Terralaboris asbl

Présomption d’exposition au risque de maladie professionnelle dans le secteur public – légalité

Commentaire de C. trav. Mons, 15 avril 2013, R.G. 2012/AM/281

Mis en ligne le lundi 23 juin 2014


Cour du travail de Mons, 15 avril 2013, R.G. 2012/AM/281

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 avril 2013, la Cour du travail de Mons – confirmant sa jurisprudence constante – confirme la légalité de la présomption d’exposition au risque contenue dans l’arrêté royal du 5 janvier 1971.

Les faits

Un ouvrier a été engagé par la SNCV en vue de l’entretien et de la maintenance des installations. Il est prépensionné en 1982. Peu avant, soit en août 1980, il introduit une demande de maladie professionnelle. Il est admis par le SSA – par décision du 2 mars 1982 – qu’une incapacité permanente de 15% doit être reconnue, à dater du 28 janvier 1980, en raison d’une maladie ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques (lombarthrose). Une demande de revision en aggravation est introduite quelques mois plus tard et le taux sera alors porté à 30% à partir du 7 août 1985. Malgré ces décisions, l’employeur s’est toujours refusé à indemniser l’intéressé et celui-ci introduit dès lors une procédure devant le Tribunal du travail de Mons.

Un jugement est rendu le 7 novembre 2001, désignant un expert, qui va déposer ses conclusions le 31 mai 2007. Il conclut que l’intéressé ne fut pas exposé au risque professionnel de la maladie ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques et que rien ne vient étayer le taux de 30% ci-dessus.

Le tribunal rend alors un second jugement, en date du 3 juin 2009, ordonnant la comparution personnelle des parties. En effet, le sapiteur qui a effectué une expertise technique pour l’expert judiciaire n’a pas, pour l’intéressé, eu recours au type de véhicule qu’il aurait fallu et les parties ne sont pas davantage d’accord sur la nature du travail exercé, non plus que sur la durée et l’intensité de l’exposition au risque.

Un troisième jugement est alors rendu le 21 décembre 2011, par lequel le tribunal constate que la SRWT (venue aux droits de la SNCV) ne renverse pas la présomption légale de l’article 4, alinéa 2 de l’arrêté royal du 5 juin 1971. Il condamne en conséquence l’employeur au paiement des indemnités sur la base fixée par le SSA.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

Les parties font de longs développements sur les éléments de fait susceptibles d’être utiles dans le cadre de l’exposition au risque (type de travail effectué, bus utilisé, exposition aux vibrations,…).

L’autorité demande également la désignation d’un nouvel expert, aux fins de faire des tests sur un camion échelle de type déterminé…, disponible au musée du tram de Thuin.

La cour va en premier lieu statuer sur la légalité de la présomption de l’article 4, alinéa 2 de l’arrêté royal du 5 janvier 1971 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles dans le secteur public.

En vertu de cette disposition, est présumé jusqu’à preuve du contraire avoir exposé la victime au risque professionnel de la maladie tout travail effectué dans les administrations, services ou organismes et établissements, au cours des périodes pendant lesquelles le travailleur a appartenu à l’une des catégories de bénéficiaires de la loi.

La cour souligne que ce régime probatoire diffère de celui qui est applicable dans le secteur privé. Il s’articule sur une double présomption, qui exonère la victime de toute autre preuve que celle de l’existence dans son chef de la maladie de la liste. Une fois cette preuve rapportée, le travailleur du secteur public bénéficie (i) d’une présomption réfragable d’exposition au risque professionnel de la maladie, celle-ci valant donc jusqu’à preuve du contraire pour tout travail effectué au sein de l’organisme public, et (ii) d’une présomption irréfragable de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de celle-ci.

La cour reprend ensuite les diverses positions rencontrées en jurisprudence en ce qui concerne la légalité de cette présomption, eu égard à son fondement. Pour la cour, la jurisprudence majoritaire retient que celle-ci se fonde sur la combinaison des articles 1er et 2, dernier alinéa (soit actuellement, article 2, alinéa 6) de la loi du 3 juillet 1967, ainsi que des dispositions auxquelles cet article 2 renvoie dans les lois coordonnées applicables au secteur privé. La cour renvoie ici à de la jurisprudence de sa propre cour ainsi que de la Cour du travail de Liège.

Elle précise encore avoir ainsi rallié le courant selon lequel, pour les maladies professionnelles de la liste, (i) la victime doit rapporter la preuve de l’exposition au risque professionnel conformément à l’article 32, alinéa 1er des lois coordonnées, mais, (ii) par exception à cette obligation, est présumé jusqu’à preuve du contraire avoir exposé la victime au risque tout travail effectué dans les industries, professions ou catégories d’entreprises énumérées par le Roi.

Le régime du secteur privé, auquel renvoie la loi du 3 juillet 1967, instaure une présomption tout en confiant au Roi le soin d’en préciser le contenu. C’est ce qu’il s’est produit parallèlement dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, où le Roi a repris la présomption légale d’exposition au risque professionnel à l’article 4, alinéa 2 du 5 janvier 1971, mais où il l’a étendue à tout travail effectué dans les administrations, services, organismes et établissements du secteur concerné.

C’est également la position de la doctrine la plus autorisée et la cour souligne encore que la légalité de cette présomption n’a pas été mise en doute par la Cour de cassation pour les maladies de la liste (la cour renvoyant à Cass., 9 novembre 1998, S.97.0168.F).

La présomption est dès lors légale et le Roi n’a pas excédé les pouvoirs qui lui étaient conférés.

Il en découle qu’une preuve contraire peut être fournie, comme d’ailleurs dans le secteur privé. Bénéficiant de la présomption légale, le travailleur peut dès lors voir son employeur établir l’absence d’exposition au risque de la maladie. La cour souligne que seul l’employeur (et non le SSA) est autorisé à tenter de démontrer que le travail accompli n’impliquait pas cette exposition au risque de la maladie et, en ce qui concerne la preuve elle-même, la cour souligne que l’employeur doit établir l’absence d’exposition au risque et non seulement qu’il n’est pas certain qu’il y aurait eu exposition.

Examinant les travaux d’expertise, la cour constate que les examens ont été effectués sur un véhicule qui n’est pas celui qu’avait utilisé l’intéressé et que, dès lors, les conclusions relatives aux tests vibratoires ne sont pas concluantes. Pour la cour, une nouvelle mission d’expertise portant sur le véhicule détenu par le musée du tram à Thuin ne serait pas concluant, le véhicule ayant été rééquipé, vu la nécessité de remise en état, par des pneumatiques plus récents, alors que celui utilisé par l’intéressé avait été fabriqué… en 1926.

La cour doit dès lors conclure que la preuve n’est pas apportée positivement de l’absence d’exposition au risque professionnel et que – l’expert ayant fondé ses conclusions sur un postulat de base erroné (erreur manifeste sur la chose expertisée) – il faut conclure à l’absence de renversement de la présomption. Le jugement est dès lors confirmé dans toutes ses dispositions.

Intérêt de la décision

La question de la légalité de la présomption de l’article 4, alinéa 2 de l’arrêté royal du 5 janvier 1971 ne semble plus sérieusement contestée, la question discutée étant de savoir si le Roi n’avait pas excédé ses pouvoirs par l’institution de cette présomption.

La question reste cependant ouverte de l’application de la présomption aux maladies qui ne figurent pas sur la liste.

L’on notera également en l’espèce que – vu l’ancienneté des faits, ainsi que la disparition elle-même de l’objet à expertiser – il n’y a pas de renversement de la présomption.


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