non plus qu’abus de droit. L’intéressée est, comme la majorité de ses collègues, déboutée.

Appel est interjeté.

L’avis de l’avocat général

Le ministère public rend un avis circonstancié quant à la discrimination, sur lequel va s’appuyer la cour dans son arrêt.

Il rappelle les objectifs du législateur, ainsi que ceux de la Directive européenne 2000/78. Les critères sont visés par la loi, ainsi que le mode de preuve, repris à l’article 28. Le demandeur, qui s’estime victime d’une discrimination, doit invoquer des faits qui permettent de présumer l’existence de celle-ci et il incombe alors au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination. Il peut s’agir, en cas de discrimination directe fondée sur un critère protégé, notamment d’éléments révélant une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes partageant un critère protégé ou d’éléments révélant que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable avec la situation de la personne de référence. En cas de discrimination indirecte fondée sur un critère protégé, il peut s’agir de statistiques générales ou de faits de connaissance générale ou encore de l’utilisation d’un critère de distinction intrinsèquement suspect.

Décision de la cour

En ce qui concerne la preuve d’éléments objectifs permettant d’établir l’existence d’une discrimination, la cour renvoie à l’arrêt 17/2009 de la Cour constitutionnelle (C. const., 12 février 2009, arrêt n° 17/2009) qui a posé l’exigence que les faits avancés soient suffisamment graves et pertinents. Le demandeur ne doit pas se borner à prouver qu’il a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable mais également établir les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites. La Cour constitutionnelle donne comme exemple de cette preuve la démonstration par l’intéressée que sa situation est comparable à celle d’une personne de référence (c’est-à-dire la personne qui n’est pas caractérisée par un des motifs visés et qui est traitée différemment). Ces faits ne peuvent avoir un caractère général mais doivent pouvoir être imputés spécifiquement à l’auteur de la distinction.

La cour poursuit que les faits allégués ne bénéficient pas par eux-mêmes d’une force probante particulière et que le juge doit apprécier conformément aux règles de droit commun la réalité des éléments soumis. Il bénéficie pour ce de la liberté d’appréciation nécessaire.

La cour rappelle également que, vu le choix d’un système fermé, les éléments vantés doivent être rapportés à l’un des motifs de discrimination énoncés par la loi et qu’ils doivent avoir un contenu suffisamment concret et ne pas être des événements généraux.

Examinant les éléments de l’espèce, elle considère ne pas pouvoir retenir le critère de l’âge, vu que deux seulement des neuf licenciés étaient âgés de plus de 44 ans. Elle renvoie encore à l’arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus, selon lequel si un motif de discrimination ne figure pas dans la liste, la protection spécifique ne s’applique pas mais ceci ne signifie pas que les victimes d’une discrimination fondée sur un tel (autre) motif sont privées de toute protection juridique. Tout traitement inégal dans les rapports entre les citoyens sans qu’une justification ne puisse être donnée constitue une discrimination et dès lors un comportement fautif pouvant donner lieu à une sanction civile, notamment à une indemnisation (considérant B.14.7). Pour la cour du travail, dès lors que l’intéressée n’apporte pas suffisamment d’éléments concrets permettant de présumer l’existence d’une discrimination sur la base d’un des critères figurant dans la liste, elle ne satisfait pas à son obligation telle que définie dans la répartition de la charge de la preuve. Elle ne peut dès lors obtenir une indemnisation dans ce cadre légal.

Cependant, le licenciement peut s’examiner sous l’angle de l’abus de droit. La cour rappelle que, comme tout droit, le droit de rupture est susceptible d’être abusif. Après avoir repris les principes en la matière, dont celui du contrôle marginal du juge, la cour examine les circonstances et motifs du licenciement dans les faits. Aucun manquement n’a jamais été reproché à l’intéressée, de telle sorte qu’elle ne pouvait être mise sur le même pied que des collègues à qui des reproches pouvaient être faits.

A défaut d’insuffisance professionnelle, un traitement identique avec ces derniers n’est pas le fait d’un employeur normal et prudent. Rappelant que l’employée avait entrepris des démarches en vue de bénéficier d’un congé parental et de facilités pour s’occuper de son enfant (ce qui n’avait pas été bien pris par la direction), la cour constate encore, à partir de l’examen d’autres dossiers, que c’est le cas également pour d’autres membres du personnel, qui avaient posé des questions sur leurs droits ainsi que sur la possibilité d’adaptation des horaires de travail pour tenir compte de leur situation familiale. Pour la cour, se poser de telles questions est une chose normale et ne peut pas aboutir à un licenciement.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, ainsi qu’à la communication interne faite par la direction, mettant tout le monde dans le même panier, il y a eu atteinte au nom et au sérieux professionnel de l’intéressée, la cour rappelant que le monde de l’aviation est petit. Eu égard au caractère anormal du licenciement, la cour alloue à l’intéressée une indemnisation, qu’elle fixe à 5.000€.

Intérêt de la décision

La cour a, en même temps que cet arrêt, rendu d’autres décisions dont la solution varie, sur le plan de l’abus de droit, en fonction des circonstances de l’espèce.

Sur le plan de la discrimination, la cour doit bien constater que la personne licenciée ne peut établir les faits susceptibles de permettre d’établir l’existence d’une discrimination. Et pour cause, s’agissant, eu égard au critère de l’âge, d’un élément manifestement non rencontré dans les autres cas.

L’arrêt rappelle que, vu le système retenu par le législateur relatif à l’énonciation des motifs protégés, à défaut d’être dans une hypothèse reprise par la loi, celle-ci ne permettra pas de réclamer une indemnisation pour discrimination dans les conditions de travail ou de licenciement.

L’abus de droit reprend ici sa place, s’agissant d’une théorie générale à caractère résiduaire. Elle peut permettre de sanctionner un comportement non visé par un texte spécifique.


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