Terralaboris asbl

Action en référé et discrimination sur la base de l’âge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2013, R.G. 2013/CB/2

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 26 juillet 2013, R.G. n° 2013/CB/2

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 26 juillet 2013, statuant dans le cadre des référés, la Cour du travail de Bruxelles confirme une ordonnance du tribunal, enjoignant à une institution hospitalière de cesser la discrimination pratiquée à l’égard d’un médecin, qui a vu mettre un terme à la collaboration professionnelle sur la base de son âge.

Les faits

Un médecin spécialiste (endocrino-diabétologie) collabore depuis 1991 avec une clinique dans le cadre d’un contrat d’entreprise. Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée jusqu’à 65 ans (70 ans si droits acquis).

En 2004, une convention, signée avec l’institution hospitalière (qui a à l’époque une nouvelle appellation, ayant repris celle qui avait été initialement conclue), met à disposition du médecin des services divers (secrétariat, personnel infirmier, petit équipement médical, cabinet), à raison de deux demi-journées par semaine. Cette convention est conclue sans limitation de durée.

Ayant atteint l’âge de 70 ans en 2005, l’intéressé demande à y être reconnu comme médecin honoraire, et ce aux fins de permettre aux patients qu’il continue à soigner de bénéficier de la gratuité de certains traitements. Il demande à poursuivre ses consultations. Une convention est alors conclue à durée indéterminée, fixant de nouvelles conditions. L’intéressé se voit reconnaître le titre de membre honoraire, suite à une décision du Conseil d’Administration.

Un courrier lui est adressé, près de 7 ans plus tard, l’informant que les instances de l’hôpital se sont prononcées pour la fin de ses activités médicales. Dans un courrier en réponse, celui-ci conteste la rupture, demandant à pouvoir poursuivre, soulignant l’intérêt de cette formule pour ses patients et pour la clinique. Il lui est répondu qu’une limite d’âge (75 ans) a été voulue par le Conseil d’Administration, critère de fin de collaboration. Un échange de correspondance se poursuit. Chaque partie restant sur ses positions, une requête est déposée le 10 octobre 2012 devant le Président du Tribunal du travail de Bruxelles, demandant de constater la discrimination instaurée par l’institution en prévoyant un âge maximal de 75 ans pour l’exercice en son sein de la profession de médecin, d’ordonner la cessation de la discrimination dont il est victime, ainsi que d’ordonner la poursuite de la collaboration et des mesures de publicité.

L’ordonnance dont appel

Par ordonnance du 24 décembre 2012, le Président du Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande et ordonne la cessation de la discrimination. L’ordonnance condamne également l’institution à communiquer une copie intégrale de ces mesures à l’ensemble des médecins occupés en son sein, et ce quel que soit leur statut.

Appel est interjeté par l’institution.

Celle-ci demande en premier lieu le renvoi devant le Tribunal de Première Instance et, subsidiairement, expose sa thèse quant au fond.

La décision de la cour

Sur la compétence des juridictions du travail, la cour confirme que le litige relève de la compétence de ces juridictions, sur pied des articles 581, 10° et 587bis du Code judiciaire. Le premier donne compétence au tribunal du travail pour les contestations fondées sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et le second concerne les demandes en cessation visées à l’article 20 de la même loi.

La cour insiste également sur le fait que, même s’il s’agit en l’espèce d’une relation de travail d’indépendant, la notion de relation de travail, dans la loi du 10 mai 2007, doit se voir donner une acception très large. Elle renvoie sur ce point à la définition qui est contenue à l’article 4, 1°.

Elle reprend également les termes de la Directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l‘égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, transposée en droit interne par la loi du 10 mai 2007. Elle y constate une volonté manifeste du législateur (européen et national) de donner à la sphère des relations de travail, au sens de la réglementation en matière de protection contre la discrimination, une acception très large.

L’institution hospitalière plaide encore qu’il n’y a pas de relation de travail, les parties n’étant liées que par une convention d’occupation de locaux. La cour ne suit pas cette manière de voir, considérant qu’il y a implication de l’hôpital dans le suivi des patients du médecin, ceux-ci devenant également les patients de l’hôpital, et que, notamment, divers services de l’hôpital participent à l’exécution des conventions I.N.A.M.I.

Il y a dès lors collaboration professionnelle à part entière.

Sur la différence de traitement fondée sur l’âge, la cour rappelle qu’il s’agit d’un critère protégé et qu’il y a dans la loi (article 12, §1er) un motif spécifique de justification d’une distinction fondée sur l’âge en matière de relations de travail, étant que celle-ci est autorisée lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, de marché du travail ou de tout autre objectif légitime comparable et que les moyens de réaliser celui-ci sont appropriés et nécessaires.

Le médecin réussissant, pour la cour, à présenter des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge, il appartient à l’hôpital de faire valoir les motifs qui pourraient justifier la distinction ainsi opérée. La cour constate que la fin de la collaboration a été décidée de manière expresse pour des raisons liées à l’âge et que l’on est donc en présence d’une distinction directe.

L’hôpital fait valoir divers arguments, dont la nécessité de procéder à une rotation des médecins en organisant leur remplacement sans devoir attendre que, abruptement, une telle obligation se présente, impliquant une nécessité d’y procéder sans délai. Examinant si la distinction est justifiée par une exigence professionnelle, essentielle et déterminante (article 8, § 1er) qui repose sur un objectif légitime et est proportionnée par rapport à lui (article 8, § 2), la cour rappelle que le juge doit vérifier au cas par cas si telle caractéristique donnée constitue ou non une telle exigence.

Elle considère que les éléments avancés par l’institution, étant le choix de favoriser les médecins hospitaliers, ne peuvent être retenus. Quant à l’explication tirée de la nécessité d’assurer un renouvellement des prestataires et d’éviter de devoir contrôler l’aptitude d’un médecin âgé à poursuivre ses activités, la cour constate que cette explication est purement théorique. Elle conclut, comme le premier juge, que la décision de rompre la collaboration en raison de l’âge est une discrimination interdite.

La cour va encore statuer sur l’ordre de cessation, pour lequel elle suit les mesures suggérées par le premier juge, étant de postposer la décision et d’y substituer une solution négociée, dans la mesure où la collaboration n’a, entre-temps, pas pris fin et qu’aucune décision irréversible n’est intervenue.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait une stricte application des principes en matière de discrimination sur la base de l’âge, étant que, s’agissant d’un critère protégé par la loi du 10 mai 2007, il ne peut y avoir de traitement différencié qu’à la condition que la mesure ait un objectif légitime et que les moyens de réaliser celui-ci soient appropriés et nécessaires. La cour renvoie, ainsi, au double critère de la loi, étant que la caractéristique déterminée, sur laquelle une décision est prise, ne peut être visée sauf si la mesure poursuit un objectif légitime et, en outre, si elle est proportionnée.


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