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Recours au motif grave : appréciation concrète de la nature des fonctions et prise en compte de l’ancienneté du travailleur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/831

Mis en ligne le vendredi 22 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 28 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/831

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le juge apprécie de manière souveraine l’existence d’un motif grave et qu’il y a lieu de tenir compte des éléments propres à la cause, en l’espèce la position du travailleur dans l’entreprise ainsi que son ancienneté.

Les faits

L’employé licencié occupe au sein d’une filiale belge d’une société constructrice de voitures un poste de direction depuis plusieurs années. Sa carrière a débuté, au service de cette société en octobre 1986 et il a gravi les échelons de sa profession au sein de filiales étrangères avant de revenir en Belgique où il est, au moment du licenciement, directeur d’un important site.

Il est convoqué, en novembre 2009, chez son directeur réseau pour des explications et le lendemain il est licencié pour motif grave. La lettre de licenciement est particulièrement longue et détaillée. Lui sont reprochées diverses fautes relatives à l’application de la politique de la société, ainsi que l’existence de deux conventions de collaboration, confirmées par un audit réalisé en interne. Il lui est fait grief, sur celles-ci, de les avoir conclues alors qu’il n’en avait pas le pouvoir, n’ayant, ainsi, pas respecté les procédures internes de fonctionnement du groupe. Par ailleurs, ces conventions étant signées avec une Sprl dans laquelle travaille son épouse, chose dont l’employeur déclare qu’il n’a pas été informé, cette collaboration est jugée comme un manquement grave à la politique du groupe, d’autant qu’un système de commissionnement intraçable sous forme de chèques cadeau aurait été convenu.

Le licenciement intervient donc sur le champ.

L’intéressé introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles, qui va le débouter par jugement du 4 juin 2012, le premier juge considérant qu’il n’a pas à entrer dans une discussion sur l’opportunité économique des choix posés par le directeur sans autorisation et au mépris d’une stratégie commerciale bien implantée du groupe. Le tribunal retient que la relation de confiance est ébranlée vu le développement de pratiques incompatibles avec la politique générale de la marque.

L’intéressé interjette appel.

Décision de la cour

La cour examine très longuement les éléments de fait et particulièrement les pouvoirs et l’autonomie dont l’intéressé bénéficiait. Elle constate l’absence d’exigence d’un écrit de la part de sa hiérarchie pour les décisions à prendre par lui susceptibles d’engager la société et conclut que c’est à tort que celle-ci a considéré qu’il avait outrepassé ses pouvoirs. Elle estime par ailleurs qu’il n’y a pas manque de transparence, les factures de la société n’ayant pas été cachées à la direction. En ce qui concerne la collaboration avec la Sprl tierce, elle relève que l’épouse de l’intéressé ne bénéficiait d’aucun intéressement quelconque sur les ventes réalisées par cette société. La cour souligne également que dans le secteur, il n’est pas rare que des membres de la même famille se retrouvent dans des sociétés susceptibles d’avoir entre elles des liens commerciaux.

Elle conclut dès lors à l’absence de motif grave. Elle justifie son appréciation en rappelant en premier lieu son caractère souverain, principe fixé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 novembre 1989 (Cass., 6 novembre 1989, J.T.T., 1989, p. 482), précisant qu’à supposer – ce qui n’est d’ailleurs pas établi – que l’appelant ait en sa qualité de directeur de filiale opéré des choix inappropriés, ceci ne signifie pas qu’il peut y avoir motif grave au sens de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. La cour souligne qu’il bénéficiait d’une ancienneté de 23 ans et renvoie sur cette question à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 5 mars 2004 (C. trav. Mons, 5 mars 2004, R.G. n° 16.673) rendu à propos de la prise en considération de ce critère dans l’appréciation du motif grave. Elle rappelle encore que le motif grave est la sanction suprême et qu’elle ne peut être qu’exceptionnelle, l’employeur devant agir avec modération ou pondération et sans réaction excessive. C’est la position de la doctrine (la cour renvoyant à M. DAVAGLE, « la notion de motif grave : un concept difficile à appréhender », Ors, 2004, p. 21).

Saisie également d’une demande d’abus de droit, fondée sur la circonstance que la société aurait délibérément cherché à nuire à son honorabilité professionnelle, la cour rappelle les principes sur la question ainsi que la charge de la preuve. Tout en soulignant que la Cour de cassation admet la possibilité pour le travailleur de réclamer des dommages et intérêts en vue de réparer le préjudice distinct de l’indemnité de rupture, étant le dommage extraordinaire qui ne découle pas du congé lui-même, la cour du travail constate que ce dommage spécifique n’est cependant pas établi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle que l’existence du motif grave se vérifie en fait, soit in concreto, tenant compte de toutes les circonstances de la cause. Examinant la position du travailleur dans l’entreprise, la cour tient compte de l’importance de ses responsabilités ainsi que de ses prérogatives dans l’exercice de sa fonction pour déterminer si les actes posés constituent ou non un manquement professionnel.

La particulière ancienneté de l’intéressé est également relevée, alors que ce critère est souvent considéré comme non déterminant, la gravité du motif grave étant appréciée en fonction de l’acte posé et invoqué comme cause de licenciement.

La prise en compte du critère de l’ancienneté intervient, ainsi manifestement dès lors que le manquement professionnel n’est pas établi en lui-même et que l’employeur n’a pas agi avec modération ou pondération, ainsi qu’exigé.


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