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Application de la CCT 32bis et de la Directive 2001/23 à une société ayant cessé ses activités ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 février 2014, R.G. n° 2012/AB/1.039

Mis en ligne le lundi 7 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 février 2014, R.G. n° 2012/AB/1.039

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine au regard de la jurisprudence de la C.J.U.E. l’existence éventuelle d’un transfert d’entreprise, s’agissant d’une société italienne mise sous tutelle judiciaire en Italie et ayant cessé ses activités après avoir conclu une convention de reprise d’actifs avec une autre société du groupe.

Les faits

Une employée d’une compagnie d’aviation, en service depuis 1975, est licenciée en 2009. Elle preste une partie du préavis et le solde est payé sous forme d’indemnité. Elle est reprise, pendant la prestation du préavis, par une compagnie du même groupe, qui lui propose un contrat de travail, faisant état d’une ancienneté de 33 ans.

Il s’avère que la première des deux sociétés rencontre de sérieuses difficultés financières et que c’est d’ailleurs dans ce cadre que les licenciements sont intervenus. Elle cesse d’ailleurs rapidement son activité, suite à une décision de justice (italienne) ayant constaté son état d’insolvabilité.

L’intéressée introduit une procédure contre les deux sociétés, en paiement d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis de près de 70.000€.

Par jugement du 20 juillet 2011, la deuxième société est mise hors cause et la condamnation est prononcée à l’égard de la première.

L’intéressée interjette appel, aux fins d’obtenir une condamnation in solidum des deux sociétés.

Décision de la cour du travail

La cour est amenée à examiner s’il y a application en l’espèce de la convention collective n° 32bis et de la Directive 2001/23. S’agissant de compagnies d’aviation publiques, la cour rappelle que l’article 1, 1c, de la directive couvre les entreprises publiques qui exercent une activité économique et que ne sont exclues que les activités relevant de l’exercice de la puissance publique (la cour renvoyant à l’arrêt MOTOE, de la C.J.U.E. du 1er juillet 2008, Aff. C-49/07).

Elle examine ensuite la situation de l’insolvabilité de l’employeur, au regard de ces textes. L’article 5.1 de la Directive énonce que (sauf disposition contraire au niveau des Etats membres) elle ne s’applique pas aux transferts d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue, ouverte en vue de la liquidation de ses biens et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente. La question de savoir si la société a en l’espèce été déclarée en faillite ne reçoit pas de réponse claire, la cour constatant qu’aucun document n’est produit à cet égard, mais uniquement un jugement qui a constaté l’insolvabilité de celle-ci.

La cour renvoie notamment à la jurisprudence de la Cour de Justice en ses arrêts ABELS et d’URSO ainsi que SPANO et DASSY. Selon l’ensemble de ces arrêts, la Directive (en l’occurrence 77/187 – qui avait précédé la Directive 2001/23) est d’application en cas de transfert d’une entreprise en état de liquidation judiciaire lorsque l’activité de l’entreprise se poursuit.

Il en découle que la Directive et la CCT ne sont pas d’application s’il s’agit d’une procédure qui a pour objet la cessation des activités de l’entreprise. Elles le seront, par contre, si les procédures ont pour effet d’organiser un redémarrage de l’activité via une autre société.

La cour va dès lors se pencher sur les éléments de fait, afin de voir s’il y a une continuité économique entre les deux sociétés. Elle constate que la convention de reprise d’un ensemble de marchandises et de contrats, conclue quasi concomitamment aux licenciements considère la première société comme vendeur et la seconde comme acheteur, ce qui, pour la cour, donne un éclairage particulier quant aux relations entre elles. Elle énumère l’ensemble des biens qui sont passés automatiquement à une date donnée (et à une heure précise) à la seconde société. Il s’agit de certains crédits et de certaines dettes, d’un ensemble de contrats (contrats de leasing, contrats avec des bureaux d’intérim, avec des compagnies d’aviation, …) et des marchandises très diverses (non seulement les avions mais les installations, les marques, les noms de domaine, les droits d’auteur, le know-how, le software, le hardware, les données bancaires, etc.).

Par contre, peu d’explications sont données en ce qui concerne les membres du personnel. La cour estime devoir examiner cette question très en détail. Elle ordonne dès lors une réouverture des débats afin d’être éclairée sur la situation de ceux-ci, demandant qu’il soit précisé s’ils sont toujours occupés par la seconde société et, si tel est le cas, s’ils se sont vu proposer un nouveau contrat et si leur ancienneté a été reprise. En outre, les deux sociétés ayant successivement occupé la même adresse, la cour s’informe sur les conditions d’occupation (location ou propriété). Enfin, la même préoccupation porte sur l’ensemble des contrats commerciaux et des services auxquels la seconde société recourt (secrétariat social, services de nettoyage, …).

L’ensemble des ces éléments est en effet considéré indispensable pour répondre à la question posée ci-dessus, étant de savoir si la procédure étrangère a eu pour effet de mettre un terme définitif à l’activité de la société ou, au contraire, s’il s’est agi de relancer cette activité via une autre société.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail rappelle la problématique du champ d’application de la Directive Européenne concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises dans les hypothèses de fin de l’activité de l’entreprise cédante.

L’article 5 de la Directive 2001/23 exclut de son champ d’application la procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant sous le contrôle d’une autorité publique compétente. La jurisprudence de la Cour de Justice à laquelle la cour du travail se réfère a admis l’application dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire lorsque l’activité de l’entreprise se poursuit. En l’occurrence, la cour veut vérifier la portée de la procédure judiciaire dont la première société a fait l’objet en Italie, alors que parallèlement une convention de cession d’un ensemble de biens et de services était signée avec une société repreneuse proche d’elle. L’ensemble des éléments soumis à la cour est, comme celle-ci l’a d’ailleurs constaté, particulièrement lacunaire en ce qui concerne le sort des travailleurs.

Affaire à suivre donc …


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