Terralaboris asbl

Prescription du droit à la majoration d’une allocation complémentaire de prépension « Canada Dry »

Commentaire de Cass., 14 mai 2012, n° S.11.0128.F

Mis en ligne le lundi 30 juin 2014


Cour de cassation, 14 mai 2012, n° S.11.0128.F

Les faits de la cause

Mme J.L. a bénéficié, après son licenciement en date du 30 novembre 2000 et la période couverte par l’indemnité de rupture de dix-neuf mois, d’une indemnité complémentaire de prépension à charge d’Axa Belgium en vertu d’une convention collective de travail d’entreprise. Cette convention prévoit que, au cas où l’allocation de chômage du travailleur viendrait à diminuer pour une raison indépendante de sa volonté, l’intervention de l’employeur serait adaptée à due concurrence.

Mme J.L. a perdu la qualité de chef de ménage au 1er octobre 2007, suite à l’obtention par son époux, qui était sans revenus quand elle a été admise à la prépension, du statut de retraité.

Après avoir vainement sollicité une révision de son indemnité complémentaire, elle a cité son ex-employeur à comparaître devant le tribunal du travail de Liège le 20 octobre 2008.

Par jugement du 8 octobre 2009, la douzième chambre du tribunal a décidé que l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail n’était pas applicable dès lors qu’il s’agissait de faire application des termes d’une convention collective de travail.

L’ex-employeur a interjeté appel de cette décision soutenant que l’article 15 de la loi précitée trouvait à s’appliquer et que l’action était prescrite pour avoir été introduite plus d’un an après le fait qui a donné naissance à l’action, à savoir la réduction de l’allocation de chômage avec effet au 1er octobre 2007. Mme J.L. y opposait que ce n’était pas le délai de prescription annal visé par l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 qui s’appliquait mais bien le délai de prescription décennal visé par l’article 2262bis du Code civil. A défaut, elle invitait la cour à faire application du délai quinquennal de prescription de l’action civile fondée sur une infraction.

Par un premier arrêt du 5 novembre 2010, la sixième chambre de la cour du travail (R.G. n° 2009/AL/36751) rappelle que l’action en paiement de la prépension conventionnelle est une action née du contrat, se référant aux arrêts de la Cour de cassation des 21 juin 1993 (J.T.T., 1993, p. 325), 21 octobre 2002 (J.T.T., 2004, p. 37) et 13 novembre 2006 (J.T.T., 2007, p. 224). Elle relève plus particulièrement ce dernier arrêt dont il ressort que, de la combinaison des articles 15 de la loi du 3 juillet 1978 et 2257 du Code civil, le délai de prescription d’un an est applicable aux actions en exécution d’obligations qui naissent d’un contrat de travail mais qui viennent à échéance après la fin de ce contrat et que ce délai de prescription prend cours seulement lors de cette échéance. La Cour de cassation décide ainsi que manque en droit le moyen qui soutient que le délai de prescription de l’article 15 est seulement d’application à des demandes qui sont nées pendant ou à l’occasion de la cessation du contrat de travail et que le délai de prescription de droit commun de dix ans déterminé par l’article 2262bis, § 1er, du Code civil est d’application à des actions naissant du contrat de travail mais seulement après la cessation de celui-ci.

La cour du travail en conséquence ainsi l’application de l’article 2262bis lorsqu’il s’agit de l’action en obtention de l’indemnité complémentaire de prépension.

Elle décide également qu’en l’espèce l’action ne naît pas d’une infraction dès lors que l’article 56 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires n’érige en infraction que le non-respect des conventions collectives de travail rendues obligatoires par arrêté royal.

La cour du travail s’interroge alors sur l’action en cause, qui ne vise pas la reconnaissance du droit à l’indemnité complémentaire de prépension soumise au délai annal de prescription mais la modification des bases de calcul et l’octroi des arrérages échus d’une prépension dont le droit est reconnu.

Elle rappelle que l’article 2277 du Code civil est en principe applicable dans tous les cas où la dette a pour objet des prestations ou des revenus payables par année ou à des termes périodiques plus courts (Cass., 26 juin 1969, Pas., 1969, I, 992).

La question se pose alors de déterminer si la prééminence doit être donnée à la prescription d’un an de l’article 15 ou à la prescription de cinq ans de l’article 2277 du Code civil.

Par ailleurs, quel que soit le délai de prescription applicable, la cour du travail dit qu’il convient de déterminer en l’espèce son point de départ.

Elle ordonne la réouverture des débats sur ces deux questions.

Par le second arrêt, du 25 mars 2011, la cour du travail constate tout d’abord que les parties s’accordent pour exclure l’application de l’article 2277 du Code civil et pour faire application au litige de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

La seule question est alors celle du point de départ du délai de prescription annal : court-il, comme le soutient l’ex-employeur, à partir de la date à laquelle l’époux de Mme J.L. a été admis à la pension de retraite soit le 1er octobre 2007 ou, comme le soutient la dame J.L., à la date à laquelle a été portée à sa connaissance la décision de l’ex-employeur de refuser d’adapter le montant de la prépension conventionnelle ou, à titre subsidiaire, à la date à laquelle elle a pris connaissance du montant exact de son allocation de chômage ?

La cour du travail décide que le droit à la majoration est né à la date à laquelle la modification du montant de l’allocation de chômage a pris cours soit au 1er octobre 2007. L’engagement pris par l’employeur est en effet lié à la variation de l’allocation de chômage. L’action introduite le 20 octobre 2008 est donc prescrite.

La procédure devant la Cour de cassation

La dame J.L. invoquait la violation de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, soutenant que le délai de prescription annal n’avait pu prendre cours au plus tôt qu’au moment où elle avait été avertie du nouveau montant de ses allocations et où elle avait pu chiffrer sa perte et former une demande concrète d’adaptation de son indemnité complémentaire (soit de manière informelle le 7 novembre 2007 et de manière officielle le 30 novembre 2007).

Après avoir relevé que l’arrêt attaqué constate, sans être critiqué que les parties s’accordent à considérer que l’action de la dame J.L. est soumise à la prescription de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relatives aux contrats de travail, la Cour de cassation décide que « la prescription étant une défense opposée à une action tardive, l’action sanctionnant une obligation naît, en règle, au jour où cette obligation doit être exécutée. Elle ne se prescrit, dès lors, qu’à partir de ce moment et, sauf disposition légale dérogatoire, dès ce moment ».

L’arrêt attaqué a dès lors légalement fixé le point de départ de la prescription à la date à laquelle la modification du montant de l’allocation de chômage a pris cours soit le 1er octobre 2007, en sorte que le moyen ne peut être accueilli.

Intérêt des décisions

Le premier arrêt de la cour du travail rappelle les règles applicables à la prescription de l’action visant à l’octroi de l’indemnité de prépension : cette action est soumise à la prescription annale visée par l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 mais son point de départ est reporté à la date de l’exigibilité de la prépension.

Il rappelle également que l’action civile ne peut être fondée sur une infraction que si le non-paiement de la prépension est érigé en infraction, quod non en l’espèce s’agissant d’une prépension « Canada Dry ».

Ce premier arrêt envisage alors la possibilité que l’action tendant, une fois reconnu le droit à l’indemnité de prépension, à en voir modifier les bases de calcul puisse être régie par la prescription de l’article 2277 du Code civil, question qui ne sera finalement pas tranchée dès lors que les parties ont exclu l’application de cette disposition.

Le second arrêt et l’arrêt de la Cour de cassation présentent l’intérêt d’attirer l’attention des praticiens sur ce que, sauf disposition dérogatoire, le point de départ de l’action sanctionnant une obligation née du contrat est le jour où cette obligation doit être exécutée. Il est ainsi sans incidence que la dame J.L. ait, au moment où son droit est né, été dans l’ignorance du montant de l’allocation de chômage qui lui serait réellement payée et donc dans l’impossibilité de chiffrer l’indemnité complémentaire à laquelle elle avait droit à sa charge de son ancien employeur.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be