Terralaboris asbl

Crédit temps et discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 juin 2009, R.G. 45.536

Mis en ligne le lundi 14 juillet 2014


Cour du Travail de Bruxelles, 25 juin 2009, R.G. n° 45.536

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 25 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles a conclu à l’illégalité de l’article 3, § 1er, 2°de la CCT n° 77bis du 19 décembre 2001, au motif de discrimination.

Les faits

Madame L. bénéficie du 1er octobre 2001 au 30 mars 2002 d’une interruption de carrière (temps plein à mi-temps) et perçoit une allocation d’interruption mensuelle.

Le 2 avril 2002 elle demande une prolongation de cette interruption pour une nouvelle période de six mois, soit jusqu’au 30 septembre 2002, demande acceptée par son employeur. Sur le formulaire, celui-ci précise que Madame L. a travaillé à temps plein l’année précédente. Six semaines plus tard, alors que les prestations ont été poursuivies dans le cadre du mi-temps, l’ONEm prend une décision, refusant les allocations d’interruption pour la période de prolongation, et ce au motif que l’intéressée n’a pas presté un trois-quarts temps au moins pendant l’année de référence. L’ONEm se fonde sur l’article 4 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001, étant relatif à la condition d’occupation.

La direction des ressources humaines de l’établissement où l’intéressée preste prend contact avec l’ONEm précisant que le crédit mi-temps a été accordé de bonne foi, la seconde interruption étant considérée comme la prolongation pure et simple de la première.

L’intéressée ne percevra cependant pas les allocations d’interruption à mi-temps et reprendra son temps plein ultérieurement.

Le litige porte dès lors sur les allocations non perçues.

Le jugement a quo

Par jugement du 23 avril 2004, le tribunal du travail de Bruxelles a annulé la décision de l’ONEm, vu l’existence d’une différence de traitement entre les travailleurs qui sollicitent une prolongation de la réduction de leurs prestations, c’est-à-dire d’une part ceux qui bénéficiaient d’une interruption de carrière à mi-temps au cours de la période de douze mois précédant l’avertissement écrit - qui ne peuvent obtenir la prolongation de la réduction dans le cadre du crédit temps - et d’autre part ceux qui avaient obtenu une réduction de ces prestations dans le cadre du crédit temps - et qui peuvent obtenir une telle prolongation - ou les bénéficiaires d’un congé thématique. Pour le tribunal, la différence de traitement est constitutionnellement autorisée si le critère de différenciation est susceptible d’une justification objective et raisonnable, qui doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure. En l’occurrence il s’agit, pour le premier juge d’un oubli de la part des rédacteurs de la CCT 77bis et il n’y a pas de justification objective et raisonnable. L’article 3, § 1er, 2° de la CCT est donc écarté en ce qu’il subordonne la réduction des prestations à la condition de l’occupation à raison d’un trois-quarts temps dans l’entreprise pendant les douze mois précédant l’avertissement écrit à l’employeur.

La position des parties en appel

L’ONEm ne conteste pas qu’il y a, dans la nouvelle réglementation (arrêté royal du 2 décembre 2001, entré en vigueur le 1er janvier 2002) de dispositions transitoires pour la période se situant entre la première et la seconde période d’allocations. Lors de la demande de prolongation, la nouvelle réglementation en vigueur, qui prévoit l’exigence d’un temps plein dans la période de référence, vient en application de la convention collective nationale n° 77bis. Selon celle-ci, le crédit temps est octroyé aux travailleurs réduisant leurs prestations de travail d’un temps plein à un mi-temps, pour autant qu’ils aient été occupés en raison d’un trois-quarts d’un temps plein dans l’entreprise pendant la période de référence (soit les douze mois précédant l’avertissement écrit adressé à l’employeur). Or, cet arrêté royal ne prévoit pas de dispositions dérogatoires pour les travailleurs qui bénéficiaient déjà d’une allocation d’interruption, et ce sous l’empire de l’ancienne réglementation (arrêté royal du 2 janvier 1991) et qui auraient souhaité prolonger leur réduction de temps de travail mais ceci sous l’empire de la nouvelle réglementation.

L’ONEm fait encore valoir que les partenaires sociaux ont voulu favoriser les congés thématiques par rapport au crédit temps (celui-ci ne devant être justifié par aucune raison particulière). En l’espèce, les conditions d’accès au crédit temps en cas de bénéfice d’une interruption de carrière (ancien système) sont plus strictes et un réexamen de la situation doit être fait, ce qui ne serait pas le cas en cas de succession d’un crédit temps vers un autre.

Pour l’ONEm, les partenaires sociaux ont eu en vue de limiter l’accès au crédit temps en contrepartie du fait que celui-ci devenait un droit (dont l’exercice est soumis à conditions). En résumé, il constate une différence de traitement dans la CCT n° 77bis, cette différence reposant sur une justification objective et raisonnable. En conséquence, elle n’est pas contraire aux règles constitutionnelles d’égalité et de non discrimination.

L’intéressée fait valoir, pour sa part, qu’elle a agi de bonne foi, n’a été avisée d’aucune difficulté ni par son employeur ni par l’ONEm du fait du changement de législation. Pour elle, la condition d’occupation (trois-quarts temps) ne peut s’appliquer qu’à la première demande et non à la demande de prolongation. Dans l’hypothèse contraire, un travailleur ne remplirait jamais cette condition, en cas de demande de prolongation puisqu’il aurait déjà presté dans le cadre d’un mi-temps.

En outre, elle fait valoir l’existence d’une discrimination entre les travailleurs qui auraient fait la demande de prolongation avant le 15 septembre 2001 (soit dans l’ancien système de l’interruption de carrière) ou qui passent d’un crédit temps à un autre crédit temps et ceux qui passent d’une interruption de carrière à un crédit temps. La différence de traitement ainsi constatée est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, ne reposant sur aucune justification raisonnable.

La position de la Cour

La Cour retient, avec l’Avocat général, que l’intéressée ne pouvait en aucune manière satisfaire à la condition relative à la durée d’occupation de trois-quarts temps, puisqu’elle avait bénéficié d’une réduction de prestations pendant une partie de la période de référence. La Cour constate l’absence de mesures de transition en cas de passerelle entre deux régimes différents et rappelle que la condition d’occupation doit être vérifiée lors du premier avertissement écrit, c’est-à-dire lors de la première demande. Elle rappelle la doctrine (M. DAUPHIN et M.P. DELISSE, Crédit temps, Droits thématiques (secteur privé), Actualités en bref – Contrat de travail, Kluwer, septembre 2002, p. 30) selon laquelle, si un travailleur répond à cette condition au moment de la première demande, il est automatiquement considéré y répondre toujours au moment de la demande de prolongation. Pour la Cour, les nouvelles dispositions ont eu pour effet de rendre la prolongation inaccessible alors que si les deux demandes avaient été inscrites dans l’un ou l’autre système il n’y aurait pas eu de problème.

La Cour revient, ainsi, au raisonnement du premier juge pour conclure à l’écartement de l’application de l’article 3, § 1er, 2° de la CCT 77bis.

Intérêt de la décision

La décision annotée relève ce qui est pour le moins une incongruité dans la CCT n° 77bis. A partir des principes en matière d’égalité de traitement, la disposition litigieuse est écartée.


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