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Quelle réparation professionnelle pour les anciens membres de la gendarmerie versés dans la police locale ?

Commentaire de C. trav. Liège, 17 mai 2013, R.G. 2012/AL/235

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Liège, 17 mai 2013, R.G. n° 2012/AL/235

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt très motivé du 17 mai 2013, la Cour du travail de Liège examine l’évolution de la législation en matière de réparation des maladies professionnelles pour les anciens gendarmes versés dans un autre corps de police, et ce eu égard aux modifications législatives sur la question dans le cadre de la réforme des polices.

Les faits

Un membre de la police locale introduit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle en 2004 et, à l’issue de l’expertise médicale, l’Office médico-légal conclut à une discarthrose lombaire entraînant un taux d’incapacité de 10%. La question se pose de savoir qui sera le débiteur des indemnités vu d’une part l’évolution de la carrière de l’intéressé et d’autre part les modifications législatives engendrées par la réforme des polices.

L’intéressé a entamé sa carrière à la gendarmerie, où il été membre de la cavalerie de la réserve générale pendant quatorze ans et a été amené à monter quotidiennement à cheval. Il est passé, ensuite, au service protection de la police fédérale et a finalement été versé au service intervention de la police locale, où il preste encore à ce jour.

L’Etat belge, le Fonds des maladies professionnelles et la Ville contestant tous trois devoir intervenir, une procédure a été lancée devant le Tribunal du travail de Huy.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Huy condamne la Ville au paiement de la réparation légale soit, provisionnellement, sur la base du taux de 10%. Il désigne en outre un expert judiciaire pour déterminer les séquelles, soit dans le cadre de la liste (Code 1.605.03) soit dans celui du système ouvert.

Pour le tribunal, l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police prévoit que les accidents du travail et les maladies professionnelles survenus avant son entrée en vigueur restent soumis à la réglementation qui leur était préalablement applicable et il estime que la maladie professionnelle est survenue alors que l’intéressé était occupé par la police locale. Le tribunal se fonde également sur le texte de l’arrêté royal du 26 août 2003 relatif à la prise en charge et au paiement des frais, des indemnités et des rentes en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles survenus aux membres du personnel de la police intégrée.

Même si une partie de l’exposition au risque est intervenue précédemment, il est hautement probable que celle-ci se soit poursuivie au sein de la police communale. Il précise également que l’apparition de la maladie professionnelle a pu survenir quelque temps après l’exposition au risque, ce qui renforce encore la conclusion que c’est le dernier employeur qui doit prendre en charge l’indemnisation.

Le tribunal réserve cependant à statuer sur l’action en intervention et garantie dirigée par la Ville contre le FMP (restant controversée une question, étant de savoir si les fonctionnaires de la police intégrée ont la qualité de membres du personnel d’une administration provinciale ou locale).

Décision de la cour du travail

La cour rappelle longuement la position des parties et tranche plusieurs questions successives.

La première est l’application de la loi du 3 juillet 1967 aux faits de la cause, la cour rappelant longuement l’évolution des textes intervenus afin d’harmoniser des différents personnels des services de police intégrée. Elle renvoie à la loi du 27 décembre 2000, qui a étendu le champ d’application de la loi du 3 juillet 1967 à la police fédérale, à la police locale et aux militaires aussi longtemps qu’ils appartiennent au cadre administratif et logistique. Pour la cour, il résulte de celle-ci que le critère qui avait été retenu à titre transitoire pour déterminer quel serait le régime applicable (régime ancien, étant celui des pensions de réparation ou régime nouveau, étant celui de la réparation des maladies professionnelles en secteur public) est celui de la date d’introduction de la demande de réparation. Celle-ci ayant été formée en mars 2004, la loi du 3 juillet 1967 est dès lors applicable.

Quant à la détermination de l’autorité compétente au sein du secteur public, la cour réserve de très longs développements à l’examen de l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police (dit « PJPOL »).

Elle conclut que l’autorité responsable pour prendre en charge les conséquences financières d’une maladie professionnelle d’un ancien gendarme versé ensuite dans la police locale n’est pas clairement définie et que le seul critère déterminant et objectif de désignation reste les présomptions d’exposition au risque. Elle examine dès lors l’application au litige de ces présomptions. En vertu de l’arrêté royal du 5 janvier 1971, sauf preuve contraire, l’intéressé est présumé avoir été exposé durant sa carrière au service de l’ex-gendarmerie au risque de la maladie professionnelle reconnue par l’Office médico-légal. Quant à l’application de cette présomption à une maladie hors liste, la cour relève que la question est controversée mais que ceci est sans incidence, vu la reconnaissance même de la maladie professionnelle dans le cadre de la liste.

Reste cependant une deuxième présomption à examiner, étant celle de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 (article 5, alinéa 2). Il s’agit d’une présomption réfragable d’exposition, mais limitée à tout travail effectué dans les administrations et établissements auxquels l’arrêté royal se réfère en son article 2 (parmi lesquels ne figurent pas les zones de police, mono-ou pluri-communales). La cour relève cependant également que cette question, qui touche la répartition du risque de la preuve entre le demandeur et son dernier employeur est sans incidence vu la reconnaissance de la maladie professionnelle.

Cependant, dans la mesure où l’exposition au risque est retenue comme critère déterminant afin de désigner l’autorité qui sera tenue à réparer, la cour constate qu’il faut rechercher quelle présomption doit s’appliquer au litige et, vu la contestation relative à l’inclusion des membres du personnel des zones de police dans l’arrêté royal du 21 janvier 1993, elle retient la présomption de l’arrêté royal du 5 janvier 1971. Pour la cour, il appartient dès lors à l’Etat belge de renverser la présomption pesant sur lui durant la période où l’intéressé était membre de la cavalerie et de démontrer, également, l’exposition au risque pendant la période ultérieure.

La cour va dès lors constater que la question centrale de l’exposition au risque doit être soumise à l’expert judiciaire et que la mission qui lui a été confiée doit être précisée sur ce point, étant qu’il devra donner son avis sur l’exposition en cause, étant qu’elle est soit intervenue pendant la carrière professionnelle de l’intéressé au service de l’ex-gendarmerie soit pendant celle qu’il a poursuivie au sein de la police locale soit encore de façon continue dans l’ensemble de ses prestations, pour toute sa carrière, et qu’il devra déterminer dans ce cas quelle exposition a été prépondérante. La cour réforme dès lors le jugement en ce qu’il avait condamné la Ville au paiement des indemnités légales à titre provisionnel et libelle la mission d’expertise conformément aux conclusions qu’elle a tirées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rassemble la problématique - complexe – de la réparation des maladies professionnelles pour les membres des services de police, eu égard aux transformations intervenues dans leur statut, dans le cadre de la réforme des polices.

La cour retient ici comme critère permettant de déterminer l’autorité tenue à la réparation celle auprès de qui est intervenue l’exposition au risque. Sans devoir se prononcer sur l’application des deux présomptions dans le système ouvert (puisque la maladie professionnelle est reconnue dans le cadre de la liste), la cour examine cependant celles-ci dans la mesure où elles permettent de désigner l’autorité auprès qui le risque est apparu.


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