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Lorsque la juridiction du travail décide qu’une sanction prévue par la réglementation du chômage en matière d’évaluation du comportement de recherche d’emploi viole les articles 10 et 11 de la Constitution, elle ne peut pas confirmer la décision de l’O.N.Em.

Commentaire de Cass., 10 octobre 2011, n° S.10.0112.F

Mis en ligne le mardi 1er juillet 2014


Cour de cassation, 10 octobre 2011, R.G. n° : S.10.0112.F

Les faits de la cause

Mme R. a été exclue pendant quatre mois du bénéfice des allocations d’attente au motif qu’elle n’a pas respecté les engagements souscrits lors du contrat signé au cours du premier entretien d’évaluation de son comportement de recherche d’emploi.

Elle a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal du travail de Charleroi qui, après avoir dit pour droit que la chômeuse n’a pas respecté le contrat d’activation et que les démarches effectuées ne permettent pas de considérer qu’elle a fourni des efforts suffisants, de sorte que l’application d’une mesure d’exclusion était justifiée, décide que l’article 59quinquies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 crée une différence de traitement contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution 1°) entre les jeunes travailleurs bénéficiant d’allocations d’attente qui ont la qualité de chef de ménage ou d’isolé et les autres chômeurs se trouvant dans la même situation familiale et 2°) entre les jeunes chômeurs bénéficiant d’allocations d’attente entre eux dès lors que la mesure d’exclusion est identique pour eux et qu’ils se voient appliquer la même mesure quelle que soit leur situation familiale. Il ordonne la réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur les conséquences à déduire de ce constat d’inconstitutionnalité.

L’O.N.Em. interjette appel de ce jugement pas requête du 12 février 2008. Par voie de conclusions, la demanderesse fait appel incident du jugement du tribunal du travail en ce qu’il décide qu’elle n’a pas respecté le contrat d’activation.

Par arrêt du 18 novembre 2009, la cour du travail de Mons dit l’appel incident non fondé et l’appel principal fondé en ce qu’il sollicite la réformation du jugement du tribunal du travail qui a dit pour droit que l’article 59quinquies, § 6, alinéa 1er, de l’arrêté royal du
25 novembre 1991 violait les articles 10 et 11 et de la Constitution. Selon la cour du travail, les chômeurs bénéficiaires d’allocations d’attente et les chômeurs dits « ordinaires » ne sont pas dans des situations comparables et, au sein du même groupe constitué par les chômeurs d’allocations d’attente entre eux, aucun traitement discriminatoire ne peut être décelé sur base de la notification d’une mesure d’exclusion unique quelle que soit la situation familiale de chacun d’eux dès lors que les actions concrètes mentionnées au sein du contrat d’activation ont été fixées en amont en tenant compte de la situation spécifique de chaque chômeur qui englobe son profil familial.

La cour du travail décide que la fixité de l’exclusion (quatre mois) pourrait violer les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors que l’article 59quinquies de l’AR exclut de la même manière le chômeur qui n’a que partiellement failli à ses engagements et le chômeur qui n’aurait rempli aucun de ceux-ci « alors qu’à titre d’exemple les articles 51 à 53bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ont prévu, quant à eux, des fourchettes d’exclusion ». La cour ordonne la réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur la nature de l’exclusion prévue par l’article 59quinquies, la proportionnalité de la mesure en l’espèce et la conformité de cette disposition aux articles 10 et 11 de la Constitution, ainsi que sur les conséquences à déduire d’une éventuelle disproportion et/ou discrimination.

Par son arrêt du 29 juin 2010 (J.T.T, 2010, p. 305), la cour du travail de Mons décide que :

  • les exclusions prononcées dans le cadre des articles 59bis et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne constituent pas des sanctions administratives auxquelles les principes de droit pénal, et notamment les mesures d’individualisation de la sanction, devraient trouver à s’appliquer sans autre examen ni condition ;
  • l’article 59quinquies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 crée une différence de traitement dès lors que dans l’état actuel de la réglementation les mesures d’exclusion énoncées par l’article 51 de l’arrêté royal peuvent être assorties d’un sursis alors que celles visées par l’article 59quinquies, § 6, ne le peuvent pas ;
  • les situations visées par les articles 51, § 1er, alinéa 2, 6° et 59quinquies, §§ 4, 5 et 6 sont comparables ;
  • l’O.N.Em. n’établit pas l’existence d’un critère objectif et raisonnable permettant de justifier qu’un chômeur qui a refusé de participer au plan d’accompagnement des chômeurs ou dont le plan a dû être arrêté ou a échoué en raison de son attitude fautive puisse bénéficier d’un sursis alors que le chômeur contraint de conclure un contrat d’activation sans toutefois atteindre par son comportement les objectifs lui assignés ne peut bénéficier de pareille mesure d’individualisation ;
  • il n’existe pas de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, en sorte que la discrimination est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Se référant notamment à un arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2003 (Pas., I, p. 535), elle décide que l’article 159 de la Constitution, qui impose au juge de ne pas appliquer un arrêté royal illégal, a pour seule conséquence de ne faire naître ni droit ni obligation pour les intéressés. Il ne lui permet pas de réparer une lacune extrinsèque. Elle en conclut qu’elle ne peut que confirmer la décision administrative d’exclusion.

La procédure en cassation

Le pourvoi formé par Mme R. contre cet arrêt proposait deux moyens de cassation.

Le premier critiquait la décision de l’arrêt que la sanction de l’article 59quinquies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne constituait pas une sanction à laquelle les principes du droit pénal, dont le principe de proportionnalité, devraient trouver à s’appliquer. Il invoquait la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 58 et 59bis à 59octies de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La Cour de cassation ne l’examine pas dès lors qu’elle accueille le second moyen pris de la violation de l’article 159 de la Constitution et que le premier moyen ne saurait entraîner une cassation plus étendue.

La Cour de cassation décide qu’en vertu de l’article 159 de la Constitution les juridictions contentieuses ont le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception. Dès lors que l’arrêt attaqué considère que l’article 59quinquies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, il ne pouvait – sans violer l’article 159 de la Constitution – confirmer une décision d’exclusion prise sur la base de la disposition réglementaire dont il a constaté l’inconstitutionnalité. L’arrêt viole, partant, l’article 159 de la Constitution.

Intérêt de la décision

L’enseignement de cet arrêt de la Cour de cassation est clair : lorsque le juge constate qu’une décision administrative d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage est fondée sur une disposition réglementaire contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, il ne peut confirmer cette décision.

Sans doute, comme l’avait souligné J.F. Neven et E. Dermine (Le contrôle de l’obligation pour les chômeurs de rechercher activement un emploi in Actualités de droit social, Revenu d’intégration sociale, activation chômage et règlement collectif de dettes, CUP, vol. 116, pp. 124 et ss.) le juge ne peut-il pas moduler la sanction en accordant un sursis. Mais il ne peut pas non plus appliquer une sanction illégale et doit donc refuser de la confirmer.

C’est ce qu’a décidé la neuvième chambre de la cour du travail de Liège dans l’arrêt du 12 septembre 2011, relatif à un autre constat d’inconstitutionnalité de la même procédure d’activation, à savoir la discrimination entre les bénéficiaires d’allocations d’attente et les bénéficiaires d’allocations de chômage dans la sanction. La cour du travail relève qu’elle n’est sûrement pas habilitée à substituer à la suppression de la totalité des allocations d’attente pendant quatre mois la réduction de ces dernières à concurrence de 25% de leur montant durant la même période (ce qui serait, comme l’application d’une mesure de sursis qui n’est pas prévue, combler une lacune extrinsèque). Par contre, le simple refus d’appliquer une disposition ne revient pas à combler une lacune extrinsèque et ne viole pas le principe de la séparation des pouvoirs. Il se limite à une censure négative à l’égard de l’acte réglementaire illégal (R.G. n° 2008/AL/35401, commenté par Terra Laboris pour Social Eyes le 11 octobre 2911 : La privation des allocations d’attente en cas de non-respect d’un contrat d’activation : une sanction excessive et disproportionnée).


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