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Travailleur prestant en Belgique et à l’étranger : le juge belge est-il compétent pour connaître d’une demande relative au contrat de travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/406

Mis en ligne le jeudi 10 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/406

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles du Règlement 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, et ce à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Les faits

Une société engage un employé à partir du 1er décembre 2007 pour des fonctions de « field service engineer ». Il est prévu dans le contrat que celui-ci est soumis au droit belge et que sont seuls compétents pour connaître des litiges liés à celui-ci les tribunaux du lieu de prestation. En ce qui concerne celui-ci, l’article 4 prévoit que l’employé effectuera ses prestations de travail dans la région de Rotselaar ou auprès de clients. Le contrat contient également une clause de non concurrence concernant, dans son champ d’application territorial, la Belgique.

En 2011 l’intéressé démissionne, avec un préavis presté d’un mois et demi.

Des courriers sont échangés en ce qui concerne la fin des prestations, restant en discussion des jours de congé, etc.

Après la rupture, l’organisation syndicale mandatée par l’employé prend contact avec la société, au motif de la non délivrance des documents sociaux, ainsi que de divers montants (éco chèques, solde de frais). Est également abordée, à ce moment, la question d’une indemnité pour non concurrence, la société n’ayant pas renoncé à celle-ci dans le délai légal. Malgré un échange de correspondance ultérieur, le problème ne se règle pas et l’employé introduit une procédure en avril 2012, demandant paiement d’une somme de l’ordre de 31.500€ au titre d’indemnité pour non concurrence.

Par jugement du 21 février 2013, le Tribunal du travail de Louvain considère qu’il n’est pas compétent pour connaître du litige.

Appel est introduit par l’intéressé, qui demande à la cour de reconnaître la compétence des juridictions belges et de condamner, en conséquence, la société au paiement de l’indemnité de non concurrence (à majorer des intérêts).

Décision de la cour du travail

La cour règle en premier lieu une question relative à la recevabilité de l’appel, la société considérant que celui-ci ne respecte pas le prescrit de l’article 1057, 7° du Code judiciaire, dans la mesure où il ne contient pas les griefs contre le jugement a quo.

La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation, dont son arrêt du 8 avril 2011 rendu en matière fiscale (Cass., 8 avril 2011, R.G. n° F.10.026.N) sur les exigences requises. Elle considère dès lors la requête comme étant recevable.

L’essentiel de l’arrêt est cependant consacré à la question de la compétence des juridictions belges.

La cour se fonde sur l’article 19 du Règlement européen 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Celui-ci reprend les conditions dans lesquelles un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait devant les juridictions, à savoir qu’il peut s’agir (i) des tribunaux de l’Etat membre où il a son domicile ou (ii) d’un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement celui-ci ou encore - lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays - devant le tribunal du lieu où se trouvait l’établissement qui l’a embauché.

Lorsque l’exécution du travail se fait dans plusieurs Etats, la Cour de justice a rendu plusieurs arrêts, considérant que le lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail est celui où il a établi le centre effectif de ses activités professionnelles. C’est l’enseignement d’un premier arrêt RUTTEN du 9 janvier 1997 (C.J.U.E., 9 janvier 1997, Aff. Rutten / Cross Medical Ltd, n° C-383/95).

L’arrêt WEBER (C.J.U.E., 27 février 2002, Aff. Weber, n° C-37/00) a précisé qu’à défaut d’un autre critère, il faut examiner le lieu où le travailleur a passé la plus grande partie de son temps de travail. Il pourra cependant en être autrement mais uniquement si l’objet du litige a des liens plus étroits avec un autre lieu d’exécution, auquel cas c’est celui-ci qui s’impose pour la détermination du tribunal compétent.

Le contrat de travail est, comme le relève la cour, en contradiction avec le Règlement 44/2001 ainsi qu’avec l’article 630, 1er alinéa du Code judiciaire. La cour rappelle l’article 21 du Règlement, selon lequel il ne peut être dérogé aux dispositions qu’il contient en matière de compétence que par des conventions attributives de juridiction postérieures à la naissance du différend ou qui permettent au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués dans le texte. Quant à l’article 630, 1er alinéa du Code JUDICIAIRE, il dispose qu’est nulle de plein droit toute convention qui serait en contradiction avec les dispositions de son article 627 (réglant la compétence territoriale).

La cour considère ensuite que le fait que le contrat admette l’application du droit belge n’implique pas la compétence automatique des juridictions belges. En outre, le fait que le contrat a pu être exécuté chez des clients permet de tenir compte des circonstances de fait susceptibles de démontrer que le lieu d’exécution convenu n’était pas la Belgique de manière habituelle.

La cour va dès lors examiner, sur le plan du temps de travail, la proportion entre celui effectué en Belgique et à l’étranger. Sur une base mensuelle de 164,66 heures (soit 38 heures par mois x 13 semaines / par 3), il s’avère que pour à peu près une centaine d’heures, il n’effectuait pas de prestations en Belgique.

En conséquence, c’est à juste titre que le tribunal du travail a considéré qu’il n’était pas compétent sur pied des dispositions ci-dessus.

Par ailleurs, le Règlement prévoyant la possibilité pour le travailleur d’attraire l’employeur devant les juridictions du lieu où se trouve l’établissement qui l’a embauché ou de celui où l’employeur a son domicile (arrêt WEBER ci-dessus), la cour constate qu’il s’agit des Pays-Bas. Ce sont, en conclusion les juridictions hollandaises qui sont compétentes.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un petit rappel du mécanisme mis en place par le Règlement dit « Bruxelles I » permettant, en cas de pluralité de lieux d’exécution du contrat de travail, de déterminer le juge compétent. La seule circonstance que le travailleur preste une partie de son temps de travail sur le territoire belge – et même si référence expresse est faite à la compétence des juridictions belges – ne permet pas d’éluder la règle de l’article 19 du Règlement.


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