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L’exigence de l’énonciation précise des griefs dans l’acte d’appel d’un assuré social viole-t-elle les articles 10 et 11 de la constitution ?

Commentaire de C. const., 11 mars 2009, n° 51/2009

Mis en ligne le jeudi 3 juillet 2014


Cour Constitutionnelle, 11 mars 2009, n° 51/2009

Terra Laboris Asbl

Dans un arrêt du 11 mars 2009, la Cour Constitutionnelle a jugé que l’article 1057 du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la constitution en ce qu’il peut aboutir à faire déclarer irrecevable l’appel introduit par un assuré social pour le seul motif qu’il n’a pas détaillé les griefs qu’il fait valoir à l’égard du jugement dont appel.

Les faits et la procédure antérieure

Monsieur B. a interjeté appel d’un jugement prononcé par tribunal du travail de Charleroi qui avait confirmé la décision du service des allocations aux personnes handicapées de ne pas lui accorder les allocations qu’il réclamait.

Devant la Cour du travail de Mons, l’Etat Belge (SPF Sécurité Sociale, service des allocations aux personnes handicapées) a soutenu que le document qui a été considéré par le greffe de la Cour du travail comme étant une requête d’appel est impossible à interpréter et ne peut constituer une requête d’appel.

La Cour du travail de Mons constate que ce document ne satisfait pas aux conditions imposées par l’article 1057 du Code judiciaire et que le recours devrait, dès lors, être déclaré nul.

Toutefois, elle constate aussi que lorsqu’une personne handicapée introduit sa demande en premier degré devant le tribunal du travail, elle peut le faire par une requête informelle (article 704 du Code judiciaire).

Elle s’interroge dès lors sur les raisons qui justifient que, en degré d’appel, la même personne devrait se soumettre aux conditions très strictes énumérées à peine de nullité par l’article 1057 du Code judiciaire, raison pour laquelle elle pose à la Cour Constitutionnelle une question préjudicielle.

La position des parties devant la Cour Constitutionnelle

Monsieur B. n’a pas introduit de mémoire.

Le Conseil des ministres rappelle tout d’abord le régime des nullités prévues par les articles 860, 861, 862 et 867 du Code judiciaire, ce qui revient à dire que ce n’est pas parce que l’acte d’appel ne contient pas l’une des mentions prévues à peine de nullité par l’article 1057 du Code judiciaire que celui-ci sera nécessairement déclaré nul.

Le Conseil des ministres considère également que ce n’est pas parce que le législateur peut prévoir des règles procédurales spécifiques pour des matières de droit social qu’il doit nécessairement instaurer pour ce type de contentieux de telles règles, le choix du législateur de ne pas avoir prévu, pour la procédure d’appel dans les matières relevant de la sécurité sociale, des règles spécifiques pour l’établissement de l’acte d’appel n’étant pas en soi discriminatoire.

Le Conseil des ministres conclut que l’application de l’article 1057 du Code judiciaire et des articles 860 à 867 du même code n’emporte pas d’effet disproportionné par rapport au but du législateur, qui est d’assurer le respect des droits de la défense de la partie intimée à l’occasion de l’introduction de l’instance d’appel.

La position de la Cour Constitutionnelle

La Cour constitutionnelle rappelle qu’elle est saisie de la compatibilité de l’article 1057 du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 23 de celle-ci et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il traite de façon identique des catégories de justiciables qui se trouveraient dans des situations fondamentalement différentes : les justiciables visés à l’article 704, § 2 du Code judiciaire (qui peuvent introduire une demande par requête informelle) et les autres justiciables impliqués dans les procédures civiles dans des matières étrangères à celles énumérées par cet article.

La Cour constitutionnelle précise ensuite le contenu et l’étendue de l’article 704, § 2 du Code judiciaire, les litiges visés par la procédure simplifiée d’introduction de l’instance étant principalement ceux qui surviennent en matière d’octroi de prestations de sécurité sociale ou d’aide aux personnes démunies.

Elle rappelle que la requête prévue par l’article 704, § 2 du Code judiciaire a été insérée dans le projet de Code judiciaire à la demande du ministre de l’emploi et du travail dans le cadre de la « déformalisation » du droit procédural social, en vue d’économiser les frais d’huissier de justice, de conserver un mode d’introduction souple, couramment utilisé devant les juridictions administratives, et d’éviter la procédure d’assistance judiciaire, s’agissant par ailleurs d’un contentieux spécifique dans lequel intervient l’auditorat et afin de tenir compte de la situation particulière des justiciables concernés, généralement démunis face au formalisme de la procédure.

La Cour constitutionnelle relève ensuite qu’il revient au législateur de décider si la même procédure « déformalisée » doit être appliquée en degré d’appel ou s’il faut en revenir au droit commun de la procédure et plus particulièrement aux exigences de l’article 1057 du Code judiciaire.

Elle constate que, dans sa question préjudicielle, la Cour du travail de Mons fait observer que les assurés sociaux « qui ont pu introduire initialement le recours de la manière la plus informelle qui soit en premier degré se trouvent en quelque sorte trompés et désemparés par l’exigence soudainement posée par l’article 1057 dès qu’ils interjettent appel ».

Or, le jugement qui a statué sur la requête « déformalisée » est notifié au requérant par pli judiciaire (article 792, alinéa 2 du Code judiciaire), la lettre d’accompagnement faisant uniquement mention « des voies de recours, du délai dans lequel ce ou ces recours doivent être introduits ainsi que de la dénomination et de l’adresse de la juridiction compétente pour en connaître » (article 792, alinéa 3 du Code judiciaire).

Par contre, la lettre d’accompagnement n’indique pas que le requérant qui n’était pourtant pas tenu en première instance de satisfaire aux exigences de forme détaillées à l’article 1034ter du Code judiciaire doit en degré d’appel satisfaire aux exigences équivalentes de l’article 1057 du même code.

La Cour constitutionnelle en conclut que, dans ces circonstances, l’article 1057 du Code judiciaire a des effets disproportionnés, dans la mesure où ni l’article 792, alinéa 3, ni aucune autre disposition du Code judiciaire ne prévoit l’obligation d’indiquer dans la lettre accompagnant la notification du jugement les conditions de forme auxquelles doit satisfaire l’acte d’appel en sorte que la personne qui introduit un appel dans ces circonstances est, sans justification, traitée de la même manière que celle qui, dès le début de la procédure, a du satisfaire aux exigences de forme mentionnées à l’article 1034ter du Code judiciaire.

La Cour constitutionnelle en conclut que, dans ces circonstances, l’article 1057 du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

L’intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour constitutionnelle met un terme à une insécurité juridique résultant notamment de l’appréciation par les juridictions du fond de la condition de l’énonciation des griefs par l’assuré social dans sa requête d’appel.

En effet, comme le précise le Conseil des ministres dans son mémoire, jusqu’alors c’était uniquement par rapport aux articles 860 et suivants du Code judiciaire que la juridiction de fond pouvait se prononcer sur l’éventuelle nullité de l’acte de procédure, la jurisprudence étant en sens divers, certains tribunaux se montrant très sévères et d’autres, au contraire admettant le caractère informel de la requête d’appel introduite par un assuré social en personne (avec pour conséquence que, si la requête d’appel est introduite par un avocat, certains tribunaux ne font pas preuve de la même « mansuétude »).

L’enseignement que l’on peut dès lors tirer de l’arrêt de la Cour constitutionnelle est que tant que l’article 792, alinéa 3 du Code judiciaire n’indiquera pas au requérant qu’il doit satisfaire à des exigences de forme auxquelles il n’était pas tenu en première instance, la juridiction d’appel ne peut plus lui en faire grief, nonobstant les exigences de l’article 1057 du Code judiciaire.

La question reste toutefois ouverte de savoir si, dans l’hypothèse où le législateur modifierait l’article 792, alinéa 3 du Code judiciaire, la seule mention, dans la lettre d’accompagnement de la décision, de l’énumération des formes prévues par l’article 1057 du Code judiciaire suffirait à rendre le texte légal conforme aux articles 10 et 11 de la constitution, dès lors qu’en première instance, une procédure extrêmement simplifiée et dépourvue de toute condition formelle a été prévue par le législateur.


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