Terralaboris asbl

Transfert de l’entreprise : contrôle du motif de licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. n° 2011/AB/1.087

Mis en ligne le jeudi 10 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. n° 2011/AB/1.087

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 1er avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles analyse le licenciement d’une ouvrière au travers d’un double prisme : le transfert d’entreprise (CCT 32bis) et les nécessités de fonctionnement (art. 63 LCT).

Les faits

Un grand hôtel de la place bruxelloise recourt pour partie à de la sous-traitance, pour le nettoyage des chambres, occupant par ailleurs du personnel salarié. Une femme de chambre est licenciée, après une période d’incapacité de travail de 4 mois, et ce alors qu’était intervenu entretemps un transfert d’entreprise entre deux sous-traitants pour le nettoyage.

Elle introduit une demande devant le tribunal du travail aux fins de se voir octroyer à la fois une indemnité pour licenciement abusif fondée sur l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et des dommages et intérêts du même montant (6 mois) eu égard au non respect de la CCT 32bis.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles admet, par jugement du 27 janvier 2011, qu’il y a licenciement abusif. Il a déboute l’intéressée du surplus de sa demande (hors une régularisation de l’indemnité compensatoire de préavis).

Appel est interjeté par la société.

Position des parties devant la cour

L’appel principal est limité à l’indemnité pour licenciement abusif.

L’intéressée forme appel incident en ce qui concerne la CCT 32bis.

Décision de la cour du travail

La cour examine, en premier lieu, la demande de dommages et intérêts à titre de non respect de la CCT 32bis.

Elle considère qu’il faut procéder en deux temps, étant d’abord de savoir s’il y a eu transfert d’entreprise et, si tel est le cas, de dire si celui-ci est la cause du licenciement de l’intéressée. Elle rappelle l’article 9 de la CCT 32bis, selon lequel le changement d’employeur ne peut constituer en lui-même un motif de licenciement, s’il s’agit d’un transfert d’entreprise.

L’intéressée n’ayant jamais fait partie du personnel de la société sous-traitante cédante, il n’y a pas lieu d’examiner l’existence d’un transfert entre ces deux sociétés. C’est l’hypothèse du transfert d’une partie d’entreprise entre l’hôtel lui-même et le sous-traitant qui doit être pris en compte.

La cour rappelle pour qu’il y ait transfert d’une partie d’entreprise, il faut qu’une entité économique ait été transférée d’un exploitant à un autre. Il faut donc voir si l’entité économique en cause, en l’occurrence celle qui a pour activité le nettoyage des chambres, peut avoir fait l’objet d’un tel transfert.

La cour constate que la formule à laquelle l’hôtel recourait existait depuis plusieurs années, ayant impliqué plusieurs sous-traitants successifs. Pendant la période d’incapacité, un changement de sous-traitant a effectivement eu lieu mais la cour constate que le remplacement du sous-traitant a été sans effet sur l’occupation de l’intéressée, membre du personnel stable de l’hôtel.

La question posée est dès lors de savoir s’il y a eu transfert de la propre activité de nettoyage de l’hôtel vers le sous-traitant. Or, tel ne semble pas le cas, le volume de travail étant manifestement resté constant entre les deux sous-traitants. Il n’est dès lors pas établi que l’hôtel aurait réduit son activité propre en faveur d’une plus grande sous-traitance. La cour considère dès lors que la preuve n’est pas apportée par l’intéressée de son droit à une demande de dommages et intérêts.

La cour examine ensuite la question à partir de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 étant de savoir si le motif du licenciement intervenu est un motif licite. Il s’agit, pour la société, d’une réorganisation du service des réservations. A cet égard, elle établit avoir conclu des contrats avec deux centrales externes. Malgré les explications données par la société quant à l’incidence de cette décision sur l’organisation du travail, la cour retient qu’aucun lien n’est cependant établi entre ce fait et le licenciement. La société faisant valoir qu’elle peut, de la sorte, avoir une meilleure prévisibilité de l’occupation de ses chambres, la cour considère qu’elle doit encore prouver qu’elle a ainsi été amenée à réduire ses besoins en personnel. Elle relève un paradoxe, étant que, si l’hôtel s’est réorganisé en ce sens, c’est précisément afin d’augmenter le volume de clients et non de le réduire.

Aucun élément n’est dès lors apporté quant à la décision prise sur le plan de l’organisation et le motif invoqué, étant une réduction du volume du travail. La cour constate dès lors qu’il y a lieu de faire droit à la demande de licenciement abusif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde cumulativement deux angles du contrôle du licenciement, s’agissant à la fois d’une demande de dommages et intérêts formée vu le non respect de la CCT 32bis et le motif tiré de nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

Les critères retenus dans chaque champ d’examen sont distincts, les deux réglementations suivant chacune un mécanisme propre.

La cour rappelle, quant à la CCT 32bis, qu’il est possible, dans une hypothèse comme celle examinée, qu’existe un transfert entre deux sous-traitants ou également entre l’employeur lui-même et ce tiers sous-traitant (au cas où il lui aurait confié une partie accrue de la gestion de son entreprise, en l’espèce un département). Dans cette hypothèse, le travailleur a la charge de la preuve, tant de l’existence du transfert que du lien entre celui-ci et le licenciement.

Par contre, une même rupture du contrat de travail d’un ouvrier, examinée à partir des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, bénéficie de la présomption de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Il appartient dans cette hypothèse à l’employeur d’établir le motif et le lien avec le licenciement. Il ne suffit pas, dans le cadre du contrôle judiciaire, de faire état d’une réorganisation, impliquant une sous-traitance et une optimisation des prévisions du volume du travail. Il faut encore que soit avérée une réduction du travail affectant le poste de l’intéressée.

Rappelons que les règles de l’article 63 ont été modifiées pour les licenciements intervenant à partir du 1er avril 2014, eu égard à la convention collective n° 109 du CNT sur la motivation.


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