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Délégué du personnel (loi du 19 mars 1991) : ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de protection

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 février 2014, R.G. n° 2013/AB/217

Mis en ligne le lundi 7 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 24 février 2014, R.G. n° 2013/AB/217

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la notion d’ancienneté dans le cadre de l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 : il faut donner à cette notion le même contenu que dans la loi sur les contrats de travail et vérifier, particulièrement, s’il y a unité économique d’exploitation.

Les faits

Après la faillite d’une importante compagnie d’aviation, une employée reste en service, prestant pour la curatelle pendant près de 11 mois. Elle est alors engagée par une société de services de l’aéroport, le contrat de travail étant signé le jour de sa cessation de fonction pour la curatelle.

L’année suivante elle se présente aux élections sociales et n’est pas élue.

Elle est ensuite victime d’un accident suite auquel elle est en incapacité de travail pendant de nombreux mois.

La société la licencie sur le champ, quelques mois plus tard, avec paiement d’une indemnité de rupture équivalent à 90 jours calendrier. Quatre jours après, la société la recontacte lui demandant de considérer le précédent courrier comme inexistant, celui-ci étant dû à erreur administrative. Il est précisé que le contrat de travail n’est pas terminé mais au contraire poursuivi sans perte d’ancienneté ou d’aucune des conditions convenues.

L’intéressée ne reprend pas le travail et 6 semaines plus tard, la société refait un courrier, confirmant que le contrat se poursuit et qu’il n’a jamais été dans son intention d’y mettre un terme.

L’intéressée est mise en demeure de reprendre ses prestations, ses journées d’absence ultérieures étant considérées comme des absences injustifiées.

Contact est alors pris par l’avocat consulté par l’intéressée, en vue d’un règlement amiable. La société met alors l’intéressée en demeure, par voie recommandée, de reprendre le travail à défaut de quoi il serait considéré qu’elle a rompu le contrat.

L’avocat consulté rédige alors un courrier réclamant paiement de l’indemnité de rupture ainsi qu’une indemnité égale à trois ans de salaire en application de la loi du 19 mars 1991.

La société considère alors que, l’intéressée n’ayant pas repris le travail, elle doit être considérée comme ne faisant plus partie du personnel.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles, réclamant l’indemnité de protection, de l’ordre de 90.000€ ainsi que des sommes annexes liées à l’exécution du contrat.

La société fait une demande reconventionnelle portant sur 1€ provisionnel, au titre d’indemnité de rupture.

Par jugement du 21 décembre 2012, le tribunal du travail fait droit à la demande, condamnant l’employeur au paiement d’un montant de l’ordre de 80.0000€ pour ce qui est de l’indemnité de protection.

Appel est interjeté par la société.

Position des parties en appel

L’appel est limité, eu égard à une contestation persistante sur le montant de l’indemnité de protection.

La société admet en effet qu’elle a rompu le contrat de manière irrégulière et qu’elle est, ainsi, redevable de l’indemnité prévue à l’article 16 de la loi. En vertu de celui-ci, l’indemnité due est fixée selon un double critère, étant qu’il faut d’abord déterminer si le travailleur a demandé sa réintégration et s’il ne l’a pas fait, qu’il faut en tout cas payer une indemnité fixe variant de 2 à 4 ans selon l’ancienneté.

Décision de la cour du travail

La cour constate qu’est en discussion ici uniquement cette question d’ancienneté, qui va déterminer le montant de l’indemnité due. S’il s’agit de ne prendre en compte que les prestations au service de la société qui l’a licenciée, l’ancienneté se situera dans la première tranche, qui vise l’ancienneté inférieure à 10 ans et fixe l’indemnité à 2 ans. Par contre s’il faut prendre en compte les années prestées au service de la société d’aviation, ainsi que la poursuite des prestations pour compte de la curatelle, jusqu’au jour de la signature avec la société de services au sol et les prestations au sein de cette société, l’on se trouve dans la deuxième tranche, soit celle qui fixe à 3 ans l’indemnité due en cas d’ancienneté entre 10 et moins de 20 ans.

La cour relève encore qu’il n’y eu aucune interruption dans les prestations.

Elle rappelle que la notion d’ancienneté dans l’entreprise a le même contenu que l’ancienneté de service et la notion de même employeur contenue aux articles 59 et 82, § 4 de la loi sur les contrats de travail. Elle renvoie alors à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 15 avril 1985, Arr. Cass., 1984-85, 1079) pour retenir qu’il faut voir par là l’unité économique d’exploitation, indépendamment des modifications de la nature juridique de celle-ci.

Elle poursuit, dans un examen fouillé des principes, le rappel des critères à prendre en compte, renvoyant notamment aux conclusions du Procureur général Lenaerts avant l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1992 (Cass., 18 mai 1992, R.G. n°7816 ; voir conclusions générales Procureur général Lenaerts R.W., 1992-93, col. 293). Celui-ci a retenu qu’il faut que (i) les deux employeurs aient la même activité ou au moins une activité similaire ou complémentaire, (ii) un lien juridique existe entre les deux et (iii) l’activité du travailleur n’ait pas été interrompue.

La question est en l’espèce de savoir si les sociétés ont un champ d’activité semblable, pour que l’on puisse retenir la notion de même employeur. La cour renvoie sur cette question à un examen effectué dans le cadre d’une autre affaire (C. trav. Bruxelles, 3 février 2012, R.G. 2008/AB/51.178), où il a été constaté que la société dont l’activité consiste dans les services au sol n’est pas une compagnie d’aviation et que les champs d’activités des deux sociétés ne sont pas les mêmes. L’on ne peut dès lors considérer qu’il y a eu des employeurs successifs permettant de répondre à la définition du « même employeur ».

La cour conclut dès lors que la seule ancienneté à prendre en compte est celle au service de la société qui a licencié l’intéressée.

Elle examine enfin une demande de capitalisation des intérêts, qui est rejetée, les conditions mises par l’article 1154 du Code civil n’étant pas remplies.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles aborde une problématique peu souvent rencontrée, étant la notion d’ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité spéciale due dans le cadre de la loi du 19 mars 1991.

L’arrêt, fouillé sur le plan doctrinal et jurisprudentiel, rappelle d’une part que la notion est la même que lorsqu’il s’agit de déterminer la notion de même employeur dans le cadre de la loi sur les contrats de travail et que, d’autre part, l’on se réfère de manière générale à la notion d’unité économique d’exploitation.


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