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La mesure prévue par l’article 59quinquies, § 6, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, consistant dans la privation totale pour une durée de quatre mois des allocations d’attente en cas de non-respect du premier contrat d’activation, instaure entre les bénéficiaires d’allocations d’attente et les bénéficiaires d’allocations de chômage une discrimination qui n’est pas conforme aux objectifs poursuivis par la réglementation concernée, étant excessive et disproportionnée. Le juge doit dès lors écarter cette disposition réglementaire et annuler la décision administrative prise sur la base de celle-ci

Commentaire de C. trav. Liège, 12 septembre 2011, R.G. 2008/AL/35.401

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2011


Cour du travail de Liège,12 septembre 2011, R.G. n° 2008/AL/35.401

Les faits de la cause

Mme O. bénéficiaire d’allocations d’attente et mère de deux enfants qui sont à sa charge, a signé un premier contrat d’activation en date du 2 février 2006. Lors de l’entretien d’évaluation de ce contrat, l’agent de l’O.N.Em. a considéré que l’un des engagements y repris n’avait pas été respecté. Le 22 août 2006, Mme O. est exclue du bénéfice des allocations d’attente pendant quatre mois à dater du 28 août.

Elle a introduit contre cette décision un recours rejeté par le tribunal du travail de Liège par un jugement du 11 février 2008 (sixième chambre, R.G. 360.661/2006).

Mme O. interjette appel de cette décision.

Par un premier arrêt du 9 juin 2008 (commenté sur le site Terra laboris), la neuvième chambre de la cour du travail, après avoir décidé que le texte réglementaire autorisait le directeur à appliquer la sanction dès lors qu’il n’y avait pas de respect complet de l’un des engagements pris, s’interroge sur la légalité de ce texte au regard des articles 10 et 11 et la Constitution. Elle décide que les situations des bénéficiaires d’allocations de chômage et des bénéficiaires d’allocations d’attente qui n’ont pas respecté les obligations mises à leur charge sont suffisamment comparables pour justifier que soit examiné le caractère raisonnable de la discrimination à la lumière des buts et effets de la mesure critiquée et de la nature des principes en cause. Elle ordonne la réouverture des débats sur cette question invitant également les parties à déterminer les conséquences d’une éventuelle illégalité.

L’O.N.Em. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt. Le pourvoi a été rejeté par un arrêt du 21 novembre 2009 rendu sur conclusions contraires du ministère public (voy. Pas., 2009, n° 648 et Chr.D.S., 2010, p. 4).

C’est sur ces deux questions que se prononce l’arrêt commenté.

L’arrêt commenté

a. Le constat d’inconstitutionnalité

La cour du travail rappelle tout d’abord les objectifs de la réglementation introduite par l’arrêté royal du 4 juillet 2004 dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Celui-ci vise à instaurer un système de prévention active où toutes les personnes aptes au travail sont censées travailler et être aidées à le faire. Dans ce contexte, les sanctions ont tout d’abord un but préventif, incitatif : « déterminer le chômeur, à la fois, à rechercher activement un emploi et à tirer profit, aussi longtemps que possible et nécessaire de la procédure de suivi ». Le second but consiste à sanctionner un manquement consommé. Ces objectifs sont communs à tous les chômeurs quelle que soit leur catégorie.

La cour du travail examine alors si la mesure discriminatoire consistant à prévoir pour les bénéficiaires d’allocations d’attente une sanction plus lourde que pour les bénéficiaires d’allocations ordinaires est ou non raisonnablement justifiée. Elle écarte les raisons données par l’O.N.Em. à cette différence de traitement.

La première de ces raisons consiste dans le statut de l’allocataire d’attente qui bénéficie de prestations à charge de la collectivité sans avoir jamais y avoir cotisé ou sans avoir cotisé suffisamment. La cour du travail rappelle que cet argument a déjà été utilisé pour soutenir que les deux catégories de chômeurs n’étaient pas dans une situation comparable et qu’il a été écarté par l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2009. Les particularités du régime d’admission des jeunes travailleurs ne peuvent dès lors servir à justifier raisonnablement que ceux-ci soient exposés à des sanctions plus lourdes alors qu’ils commettent le même type de manquement au même type de contrat d’activation que les bénéficiaires d’allocations de chômages.

La seconde justification portait sur le montant des allocations d’attente qui excède à peine le montant journalier du revenu d’intégration, ce dont l’O.N.Em. déduisait que si le bénéficiaire d’allocations d’attente voyait simplement sa sanction réduite au niveau du revenu d’intégration, la mesure serait privée des effets dissuasifs et incitatifs de la sanction et de l’effectivité de celle-ci quand le manquement est commis.

La cour du travail considère qu’une autre sanction est possible que l’exclusion du bénéfice de l’intégralité des allocations d’attente. Elle se réfère à cet égard au projet élaboré par le Ministre fédéral de l’emploi et approuvé par le Conseil des ministres avant la chute du dernier Gouvernement qui prévoyait non plus la suppression totale des allocations pendant quatre mois mais la réduction de celles-ci à concurrence de 25 % de leur montant (voy. N. Monforti et E. Dermine « Les jeunes et le chômage », in Le droit social des jeunes, coll., J.B. Charleroi, Anthémis, 2011, pp. 386 et 387). Cette autre solution serait plus respectueuse d’une égalité de traitement raisonnable entre les deux catégories de chômeurs tout en conservant à la sanction son caractère réel. Par contre, la suppression de tout revenu professionnel pendant quatre mois est excessive et disproportionnée, spécialement quand elle frappe un travailleur ayant charge de famille. En outre, la mesure manque de pertinence : elle contrarie le double but recherché d’assurer la participation active des chômeurs à la procédure de suivi et de dynamiser leur comportement de recherche d’emploi, en ne maintenant pas ces chômeurs dans le cadre de l’assurance chômage ce qui permettrait d’assurer la continuité de leur accompagnement vers l’emploi en cas d’évaluation négative.

b. Sur les effets du constat d’inconstitutionnalité

L’O.N.Em., suivi en cela par le ministère public, soutenait que le principe de la séparation des pouvoirs interdisait au juge de se substituer au Roi pour décider de la mesure à prendre en vue de remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 59quinquies, § 6, alinéa 1er, AR. La chômeuse soutenait qu’en application de l’article 159 de la Constitution, la sanction décidée par le directeur devait être annulée.

L’arrêt commenté rappelle que le constat d’inconstitutionnalité peut révéler une lacune intrinsèque ou une lacune extrinsèque. La lacune intrinsèque est celle à laquelle il peut être mis fin en suppléant simplement à l’insuffisance de la disposition litigieuse dans le cadre des dispositions existantes de manière à la rendre conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution. Le juge peut et doit pallier une telle lacune. La lacune extrinsèque est la lacune à laquelle il ne peut être remédié qu’en modifiant une ou plusieurs dispositions existantes ou en instaurant une règle nouvelle, à la lumière d’une réévaluation des intérêts sociaux en présence ou d’un choix stratégique de politique ou de gestion. Seul l’auteur de l’acte administratif est compétent pour réparer pareille lacune.

En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, l’arrêt relève que la cour n’est sûrement pas habilitée à substituer à la suppression de la totalité des allocations d’attente pendant quatre mois la réduction de ces dernières à concurrence de 25 % de leur montant durant la même période.

Par contre, l’option d’écarter la disposition réglementaire inconstitutionnelle et d’annuler la décision fondée sur celle-ci s’impose. Le simple refus d’appliquer une disposition ne revient pas à combler une lacune extrinsèque et ne viole pas le principe de la séparation des pouvoirs. Il se limite à une censure négative à l’égard de l’acte réglementaire illégal.

Intérêt de la décision

Sur le constat d’inconstitutionnalité, l’arrêt analysé, se référant à la contribution de N. Monforti et E. Dermine, met l’accent sur ce que des mesures plus pertinentes pourraient être prises pour assurer le but recherché tout en maintenant les jeunes chômeurs dans le giron de l’assurance chômage et donc la continuité de leur accompagnement vers l’emploi. Il permet ainsi de mettre l’accent sur le projet avorté de réforme de la mesure de suivi du comportement de recherche active des chômeurs qui avait pourtant l’aval du Conseil des ministres et des partenaires sociaux.

Quant aux effets à donner au constat d’inconstitutionnalité, cet arrêt présente l’intérêt de décider que, si le mécanisme de l’article 159 de la Constitution est un mécanisme de censure négative, le fait pour le juge de se borner à ne pas appliquer une sanction illégale rentre précisément dans le cadre de cette censure.


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