Terralaboris asbl

Cotisations de sécurité sociale sur indemnité de frais : règles de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/1.006

Mis en ligne le jeudi 24 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 10 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/1.006

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la loi du 23 décembre 2009 a introduit une règle nouvelle dans la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés, étant que le caractère réel des frais doit être prouvé par l’employeur et que, cette disposition étant une règle de preuve, elle est d’application immédiate.

Les faits

Une société alloue aux membres de son personnel des remboursements forfaitaires de frais. Ceux-ci n’étant pas justifiés à suffisance, l’inspection sociale transmet à l’ONSS, qui notifie une décision en septembre 2009, en vue de régularisation des cotisations sociales. Pour l’ONSS, il s’agit de frais de déplacement, d’habillage, de parking, de nourriture et de frais qualifiés de « autres » alloués aux travailleurs sur la route. Les cotisations réclamées, en sus, du fait de l’absence de justification de ces montants, sont supérieures à 20.000€ pour une période de 2 ans et demi.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles, qui fait droit à la demande par jugement du 17 juillet 2012.

La société interjette appel.

Thèse des parties devant la cour

Pour la société, il y a manquement à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, l’avis de régularisation ainsi que la citation en justice n’étant pas suffisamment motivés. En outre, la régularisation porte sur la rémunération de travailleurs qui n’étaient plus dans l’entreprise à l’époque visée par la décision de l’ONSS. La société fait encore valoir un problème de procédure portant sur l’extension de la demande.

Quant à l’ONSS, il maintient que le caractère de frais doit être prouvé par l’employeur, qui doit en démontrer la réalité et l’imputabilité.

Décision de la cour du travail

La cour règle, en premier lieu, les arguments tirés de l’absence de motivation et d’irrégularité de l’extension de la demande.

Sur le premier de ces deux points, elle rappelle que la citation doit uniquement énoncer l’objet et l’exposé sommaire des moyens de la demande, ainsi qu’exigé par l’article 702, 3° du Code judiciaire. En outre, la décision de régularisation est suffisamment motivée en droit et en fait, reprenant l’ensemble des travailleurs concernés ainsi que les périodes et les montants.

Sur le fondement, la cour rappelle le mécanisme légal et, particulièrement, l’apport de la loi du 23 décembre 2009 (entrée en vigueur le 1er janvier 2010) sur la question.

En effet, en cas de contestation quant au caractère réel des frais à charge de l’employeur, celui-ci doit démontrer la réalité des frais exposés. Il doit le faire au moyen de documents probants ou, si ce n’est pas possible, par tous autres moyens de preuve (hors le serment), et ce conformément à l’article 14, §3 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 29 décembre 1944. La cour rappelle que ce paragraphe a été introduit dans l’article 14 par la loi du 23 décembre 2009.

Cette disposition a modifié les règles de preuve, dans la mesure où, auparavant, celles-ci étaient à charge de l’ONSS, qui devait établir que ces frais ne constituaient pas de la rémunération mais des frais propres à l’employeur.

La cour rappelle que les règles de preuve ainsi que celles de procédure sont d’application immédiate d’autant qu’il s’agit en l’espèce d’une disposition d’ordre public modifiée par une autre disposition ayant également ce caractère. Elles s’appliquent dès lors à la procédure introduite après son entrée en vigueur même s’il s’agit d’apprécier la réalité de situations nées sous le régime de la loi antérieure.

La cour examine dès lors les pièces déposées par la société et constate que celles-ci ne sont nullement sérieuses et, en tout cas, pas liées à un travailleur ou l’autre de même qu’à l’activité professionnelle du personnel. Elle relève également que la société octroyait des remboursements de frais de repas, cumulés avec l’octroi de tickets-repas.

Vu l’absence de pièces probantes, la cour conclut que la preuve requise n’est pas apportée. Elle pose également le principe que ne peuvent être considérés comme constituant un remboursement de frais dont la charge incombe à l’employeur, et ce au sens de l’article 19, §2, 4° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, des remboursements forfaitaires tels que : frais informatiques, frais de déplacement, frais de nourriture, frais de stand-by, frais de représentation, frais d’habillement et autres.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Même si les circonstances de l’espèce ne sont pas fréquentes, eu égard au caractère manifestement fantaisiste des éléments produits, la question du caractère rémunératoire des indemnités versées au personnel est récurrente.

La loi du 23 décembre 2009 vient certes apporter une sécurité juridique plus grande, vu le renversement de la charge de la preuve. Une constante en jurisprudence est que ces indemnités ont un caractère rémunératoire dès lors que n’est pas prouvée l’existence de frais exposés qui correspondraient aux remboursements intervenus. L’on peut utilement renvoyer à cet égard à deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles qui ont examiné à la fois les frais susceptibles d’être couverts, par nature ou en tant que dépense susceptible d’être engagée par les travailleurs vu leur fonction, et ont conclu au caractère rémunératoire des indemnités versées dès lors que soit les frais n’avaient pas été exposés réellement soit ils n’étaient pas liés à la fonction du travailleur (C. trav. Bruxelles, 22 novembre 2012, R.G. n° 2012/AB/85 et C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2012, R.G. n° 2011/AB/1080).


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