Terralaboris asbl

Enseignants ayant presté en en-dehors du territoire belge : détermination de la rémunération en Belgique dans le cadre d’une affectation ultérieure

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2011, R.G. n° 2010/AB/10

Mis en ligne le jeudi 3 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 15 novembre 2011, R.G. n° 2010/AB/10

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 15 novembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles fait droit à la demande d’un enseignant de l’enseignement secondaire tendant à faire fixer sa rémunération en tenant compte de prestations antérieures dans l’ex-Zaïre, dans une école à programme belge. La cour y rappelle la portée de l’arrêté royal du 15 avril 1958, qui vise l’égalité du statut pécuniaire entre tous les enseignants belges.

Les faits

Un professeur de l’enseignement secondaire d’un établissement d’une commune de la région bruxelloise bénéficie d’un contrat se référant à la fois à la loi du 3 juillet 1978 relative au contrat de travail, à la législation de l’enseignement, aux dispositions du statut de stabilité et du statut disciplinaire du personnel catholique ainsi qu’au règlement général de ce type de personnel.

En ce qui concerne le montant de la rémunération, il est fixé à l’équivalent de la subvention-traitement afférente à l’emploi et accordée (à l’époque) par le Ministère de l’éducation nationale et de la culture.

Auparavant, il a enseigné dans l’ex-Zaïre, pendant une période de 11 ans. Le contrat a été résilié pour cause de force majeure suite aux troubles intervenus dans la région et l’intéressé est rentré en Belgique, où il a finalement été engagé dans l’emploi ci-dessus. Cet engagement est devenu définitif deux ans plus tard, au sens du décret du 1er février 1993. Il s’agit d’une charge à prestation incomplète.

La rémunération telle que précisée dans des avenants ultérieurs se réfère à la subvention-traitement afférente à l’emploi exercé par le membre du personnel dont le barème est déterminé par la Communauté française. Cette rémunération est payée directement par celle-ci à l’intéressé.

Une demande de régularisation est faite, par la direction du Collège où l’enseignant est affecté, et ce à la Communauté française, sur la base de l’arrêté royal du 15 avril 1958 portant statut pécuniaire du personnel enseignant, et ce vu les prestations en ex-Zaïre.

La Communauté française va répondre que celles-ci ne peuvent être prises en compte pour le calcul de l’ancienneté. La Communauté française va d’autant plus refuser la régularisation que la Cour des Comptes a elle-même donné un avis négatif, selon lequel, en tant que « norme de droit interne », le statut pécuniaire n’est applicable que sur le territoire où s’exerce la souveraineté du pouvoir qui l’a établi. Le texte se référant aux établissements inspectés par les services d’inspection de l’enseignement belge, la discussion va porter sur l’interprétation à donner à cette condition. Après diverses discussions et négociations, l’enseignant introduit un recours devant le tribunal du travail, recours dirigé contre son employeur, étant le P.O. de l’Asbl où il preste. Celui-ci cite la Communauté française en intervention et garantie. L’enseignant va, dans le cours de la procédure, former une demande incidente contre la Communauté française, considérant qu’il dispose d’une action directe vis-à-vis de celle-ci, en paiement de la subvention-traitement.

Décision du tribunal

Le tribunal du travail déboute l’intéressé par jugement du 26 octobre 2009, se référant essentiellement à l’avis de la Cour des Comptes.

Le tribunal examine également l’éventualité d’une discrimination entre les enseignants ayant presté sur le territoire belge et ceux ayant presté à l’étranger dans une école subventionnée et inspectée par l’Etat. Pour le tribunal, il s’agit d’une différence de traitement objective, vu le lieu où les enseignants prestent. La différence de traitement se situe au niveau des services admissibles pour la détermination de leur traitement. Il en conclut que l’arrêté royal du 15 avril 1958 a vocation à s’appliquer sur le territoire belge et que le but du législateur (éviter d’organiser ou d’étendre le système scolaire à l’étranger) est légitime eu égard notamment aux implications budgétaires.

Décision de la cour

La cour va, dans un premier temps, statuer sur la recevabilité des actions. Le P.O. demande à être mis hors cause et la Communauté française conteste, pour sa part, la recevabilité de la demande incidente introduite à son égard. Pour elle, il faut distinguer le droit subjectif à l’octroi des subventions-traitements (qui appartient exclusivement au P.O. en vertu de l’article 25 de la loi du 29 mai 1959) et le droit subjectif au paiement de celles-ci (qui appartient au personnel en vertu de l’article 36 de la même loi). Pour la Communauté française, le droit subjectif du personnel au paiement du traitement est subordonné à une condition préalable, étant l’octroi des subventions au P.O. En conséquence, si le P.O. n’a pas droit à ces subventions (les conditions légales n’étant pas remplies), le membre du personnel n’a pas droit au paiement correspondant. Dans une telle hypothèse, seul l’employeur pourrait être tenu de payer la rémunération afférente à des prestations effectuées en-dehors du cadre légal - et la Communauté française renvoie à l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 18 novembre 1982 (J.T.T., 1984, p. 246).

La cour confirme à cet égard que les principes développés par la Communauté française en matière de droit subjectif à l’octroi des subventions-traitements et au paiement de celles-ci ont été confirmées dans un arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2010 (Chron. D.S., 2011, p. 11, note J.J.). La cour précise que dans cet arrêt la Cour de cassation a rappelé que les subventions-traitements en tant que contrepartie des prestations de travail des membres du personnel constituent une rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965.

La cour du travail en conclut que l’employeur a été valablement assigné, que ce P.O. a valablement appelé la Communauté française en intervention forcée et que l’enseignant dispose d’une action directe en paiement de la subvention-traitement et a donc valablement formé la demande incidente contre la Communauté française.

La cour aborde, ensuite, le fond du litige. Elle constate que l’établissement où l’enseignant prestait à Likasi était une école à tout le moins inspectée par l’Etat belge et, après avoir repris les conditions de l’article 16 (§ 1, A, a), 2°) de l’arrêté royal du 15 avril 1958 qui fixe les hypothèses à prendre en compte pour la détermination des classes barémiques, la cour considère devoir s’écarter du point de vue de la Cour des Comptes. Pour elle, en l’espèce, le principe de territorialité de la norme n’est pas mis en cause, toutes les parties s’accordant à considérer que cette norme de droit interne s’applique uniquement sur le territoire belge et, en l’occurrence, il s’agit d’un enseignant qui réside et enseigne en Belgique et demande la prise en compte dans la détermination de sa rémunération des services effectifs prestés en-dehors du territoire. La cour reprend ensuite les diverses hypothèses dans lesquelles de telles prestations à l’étranger peuvent être retenues. Elle considère, cependant, que l’on ne peut interpréter le texte comme signifiant que les écoles inspectées au sens de la disposition doivent implicitement se trouver en Belgique. Pour la cour du travail l’on ajouterait, ici, à la disposition. La cour est également sensible à l’argumentation du P.O. selon laquelle les dispositions doivent être interprétées en ayant égard au contexte dans lequel l’arrêté royal a été rédigé en 1958 : les éléments d’extranéité contenus à l’époque étaient relatifs au « Service d’Afrique », ainsi qu’au Congo belge et au Ruanda-Urundi. Des dispositions modificatives sont intervenues ultérieurement mais pour la cour, il en ressort que la prise en compte d’une ancienneté acquise hors du territoire belge a toujours été admise pour la détermination de l’ancienneté barémique d’un enseignant en Belgique.

Elle conclut en outre à l’existence d’une discrimination, si l’on n’arrivait à une conclusion différente, discrimination injustifiée.

Elle fait, par conséquent, droit à la demande en son principe et ordonne à la Communauté française d’établir le décompte des sommes dues et de les payer directement à l’enseignant.

Elle va, en enfin, rencontrer un argument tiré de la prescription, vu l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 (contenant la règle de la prescription annale) et l’article 8 du décret du 1er février 1993 (contenant une règle de prescription de cinq ans à dater de la connaissance du dommage). A ces règles, il y a lieu d’ajouter la prescription de cinq ans concernant les créances pouvant être produites, et ce conformément à la loi du 6 février 1970 (article 1er) - disposition actuellement contenue à l’article 100 de l’arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilité de l’Etat. La législation en cause est d’ordre public, ainsi que l’a d’ailleurs rappelé la Cour de cassation (Cass., 12 avril 2007, R.G. C.05.0489.F). Il en découle que la règle générale est que toute créance contre l’Etat est prescrite après une période de cinq ans, la prescription de dix ans étant une exception.

S’agissant, dans le cadre de la subvention-traitement, d’une dépense fixe, payée directement et mensuellement au personnel des établissements subventionnés, la cour considère qu’il faut déclarer prescrites les créances de subventions-traitements qui n’ont pas été ordonnancées dans le délai de dix ans à partir du 1er janvier de l’année pendant laquelle elles sont nées. S’agissant par ailleurs d’une créance périodique, chaque terme est soumis au délai de dix ans. L’interruption de la prescription a été acquise par la citation introductive d’instance. La période au-delà de dix ans avant celle-ci est dès lors frappée par la prescription.

Intérêt de la décision

Cette affaire est importante à plusieurs égards, d’abord en ce qui concerne le rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation confirmant que l’enseignant dispose vis-à-vis de la Communauté française d’une action directe. La cour y donne, par ailleurs, une interprétation cohérente de l’arrêté royal du 15 avril 1958, optant pour une solution non discriminatoire, contrairement à l’avis de la Cour des Comptes sur la question.


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