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Contrôle du motif de licenciement : si celui-ci constitue des représailles à l’exercice d’un droit dans l’entreprise, il y a abus de droit

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/142

Mis en ligne le mardi 29 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/142

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles confirme une jurisprudence constante : le licenciement d’un travailleur sans autre motif que l’annonce de son intérêt à se porter candidat aux élections sociales est constitutif d’abus de droit.

Les faits

Une kinésithérapeute, au service d’une maison de repos depuis douze ans, est licenciée en décembre 2004 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de neuf mois. Le même jour deux autres membres du personnel voient également leur contrat rompu.

Le licenciement de l’intéressée fait suite à un courrier du 25 novembre 2004, par lequel des reproches lui sont adressés, mais surtout à une procédure menée par une organisation syndicale représentative, dans le cadre des élections sociales de 2004. Le tribunal du travail a admis de regrouper plusieurs maisons de repos en une seule unité technique d’exploitation et, des élections sociales devant s’y tenir, l’intéressée a manifesté son intérêt d’être candidate le 4 mars 2004.

La procédure d’élection commencera après le licenciement, soit fin décembre 2004.

Le syndicat prend alors contact avec l’institution, réclamant une indemnité pour abus de droit (ainsi que d’autres sommes). L’employeur marque accord, au motif de considérations d’ordre social, pour un complément d’indemnité mais confirme le motif de licenciement donné, à savoir le non respect de règles internes, des fautes professionnelles, etc.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en paiement d’un complément d’indemnités, de jours fériés ainsi que de dommages et intérêts. Fixés à 1 euro provisionnel dans la plainte introductive, ceux-ci sont portés à 50.000€.

Décision du tribunal

Le tribunal admet, par jugement du 25 octobre 2012, qu’il y a lieu d’accorder un complément d’indemnité compensatoire, ainsi que les jours fériés et il fait également droit à la demande de dommages et intérêts qu’il fixe à 15.000€.

L’institution interjette appel, demandant la réduction du complément d’indemnité et le rejet de la demande pour l’abus de droit.

Décision de la cour

La cour règle, en premier lieu, le litige relatif au préavis convenable. Elle rappelle les critères à prendre en compte, à savoir qu’il n’y a pas lieu d’avoir égard à d’éventuels manquements du travailleur à ses obligations (renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 1987, R.G. n° 7708) et souligne le caractère forfaitaire de l’indemnité.

L’employeur demandant que soit pris en compte le fait que l’intéressée avait été dispensée de la prestation du préavis, la cour souligne que cet élément est indifférent.

Sur l’évaluation, elle confirme la conclusion du premier juge, étant que l’intéressée a droit à un complément de quatre mois, soit un total de treize mois.

La cour en vient ensuite à l’examen de l’abus de droit, question plus délicate.

Elle reprend en premier lieu les grands arrêts de la Cour de cassation dont celui du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, RG n° S.05.0035.F), qui a retenu comme critère de l’abus de droit de licenciement celui qui est exercé d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent.

Examinant ensuite les règles en matière de preuve, la cour rappelle que c’est au travailleur, dans ce cadre, d’établir une faute dans le chef de l’employeur, distincte du non respect des règles en matière de rupture, faute qui doit être un comportement de l’employeur manifestement déraisonnable. Le travailleur doit également apporter la preuve du dommage, en son principe et en son amplitude.

La cour aborde dès lors l’examen de l’abus de droit par rapport à l’existence de représailles eu égard au fait que la travailleuse avait manifesté son intention de se porter candidate aux élections sociales. Reprenant la chronologie des faits, la cour identifie le motif de licenciement comme lié à la crainte qu’avait l’employeur que l’intéressée se porte candidate aux élections sociales. Les éléments du dossier font en effet apparaître une concomitance entre l’évolution de la procédure et l’existence de reproches adressés à l’intéressée, le licenciement étant intervenu trois semaines avant la mise en route obligée des élections dans l’entreprise. La cour s’appuie également sur le fait que deux autres membres du personnel ont été licenciés dans les mêmes conditions et qu’aucune possibilité ne leur a été donnée de se défendre des critiques qui leur étaient adressées. Le motif du licenciement est dès lors la crainte de l’employeur eu égard à la candidature.

Après avoir par ailleurs constaté le peu de sérieux des reproches émis, la cour rejette une offre de preuve, qui ne permettrait pas d’apporter la preuve contraire.

Elle évalue, ensuite, le dommage en équité, renvoyant à l’appréciation du tribunal, qui a fixé celui-ci à 15.000€. L’institution faisant valoir que, s’agissant essentiellement d’un dommage moral, celui-ci est compris dans l’indemnité de préavis, la cour souligne que ce dommage est distinct : l’intéressée voulait exercer son droit à se porter candidate aux élections sociales et c’est la raison pour laquelle elle a été licenciée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt sanctionne un exercice manifestement abusif du droit de rupture. La jurisprudence sur la question est constante : l’exercice d’un droit et, en l’occurrence d’un droit de représentation dans l’entreprise ne peut être gêné par l’employeur. Le travailleur non (encore) protégé contre le licenciement et qui subit une telle mesure est victime d’un licenciement abusif (voir encore à ce sujet, C. trav. Liège, sect. Namur, 31 octobre 2006, RG n° 8069/2003 et Trib. Trav. Anvers, 17 mars 1993, Chron. Dr. Soc., 1996, p. 137, confirmé par C. trav. Anvers, 23 novembre 1995, RG n° 445/93 notamment).


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