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Une action en justice peut-elle rester au point mort pendant plus de vingt ans ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 28 février 2012, R.G. 2011/AN/67

Mis en ligne le lundi 30 juin 2014


Cour du travail de Liège, section Namur, 28 février 2012, R.G. n° 2011/AN/67

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 février 2012, la Cour du travail de Liège (sect. Namur), examine le sort d’une action introduite en justice par l’ONSS et restée bloquée, suite à l’inertie des parties, pendant plus de vingt ans : il y a, dans cette hypothèse, prescription du lien d’instance.

Les faits

Un reviseur d’entreprise est assigné par l’ONSS devant le tribunal du travail en 1989 en paiement de cotisations. L’affaire est renvoyée au rôle et, ultérieurement, omise du rôle. Le défendeur conclut (sans déposer ses conclusions au greffe cependant) immédiatement après l’introduction. L’ONSS y répond le 2 juin 2005 (conclusions également non déposées).

Fixation de la cause est demandée en 2010 en paiement de majorations et d’intérêts, les cotisations ayant été payées entretemps.

Le Tribunal du travail de Namur fait droit à la demande de l’ONSS. Appel est interjeté, au motif du non-respect du délai raisonnable (article 6, C.E.D.H.) ainsi que de la prescription du lien d’instance.

Position de la cour du travail

La cour va dès lors examiner, en premier lieu, cette prescription particulière.

Après avoir rappelé l’article 2262bis, §1er, alinéa 1er, du Code civil qui fixe à 10 ans la prescription de toutes les actions personnelles (prescription précédemment de 30 ans), la cour se penche longuement sur la notion de prescription du lien d’instance.

Il y a lieu de distinguer ce type de prescription de la prescription d’une action ainsi que de la prescription d’une condamnation.

Lorsqu’un jugement est rendu, il constate un droit exécutable, qui se prescrit actuellement par 10 ans. Quant à l’action, sa prescription est suspendue dès son introduction et cette interruption persiste aussi longtemps que le jugement rendu n’a pas acquis un caractère définitif. La prescription ne peut dès lors s’accomplir au cours de l’instance et il en résulte, ainsi que le relève judicieusement la cour, qu’une présomption fort courte peut rester interrompue indéfiniment par un procès interminable voire même par l’inaction des parties une fois que le procès a été engagé.

Elle rappelle que jusqu’en 1936 existait la péremption d’instance mais que cette institution a été abrogée. Est encore frappé de péremption, actuellement, un jugement rendu par défaut non signifié dans l’année.

L’écoulement du temps, en ce qu’il est susceptible de nuire au défendeur, vu le retard mis à diligenter la procédure, peut permettre de rejeter la demande sur la base de la violation du principe du respect des droits de la défense, et ce en application de l’article 6 C.E.D.H. Dans cette hypothèse, il y a non-fondement de l’action mais non prescription.

Le retard fautif dans une procédure peut encore être sanctionné par la suspension intégrale ou partielle du cours des intérêts.

La cour rappelle que la doctrine a cependant développé la notion de prescription du lien d’instance, question qui n’a jamais été soumise à la Cour de cassation. Il est ainsi admis, comme la cour le rappelle, que lorsqu’un délai trop important s’écoule, il y a un risque de déperdition des preuves non seulement eu égard à celles que l’on possède mais également celles que l’on pourrait encore réunir (ainsi par exemple par le biais d’enquêtes).

Aussi, la doctrine a-t-elle développé le principe de la prescriptibilité du lien d’instance. Ainsi, pour la doctrine traditionnelle (abondante doctrine citée dans l’arrêt), il y a prescription par trente ans à partir du dernier acte de procédure. Après ce délai, l’instance ne peut plus être utilement reprise et le demandeur perd le droit que lui donnait l’action qu’il avait intentée. Sous réserve de la réduction de ce délai à dix ans, la cour constate que cette règle peut encore s’appliquer actuellement, l’objectif poursuivi par cette théorie étant que la prescription du lien d’instance évite que le plaideur ne rende son droit imprescriptible par le seul biais de l’introduction d’une action en justice.

Reste encore, pour la cour, à préciser l’acte de procédure qui viendrait interrompre la prescription du lien d’instance. Elle renvoie au code judiciaire pour ce qui est de ceux-ci : ces actes ont trait à la mise au rôle et aux pièces du dossier visées à l’article 721 C.J., dont les notifications, procès-verbaux, conclusions, jugement avant dire droit et requête d’appel. Pour la cour, il s’agit donc de toutes les pièces figurant au dossier de la procédure et il ne suffit pas que les parties aient échangé des conclusions : celles-ci doivent avoir été déposées au greffe.

En l’espèce, la cour conclut que vu l’absence de dépôt au greffe, il y a application de cette règle de prescription.

Elle n’examine dès lors pas la question sous l’angle du non-respect de l’article 6 de la C.E.D.H.

Intérêt de la décision

Cette décision procède, par un rappel très fouillé des diverses solutions retenues en cas d’inertie d’une des parties, que le lien d’instance n’est pas imprescriptible et qu’afin d’éviter la prescription, un acte de procédure doit être posé dans un litige … au moins une fois tous les dix ans !


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