Terralaboris asbl

Lien de subordination : l’intégration d’un prestataire dans une équipe de travailleurs salariés est-elle suffisante pour permettre de conclure au lien de subordination ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. 2010/AB/935

Mis en ligne le lundi 23 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 13 novembre 2013, R.G. n° 2010/AB/935

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions exigées par la loi pour qu’une régularisation du contrat de travail soit possible : l’intégration dans une équipe comprenant des travailleurs exerçant des fonctions différentes ne suffit pas.

Les faits

Une société s’occupant de réaliser des reportages pour des chaînes de télévision travaille avec une petite équipe (une demi-douzaine de personnes en général ayant le statut de salariés). Pour la réalisation de reportages, elle fait appel à des équipes techniques, les techniciens travaillant en « free-lance ». C’est le cas du demandeur, caméraman. La situation de l’intéressé évolue, sur le plan professionnel, au fil des ans, celui-ci ayant, dans un premier temps, d’autres clients et finissant, en 2005, par travailler (semble-t-il) exclusivement pour la société.

Celle-ci délivre une attestation, en 2006, confirmant qu’il preste en qualité d’indépendant. Elle va par ailleurs, dans le cadre d’un appel d’offres auquel elle répond pour la Commission européenne, faire état du fait que l’intéressé est repris dans ses effectifs permanents. Celui-ci continue cependant à prester comme indépendant, remettant des factures. Dans le cadre de l’appel d’offres auquel elle a répondu – et qu’elle a remporté –, la société reprend toujours l’intéressé comme prestataire indépendant.

Début 2008, elle lui demande de restituer les clés des locaux.

L’intéressé charge alors son avocat de prendre contact avec la société aux fins d’obtenir une « régularisation » de sa situation de travail dans le cadre d’une occupation salariée. La société considère les exigences de l’intéressé comme non justifiées et met un terme à la collaboration.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

La décision du tribunal

Par jugement du 14 juin 2010, le tribunal du travail déboute le demandeur.

Le tribunal constate, sur le droit applicable, que, depuis le 1er janvier 2007, sont entrés en vigueur les articles 331 à 333 de la loi-programme I du 27 décembre 2006 et que les principes et critères généraux qui y sont repris n’ont pas bouleversé la matière. Le critère d’autorité est la subordination juridique et non la dépendance économique. Si les parties ont qualifié leur relation de travail, celle-ci s’impose mais est écartée si l’exercice effectif est inconciliable avec la qualification donnée. Cette qualification ne doit pas nécessairement résulter d’un écrit dressé par les parties (le tribunal renvoyant aux arrêts récents de la Cour de cassation (étant Cass., 4 janvier 2010, S.09.0005.N et Cass., 25 mai 2009, S.08.0082.F). Pour le tribunal, aucune exigence ne figure dans la loi-programme quant à l’obligation d’un écrit. Le tribunal renvoie encore à la doctrine de Jacques CLESSE, confirmant que, si les éléments pertinents font apparaître que les parties ont fait le choix d’une forme juridique déterminée, sans pour autant le constater par écrit, ce choix doit être respecté tant que ne sont pas réunies les conditions d’une requalification (J. CLESSE, « Vers une nouvelle appréciation de la nature juridique de la relation de travail », La nouvelle loi sur les relations de travail, Anthémis, 2007, pp. 35 et suivantes).

En l’espèce, le tribunal passe en revue la qualification donnée par les parties (celles-ci s’étant manifestement accordées sur un contrat d’entreprise). Il examine ensuite les critères à prendre en compte, étant la liberté d’organisation du temps de travail, la liberté d’organisation du travail, ainsi que la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

Sur le premier critère, il va constater des horaires de travail variables et l’absence d’obligation d’accepter les missions confiées ou de prévenir des absences, etc. Pour le tribunal, il n’y a pas, dans la manière dont les parties ont organisé le temps de travail, d’éléments incompatibles avec la qualification donnée à la relation de travail.

La même conclusion s’impose sur le deuxième critère, étant que le fait de donner des instructions et d’exercer un contrôle n’est pas en soi caractéristique du contrat de travail et qu’en l’espèce, l’intéressé n’établit qu’un élément, étant qu’il y avait mise à disposition de matériel par la société, élément que le tribunal ne considère cependant pas comme inconciliable avec un contrat « free-lance » de caméraman ou de preneur de son.

Enfin, sur la possibilité du contrôle hiérarchique, la seule existence de « time sheets » n’est pas suffisante pour faire apparaître un tel contrôle et, de manière générale, l’existence d’un lien de subordination. Il déboute dès lors l’intéressé de sa demande.

Celui-ci interjette appel.

L’arrêt de la cour du travail

La cour du travail rejette l’appel, reprenant les mêmes principes. Il fait grief à l’intéressé de ne pas établir que les parties auraient conclu un contrat de travail non écrit. La cour soulève également que l’appelant a été invité par la société à produire des éléments d’ordre fiscal permettant notamment d’établir qu’il dépendait de la société pour l’ensemble de son activité et qu’aucune suite n’a été réservée à cette demande.

Plus concrètement, en ce qui concerne les conditions de travail, la cour considère qu’est sans incidence le fait d’être soumis à des horaires de travail, dans la mesure où ceux-ci sont déterminés par l’actualité, vu la nature des tâches à effectuer et que, de ce fait, les horaires ne sont même pas fixés par la société elle-même, mais par les contraintes de l’actualité et de sa diffusion.

De même, la cour va rejeter les arguments déjà avancés devant le premier juge, relatifs à la mise à disposition du matériel de société, ainsi que des « time sheets ».

Un nouvel élément est cependant pointé par la cour, étant l’insertion dans une équipe de travail. L’appelant fait en effet état de celle-ci, élément qu’il considère incompatible avec la qualification de la relation de travail.

Il renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2006 (Cass., 22 mai 2006, S.05.0014.F), qui a admis que tous les travailleurs concernés étaient intégrés dans une organisation collective du travail entièrement conçue par et pour une société et que ces éléments étaient incompatibles avec l’existence d’un contrat d’entreprise. La cour du travail rejette le renvoi à cette décision, dans la mesure où la situation était fort différente : s’agissant d’une station de radio, le litige concernant des animateurs qui exerçaient tous la même fonction et étaient intégrés dans une organisation collective de travail entièrement conçue par et pour le propriétaire de la station.

En l’occurrence, la cour relève que l’équipe complémentaire à l’équipe de base ne reprenait que trois personnes, ayant des qualifications différentes (journaliste, caméraman et ingénieur du son). La demande est dès lors rejetée, la preuve de l’existence d’un contrat de travail n’étant pas rapportée.

Intérêt de la décision

Cette espèce rappelle une nouvelle fois les difficultés d’obtenir la requalification d’un contrat exécuté dans le cadre d’une collaboration indépendante. L’intérêt des deux décisions rendues est de rappeler que la qualification des relations ne doit nullement faire l’objet d’un contrat écrit, mais peut ressortir d’autres éléments. Il y a dès lors lieu de rechercher celle-ci en premier lieu et de vérifier ensuite si l’exécution a été conforme au choix des parties.


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